Propos recueillis par Stéphanie Andrieux, édités par Anna Maheu.
Comment est né le Stowarzyszenie Centrum Wolontariatu, ou le Centrum, comme vous l’appelez ?
Le Centrum a ouvert ses portes en 1993. Après plusieurs visites d’étude dans différents pays européens et américains, nos fondateurs ont estimé que le secteur associatif polonais avait besoin d’un soutien professionnel.
L’année suivante, ils ont ouvert à Varsovie le premier centre de bénévolat de Pologne. Celui-ci est devenu un point de contact reliant les volontaires aux organisations intéressées par leur aide.
En 1995, le Centrum a lancé un réseau de centres de bénévolat dans tout le pays, tout en promouvant une professionnalisation du monde associatif. De 2002 à 2003, le Centrum a participé à la rédaction de la loi sur les activités d’intérêt public et le bénévolat.
Au cours des trois dernières décennies, notre association a également participé à tous les événements impliquant de nombreux bénévoles, notamment l’Année européenne du bénévolat et du volontariat 2011, l’Euro 2012 et les Journées mondiales de la jeunesse 2016.
Aidez-vous toujours les gens à trouver des missions bénévoles ?
Non, nous ne le faisons plus, même si c’est le cas pour d’autres centres de bénévolat. À Varsovie, nous disposons désormais d’un système municipal pour cela. En 2014, le Centrum a mis en place le programme « Bénévoles de Varsovie » en partenariat avec la municipalité, nous avons l’habitude de travailler ensemble.
Aujourd’hui, le Centrum se concentre sur l’aide aux personnes qui agissent avec des bénévoles. Nous collaborons avec des organisations non gouvernementales (ONG), des institutions et des entreprises qui mettent en œuvre des programmes de bénévolat d’entreprise. Nous formons également des coordinateurs de bénévoles.
En tant que présidente du Centrum, je suis également impliquée dans différentes institutions, notamment un éphémère groupe de travail du ministère de la Société civile1. Nous avons essayé de modifier notre ancienne loi afin de la rendre plus flexible et mieux adaptée à l’époque moderne.
Le système juridique limite-t-il actuellement le bénévolat ?
Selon la loi polonaise, vous pouvez accueillir un bénévole sans formalité pendant un mois. Ensuite, vous devez lui faire signer un accord. Si la personne refuse, ce qui arrive de plus en plus souvent, elle ne peut plus faire de bénévolat.
C’est en effet assez strict ; la loi française n’est pas aussi précise.
Il s’agit principalement d’une question d’assurance : si quelque chose arrive à un bénévole, vous êtes responsable de cette personne et assuré. Mais la loi est devenue obsolète avec l’essor de l’activisme non formel ou du bénévolat informel.
Remarquez-vous une hausse du bénévolat informel en Pologne ?
Oui, tout à fait. Cela peut prendre plusieurs formes, notamment aider ses voisins ou militer en ligne. Cela a commencé pendant la pandémie, puis a repris lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Aujourd’hui, le bénévolat informel est surtout populaire parmi les jeunes, car ils ne sont pas aussi attachés à une organisation. Ils sont moins enclins que leurs aînés à signer l’accord de bénévolat que j’ai mentionné plus tôt.
Cela a donné lieu à une discussion importante au sein de notre groupe de travail avec le ministère de la Société civile : que faire de cet engagement ? Pouvons-nous l’intégrer dans notre législation ? Ou devrions-nous nous concentrer sur le bénévolat formel, comme c’est le cas aujourd’hui ?
Voyez-vous d’autres moyens d’encourager le bénévolat ?
En tant que secteur, nous avons besoin d’améliorer l’expérience des bénévoles. Cela ne pourra pas avoir lieu sans professionnalisation de la coordination bénévole, et les investissements que cela nécessite.
Aujourd’hui, tout le monde sait ce que fait un coordinateur de projet. Les pratiques des coordinateurs de bénévoles sont beaucoup moins connues. Ce travail doit être pris au sérieux. Cela commence par des parcours universitaires spécifiques, des formations qualifiantes et des descriptions de poste claires.
Saviez-vous que Juan Ángel Poyatos, fondateur de Volies et membre de Points of Light, travaille sur ce sujet en Espagne ?
Je l’ignorais, mais cela ne me surprend pas : c’est un sujet important dans tous les pays européens. Raison de plus pour y travailler ensemble.

Justement, qui s’engage en Pologne ? Existe-t-il un profil type des bénévoles ?
Il n’y a pas de profil type, tout le monde s’engage au moins une fois dans sa vie, grâce au système scolaire. Tous les élèves font du bénévolat à l’école primaire. Ils obtiennent des crédits supplémentaires pour leur travail bénévole, ce qui peut les aider à intégrer de meilleurs lycées. Cela fonctionne surtout dans les grandes villes, où la concurrence est rude pour accéder à une bonne éducation.
En dehors du système scolaire, de nombreux jeunes donnent de leur temps. La tranche d’âge qui s’engage le moins est la mienne : les actifs manquent de temps pour faire du bénévolat, car ils travaillent et s’occupent de leur famille. Néanmoins, nous constatons une augmentation du bénévolat en entreprise, ainsi que du bénévolat en famille.
Enfin, les seniors sont assez nombreux parmi les bénévoles. Ils apprécient le bénévolat, car c’est l’occasion d’agir et de se sentir utiles. Ainsi, les jeunes et les seniors sont les groupes les plus actifs en termes de temps consacré au bénévolat. Mais on trouve des bénévoles dans toutes les tranches d’âge.
Intéressant. En France, la proportion de seniors bénévoles est en baisse2. Avez-vous remarqué une évolution similaire ?
Je ne pense pas. Il y a peut-être un petit nombre de personnes âgées qui ont arrêté de faire du bénévolat pour faire autre chose et passer du temps avec leurs proches. Mais beaucoup de personnes âgées sont toujours actives. De plus, le bénévolat intergénérationnel est de plus en plus populaire. Cependant, chaque ville et chaque région ont leurs spécificités.
Je me souviens avoir entendu il y a longtemps que dans de nombreux pays d’Europe de l’Est, le bénévolat n’était pas très populaire auprès des seniors, parce qu’ils y étaient autrefois contraints. Qu’en pensez-vous ?
J’aurais une analyse plus nuancée. Effectivement, sous le régime communiste, chaque citoyen était obligé d’avoir un « emploi social ». On ne demandait pas aux personnes s’ils voulaient faire quelque chose ou non ; on leur disait simplement ce qu’ils devaient faire.
Néanmoins le communisme n’est qu’une partie de l’histoire de la Pologne, et, en particulier pour les seniors, le bénévolat est également ancré dans les valeurs catholiques qui sont encore très présentes. Aujourd’hui, je pense que de nombreux citoyens polonais ne se souviennent pas de cette époque communiste, je ne vais donc pas interpréter le niveau d’engagement actuel à travers ce prisme.
De septembre 2023 à mai 2025, la Pologne a eu un ministère de la Société civile. Vous avez mentionné le groupe de travail dont vous faisiez partie. Comment le ministère a-t-il collaboré avec le secteur associatif ?
Le projet est en suspens depuis les dernières élections présidentielles, mais les deux ministres successives3 ont mené plusieurs consultations dans le secteur. Nous avions trois groupes de travail sur différents thèmes, dont le nôtre sur le bénévolat et celui qui tente de modifier la loi. La loi actuelle sur les ONG est particulièrement complexe en matière de subventions et nous devons de toute urgence la rendre plus flexible.
Notre dernière ministre, Adriana Porowska, a également fait campagne pour obtenir des fonds supplémentaires pour l’Institut national de la liberté. En fin de compte, ce dont les associations ont le plus besoin, c’est d’argent.
Qu’est-ce que l’Institut national de la liberté ?
Il s’agit d’une institution gouvernementale créée en 2016 afin de gérer toutes les subventions gouvernementales, et plus généralemennt les partenariats entre pouvoirs publics et associations4.
Une structure peut avoir des projets et des subventions avec différentes institutions gouvernementales. Le fait de disposer d’un institut unique spécialisé dans la collaboration avec les associations permet aux interlocuteurs gouvernementaux de mieux comprendre leurs besoins et les spécificités du secteur. Enfin, cela favorise la mise en réseau des associations, car cet institut les met en relation les unes avec les autres.
Donc, une association qui bénéficie d’une subvention du ministère de l’Environnement et d’une autre du ministère de l’Éducation n’a plus qu’un interlocuteur : l’Institut national de la liberté ?
Exactement ! Après, il y a le principe et la réalité. Nous sommes encore en train de mettre en pratique ce changement important. Cela demande du temps.
Intéressant. Nous avons beaucoup à apprendre de vous.
Attendez d’abord les résultats !
Le contexte géopolitique, en particulier l’invasion russe de l’Ukraine, a-t-il modifié le niveau d’engagement et de participation de la société civile ?
Le peuple polonais se révèle en période de crise, c’est assez intéressant à observer. Qu’il s’agisse d’une pandémie, de la guerre en Ukraine ou d’une inondation, nous abandonnons tout le reste pour aller aider. Après cela, le soufflet retombe.
Nous avons constaté un pic de participation pendant ces crises. Aujourd’hui, nous sommes revenus à un niveau normal d’engagement de la population. Mais même si le niveau d’engagement n’est plus aussi élevé qu’au cours de ces crises, la connaissance du bénévolat s’est développée entre-temps et elle n’est pas près de disparaître.
Par exemple, les organisations de migrants qui ont participé à l’accueil des réfugiés ukrainiens sont désormais mieux identifiées et mieux soutenues. Nous avons également remarqué que des Ukrainiens s’impliquaient dans des ONG polonaises en tant que bénévoles.
Vous travaillez au Centrum depuis sept ans maintenant. Avez-vous vu le secteur évoluer ?
C’est une question difficile, car d’un côté, je constate que notre secteur se professionnalise, mais de l’autre, ce n’est pas un mouvement uniforme dans le pays.
Par exemple, le métier de coordinateur de bénévoles est de plus en plus connu et populaire, mais principalement dans les grandes villes. Dans les villages, on trouve encore des organisations qui ne sont pas du tout structurées. Le fossé se creuse entre quelques grandes organisations riches et une myriade d’organisations locales plus petites et moins structurées. Il nous reste du travail !
Personne ne veut le dire ni l’entendre, mais nous ne pouvons pas améliorer nos organisations sans stabilité financière. Les subventions sont limitées dans le temps : dès que vous en obtenez une, une autre prend fin. Comment pouvons-nous progresser alors que nous sommes toujours à court de temps ? Ce qui nous manque, c’est de l’argent et une stratégie nationale en matière de bénévolat.
Une telle stratégie est-elle en cours de discussion ?
Oui, nous avons travaillé dessus avec feu le ministère de la Société civile et espérons reprendre ce travail à l’avenir. Avez-vous regardé ce qui a été fait en Irlande ou au Canada5 ? Pas encore, mais nous prévoyons de le faire. Nous sommes actuellement dans une phase de documentation du bénévolat en Pologne. Ensuite, l’Institut national pour la liberté va mener une étude approfondie et une évaluation du bénévolat en Pologne. Lorsque nous disposerons des résultats à l’échelle nationale, nous ferons une proposition à l’Institut national pour la liberté et au ministère de la Société civile, s’il existe à ce moment-là.
Enfin, quels sont selon vous les principaux défis et opportunités pour le secteur associatif polonais ?
Le principal défi, comme je l’ai dit, est l’indépendance financière. Concernant les opportunités, je soulignerais le mouvement actuel des jeunes qui souhaitent changer la société pour le mieux. En tant qu’associations, nous devons leur fournir une plateforme pour y parvenir, de manière formelle ou informelle. Au lieu de les rejeter parce qu’ils n’agissent pas comme nous en avons l’habitude, nous devrions étudier de possibles compromis et trouver un chemin que nous puissions tous emprunter ensemble.
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À la suite des élections présidentielles de mai 2025, le gouvernement polonais a été remanié et le ministère de la Société civile supprimé.
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À ce sujet, lire Viviane Tchernonog et Lionel Prouteau, Le paysage associatif français — 4e édition, Dalloz, 2023.
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Après la démission d’Agnieszka Buczyńska en octobre 2024, Adriana Porowska devient la ministre de la Société civile jusqu’en juillet 2025.
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Créé en octobre 2017 à l’initiative de Piotr Gliński, président du Comité d’intérêt public, l’Institut national de la liberté (National Institute of Freedom) est également appelé Centre pour le développement de la société civile. Pour en savoir plus, rendez-vous sur niw.gov.pl/en/about-nfi/.
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Lire à ce sujet David Vandenberg, « D’un océan à l’autre, le Canada connaît une pénurie de bénévoles », Tribune Fonda n° 263, septembre 2024, [en ligne].