Associations et entreprises

Le point de vue de la CGT sur l'entreprise

Tribune Fonda N°217 - Association et entreprise : quelles alliances pour transformer le monde ? - Mars 2013
Agnès Naton
Agnès Naton
Agnès Naton, secrétaire confédérale de la CGT, répond aux questions de la Fonda concernant le monde de l'entreprise et la responsabilité sociale de celle-ci.

Quelle est votre analyse de l’entreprise, dans son fonctionnement interne et ses relations externes ?

Agnès Naton : Il est difficile d’analyser l’entreprise sans analyser le contexte actuel de crise. Il s’agit d’une crise systémique et multidimensionnelle, qui concerne le champ social, économique, financier et environnemental et affecte les valeurs morales et éthiques de notre société. Cette crise influe sur le sens, la place, le rôle et la finalité du travail dans notre société. Les femmes et les hommes qui travaillent souffrent : quatre points du PIB, soit 80 milliards d’euros, sont alloués à la réparation du « mal travail » (incluant les accidents du travail, les maladies professionnelles, les arrêts de travail et le stress). Lié à une logique de court-terme, le mal travail alimente chez les salariés un sentiment de souffrance et de difficulté à s’engager et à mettre de l’intelligence dans leur travail.
 

Évolution des conditions d’emploi


Le travail est le premier droit fondamental. L’accès au travail est déterminant dans sa relation à soi et aux autres. Le fait d’être privé du droit au travail ou d’être astreint à une mise en précarité permanente crée un environnement d’insécurité sociale généralisée. Cette situation engendre des phénomènes de souffrance et de non-accomplissement dans le travail, avec des conséquences négatives pour les salariés et l’entreprise. Nous pouvons évoquer le travail des femmes qui se caractérise par des temps partiels imposés, notamment dans le secteur du commerce et des services.

Ces évolutions concernent également l’économie sociale et solidaire, en particulier le secteur des services à la personne et de l’aide à domicile, qui est en outre fragilisé par la mise en danger du financement des associations et de la protection sociale.


Évolution de la structuration de l’entreprise


Au cours des vingt dernières années, l’entreprise a connu une évolution rapide liée à la mondialisation de l’économie. Les processus de fusion, restructuration, délocalisation, externalisation, privatisation ou sous-traitance traduisent un émiettement de l’entreprise et une dépendance accrue au marché. En particulier, les TPE et PME dépendent majoritairement des grands groupes et n’ont pas les moyens de s’auto-suffire dans une économie mondialisée.

Ce constat illustre l’influence prédominante de la loi du lucre et de l’argent facile à court terme. La recherche constante d’abaissement du coût du travail et d’ajustement par le coût au détriment de la qualité va à l’encontre d’un renversement de modèle au profit d’un développement humain durable.


Comment aider les entreprises à surmonter les difficultés auxquelles elles sont confrontées ?

A.N. : Les entreprises sont dans une spirale du marché et de la mondialisation, liée à une recherche effrénée de compétitivité grâce à l’abaissement du coût du travail. Nos équipes syndicales se mobilisent auprès des salariés, qui sont les premiers experts de leur travail, pour qu’ils envisagent une évolution des conditions de travail et une transformation des modes de production.

C’est par la mobilisation des salariés et d’autres acteurs, en particulier les acteurs des mouvements sociaux et de la société civile − parmi lesquels les association − que nous pourrons impulser un renversement de situation. C’est en se fondant sur l’expertise de ceux qui produisent les richesses, en redonnant confiance aux salariés, en leur accordant une capacité et un pouvoir d’agir que nous pourrons opérer ce changement.

Comment promouvoir la participation des salariés au sein de l’entreprise ?

A.N. : Le syndicalisme doit favoriser la démocratie et le dialogue social dans l’entreprise et sur le territoire. Les syndicats ne pèsent toutefois pas suffisamment, notamment dans les TPE-PME. En effet, seuls 10 % des salariés des petites entreprises ont voté aux dernières élections professionnelles.

Il nous faut par conséquent développer la représentativité des salariés dans les TPE-PME et leur donner des droits d’intervention, tant sur leurs conditions de travail que sur les choix de gestion et de développement de l’entreprise. C’est un défi qui est posé au syndicalisme, et plus globalement à l’entreprise et aux acteurs politiques.

Le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, qui transpose dans la législation l’Accord national interprofessionnel − ANI − du 11 janvier 2013, prévoit certes une participation des salariés au conseil d’administration des entreprises ; mais il faut s’assurer que ces droits sont effectifs et respectés.

Que pensez-vous de la responsabilité sociale des entreprises − RSE ?

A.N. : On ne peut plus segmenter un salarié en tranche ; le salarié est à la fois citoyen et consommateur. Nous devons privilégier une approche globale du salarié pour qu’il soit bien dans l’entreprise et bien dans sa vie. En effet, un salarié qui vit dans sa voiture ne peut être bien au travail. Dans le cadre de la RSE, l’entreprise doit non seulement être attentive aux conditions de travail et à la mise en œuvre des différents chapitres du contrat de travail, mais elle doit s’intéresser plus largement au respect des droits fondamentaux et à l’ensemble des éléments qui concourent au bien-être − physique et psychique − du salarié (logement, santé, garde des enfants, etc.).

Aujourd’hui, les entreprises sont confrontées à des réalités dont elles ne savent que faire. Des sujets tels que l’égalité femmes / hommes, le fait communautaire ou les revendications des lobbys gays sont renvoyés à la RSE, plutôt que de faire l’objet d’un dialogue avec les syndicats. L’entreprise, comme la cité, devrait être le lieu du vivre ensemble. Or, elle se replie sur elle-même ; elle court-circuite les organisations syndicales et ne leur donne pas la possibilité de pleinement assumer leur rôle dans le cadre du dialogue social.

Pour leur part, les syndicats participent à la RSE quand on leur en donne la possibilité ; toutefois, ce champ ne relève pas de la négociation obligatoire. L’entreprise est ainsi libre de confisquer la RSE si elle le souhaite, allant à l’encontre de l’intérêt des salariés, de l’entreprise et de la société dans son ensemble.

Quelles relations l’entreprise entretient-elle avec son environnement, en particulier à l’échelle territoriale ?

A.N. : Certaines expériences menées dans les territoires méritent d’être mentionnées, bien qu’elles ne s’inscrivent pas dans un cadre normatif. Par exemple, en Haute-Savoie, nous avons conclu un accord sur l’emploi des saisonniers, qui recouvre notamment les dimensions de l’emploi, du logement et de la formation interprofessionnelle. Ces processus de négociation sont longs mais changent forcément les rapports entre acteurs (entreprises, syndicats, pouvoirs publics, etc.). Ils supposent également de définir en amont les prérogatives et les champs de responsabilité de chacun.

L’entreprise, sur un territoire, prend conscience qu’elle ne peut agir sans les autres acteurs. Par exemple, dans le cadre de la GPEC1  territoriale, les petites entreprises ressentent le besoin de mutualiser les énergies pour permettre des mobilités professionnelles d’une entreprise à l’autre et limiter l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi. Le territoire est le lieu où l’on peut vérifier ensemble que le travail collectif produit des fruits immédiats et pour l’avenir.

Comment analysez-vous les relations entre associations et entreprises ?

A.N. : Sous le vocable de « démocratie sociale », on tend à privilégier un affichage en faveur des associations, parfois au détriment des organisations syndicales. Il ne faudrait pas, sous prétexte d’accorder un rôle d’acteurs à part entière aux associations dans le dialogue social, porter atteinte à la négociation dans l’entreprise et sur les territoires. Syndicats et associations doivent être vigilants.

Des réflexions et expériences émergent sur la place des usagers, en particulier la place des pauvres, dans les services. Directement concernées par ces réflexions, les associations reconnaissent néanmoins qu’il est complexe − sur le plan technique et démocratique − d’aménager de tels espaces de participation.

L’accompagnement social et professionnel des personnes (aides à domicile, centres d’hébergement d’urgence, centres d’aide sociale, crèches, etc.) est un chantier majeur auquel le gouvernement ne semble pas vouloir s’attaquer, pour des raisons de moyens et par manque de volonté politique. L’incertitude quant aux financements publics représente un danger majeur qui laisse entrevoir de grandes inégalités entre territoires et entre populations.

Avez-vous des exemples de collaboration réussie entre associations, syndicats et entreprises ?

A.N. : Le travail mené au sein du Collectif Alerte2 depuis 2006 repose sur une implication conjointe des associations, syndicats et organisations patronales. Publié en 2010, le guide Vers l’emploi, mais pas tout seul a pour vocation de dépasser le cloisonnement entre acteurs et de favoriser les synergies entre entreprises, associations et syndicats dans le cadre de l’accompagnement vers l’emploi. Une étape a été franchie au sein de ce collectif.

  • 1Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.
  • 2Le collectif Alerte est composé de 36 associations nationales de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, d’organisations syndicales (CFDT, CGT, Unsa, CFTC, CFE-CGC) et d’organisations patronales (Medef, CGPME, UPA et FNSEA).
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