Lorsque l’on s’intéresse aux liens entre le chômage et la santé, deux théories explicatives s’affrontent dans la littérature scientifique. La première, dite hypothèse de sélection, avance que la mauvaise santé des personnes au chômage les exclurait de l’emploi et du marché du travail. La seconde, dite hypothèse d’exposition, soutient que le chômage a des effets délétères multiples tant sur la santé physique et psychique que sur le comportement des personnes touchées. Si des relations de causalité existent dans les deux sens, l’impact négatif du chômage sur la santé apparaît plus puissant que l’effet inverse. Le sujet reste pourtant peu étudié et insuffisamment pris en compte en France.
C’est donc pour alerter sur cette thématique que SNC a publié un rapport consacré aux impacts du chômage sur la santé des chercheurs d’emploi. Les constats présentés sont sans appel. Ils révèlent, derrière cette souffrance à bas bruit, une réalité épidémiologique : le chômage fragilise les individus. Les chercheurs d’emploi sont deux fois plus nombreux que les actifs occupés à estimer que leur état de santé n’est pas satisfaisant. En outre, plus le nombre de périodes de chômage vécues1 augmente, plus ce pourcentage devient important. L’impact du chômage, variable selon les personnes, intervient sur plusieurs aspects de la santé somatique et psychique.
Surmortalité et pathologies cardiovasculaires
Les études concernant de grandes populations de chercheurs d’emploi convergent et mettent en évidence deux catégories d’effets du chômage sur la santé : des effets sur la mortalité et des effets sur les pathologies cardiovasculaires. Le risque de décès des chercheurs d’emploi est en effet multiplié approximativement par un facteur 2 par rapport aux actifs occupés du même âge.
Pour Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm, en France, 10 000 à 14 000 décès2 par an sont ainsi imputables au chômage. Cette surmortalité est liée à des maladies mais aussi aux conséquences de comportements addictifs apparus après la perte d’emploi ou encore à des suicides (plusieurs centaines de suicides par an sont liés au chômage3 ).
Parallèlement, une augmentation du risque cardiovasculaire4 a été mise en évidence. Parmi les maladies cardiovasculaires pour lesquelles les recherches ont montré une fréquence accrue chez les personnes au chômage figurent l’infarctus du myocarde, les troubles du rythme (fibrillation atriale), l’insuffisance cardiaque et les accidents vasculaires cérébraux. Les auteurs d’une étude américaine considèrent même que le chômage constitue un facteur de risque cardiaque supplémentaire, du même ordre que le tabagisme, l’hypertension ou le diabète.
Les impacts du chômage sur les habitudes de vie, les addictions et les comportements à risque
Le fait d’être sans emploi est corrélé avec une augmentation, par rapport aux actifs occupés, de la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis, mais aussi de la fréquence des comportements addictifs5
.
La situation de non-emploi tend également à influencer les comportements alimentaires des individus. Les chercheurs d’emploi sont 38 % à dénoncer l’impact négatif du chômage sur leurs habitudes alimentaires6 : l’alimentation a ainsi plus de risque d’être déséquilibrée, le faible coût des produits est également privilégié par rapport à leurs qualités nutritionnelles et, sous l’effet du stress, plusieurs personnes témoignent de l’apparition d’un trouble du comportement alimentaire (TCA).
On constate enfin une baisse substantielle de l’activité physique chez les personnes au chômage7 . Parmi les principaux freins évoqués : le coût de ces activités, mais aussi un renoncement, lié à la « honte d’être chômeur » ou encore au sentiment de culpabilité dès lors que l’on s’adonne à une autre activité que la recherche d’emploi.
L’impact du chômage sur la santé psychique
L’ensemble des recherches réalisées en psychologie indique que le chômage est vécu comme une épreuve et constitue souvent un véritable traumatisme. L’expérience du chômage impacte la santé psychique des individus, surtout lorsque le licenciement est brutal et que la personne n’a pu anticiper aucun moyen de se protéger psychiquement.
Lorsqu’il existe des fragilités avec lesquelles la personne avait jusque-là pu composer, ces dernières remontent à la surface et viennent ébranler toutes ses constructions psychiques plus ou moins anciennes. Avec la perte d’emploi, elles viennent se manifester dans des vécus d’échec, de découragement, de sentiment dépressif, de honte, voire de persécution ou d’abandon. Peuvent aussi surgir une perte du sentiment de compétence et de la capacité à agir sur sa vie, puis, peu à peu, une perte du sentiment d’exister.
Les personnes au chômage constatent ainsi le développement d’une vulnérabilité psychique liée à la situation de chômage, déclenchant du stress, de la dépression, de la déprime et de l’anxiété mais aussi un manque de sommeil ou encore des douleurs musculaires ou dorsales. Ces effets sont d’autant plus puissants que la durée du chômage s’allonge.
Le renoncement aux soins, ou les empêchements liés au chômage
En dépit de ces fragilités, les personnes au chômage renoncent davantage aux soins que les actifs occupés, notamment pour des raisons financières. Les personnes au chômage bénéficient en effet d’une moins bonne protection complémentaire que les autres populations, et les complémentaires souscrites sont moins favorables pour le remboursement des lunettes, des appareils auditifs et des prothèses dentaires notamment.
L’éloignement de l’offre de soins, l’avance des frais de santé, le manque d’information sur le remboursement, voire la crainte d’être pénalisé dans sa recherche d’emploi en cas d’arrêt, constituent des facteurs de renoncement supplémentaires, de même que les facteurs sociaux (méconnaissance des droits) et psychologiques (moindre priorisation des problèmes de santé dans une situation sociale instable, négligence de l’écoute de son corps dans un contexte de restriction).
Une thématique qui reste orpheline
Malgré ces constats alarmants, la santé des personnes au chômage est rarement abordée. Elle constitue pourtant un véritable enjeu de santé publique qui appelle à un changement profond des politiques en la matière. Les politiques de santé actuelles ne répondent pas suffisamment aux enjeux de santé des personnes au chômage et le manque d’information des professionnels de santé et des acteurs institutionnels alimente une sous-estimation collective du problème. À l’absence de moyens préventifs s’ajoutent la faiblesse des solutions existantes et une grande complexité dans leur mise en œuvre.
C’est pourquoi SNC a formulé dans son rapport plusieurs propositions destinées à lutter contre les impacts négatifs du chômage sur la santé des chercheurs d’emploi.
Ces propositions appellent à la mise en place d’un écosystème favorable au soutien à la santé des personnes au chômage, autour de cinq axes d’actions à déployer :
— l’organisation d’un dispositif de soutien à la santé des chercheurs d’emploi avec toutes les parties prenantes comprenant des campagnes de prévention et des consultations médicales gratuites, proposées à six mois et à deux ans de chômage ;
— une meilleure information des chercheurs d’emploi sur leurs droits en matière de santé grâce à la mise en place, au sein des agences Pôle emploi, d’un référent santé et de guides pratiques sur les droits en matière de santé et les dispositifs d’accès aux soins existants ;
— la prise en compte de la dimension santé dans le cadre de l’accompagnement global de Pôle emploi pour éviter l’isolement des chercheurs d’emploi ;
— une amélioration de la couverture complémentaire des chercheurs d’emploi afin d’éviter les ruptures de droits dues à la perte ou à la réduction de la couverture de la complémentaire ;
— la prise en compte des aspects médicaux et psychologiques du chômage dans les pratiques professionnelles et les études.
Ces propositions, élaborées avec les chercheurs d’emploi, en réponse à leurs difficultés, mais aussi avec l’expertise des professionnels de santé et des acteurs de l’emploi, doivent inspirer des changements d’ordre culturel, pour que la santé des personnes au chômage soit une question enfin considérée.
- 1David Alibert, Régis Bigot, David Foucaud, Crédoc, Cahier de recherches n° 225, « Les effets de l’instabilité professionnelle sur certaines attitudes et opinions des Français depuis le début des années 1980 », 2006.
- 2Pierre Meneton et al., « Unemployment is associated with high cardiovascular event rate and increased all-cause mortality in middle-aged socially privileged individuals », International Archives of Occupational and Environmental Health, 2015.
- 3Christine Cohidon, Gaëlle Santin, Béatrice Geoffroy-Perez, Ellen Imbernon, Suicide et activité professionnelle en France, Saint-Maurice, Institut de veille sanitaire, avril 2010.
- 4William T. Gallo et al., « Involuntary job loss as a risk factor for subsequent myocardial infarction and stroke: findings from the Health and Retirement Survey », American Journal of Industrial Medecine, mai 2004.
- 5Romain Guignard, Viêt Nguyen-Thanh, Raphaël Andler, Jean-Baptiste Richard et al., « Usage de substances psychoactives des chômeurs et des actifs occupés et facteurs associés : une analyse secondaire du Baromètre santé 2010 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2016.
- 6Baromètre 2018 SNC- Comisis / Opinion- Way. Étude réalisée auprès d’un échantillon de 2 135 personnes représentatif de la population des actifs de 18 ans et plus hors retraités et hors inactifs.
- 7Gregory Colman, Dave Dhaval, « Unemployment and health behaviors over the business cycle: a longitudinal view », Document de travail n° 20748 du National Bureau of Economic Research, New-York, 2014.