Économie sociale et solidaire Associations et démocratie Modèles socio-économiques

La crise, échanges et débat

Tribune Fonda N°195 - La crise - Février 2009
La Fonda
Échanges des administrateurs de la Fonda sur le débat initié au conseil d'administration de la Fonda sur les opportunités et menaces de la crise sur notre modèle de société.
La crise, échanges et débat

Frédéric Pascal évoque ensuite l’intervention de Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international au Conseil économique, social et environnemental. Reprenant les propos de ce dernier, il indique que la crise financière que nous vivons ne doit pas nous faire oublier la situation du milliard d’individus qui ne mangent pas à leur faim, accèdent peu ou pas à des soins ou à la formation. Nous devons avoir conscience que leur situation dans les prochains mois sera pire que la nôtre. Il faut être de toute manière convaincu qu’il n’existera pas de solution durable à nos problèmes sans le prendre en compte. Leur pauvreté et leur misère rendront impossible toute création de richesses.

En ceci, la coopération nouvellement affirmée au cours des dernières rencontres internationales (G20) porte une parole déterminée et précise. Mais le drame est l’absence de toute institution ou structure internationale pour mettre en œuvre ces décisions, à l’image de ce que nous avons avec les institutions européennes. Enfin, la situation actuelle renouvelle des idées apparues avec la crise dans les années 70 (croissance zéro, autogestion…). Au-delà de certains archaïsmes, nous pourrions creuser ces idées.

Jean-Pierre Duport complète son propos initial, en tempérant l’affirmation selon laquelle la crise constitue une chance pour les associations. Pour lui, c’est plutôt un défi, pour peu qu’elles survivent. Les baisses de crédits publics et le risque de voir des campagnes d’appel aux dons catastrophiques peuvent se révéler mortels. Roger Sue intervient à nouveau. Pour lui, le mouvement de l’histoire est du côté du mode de production de la société et de son économie, ce dont les entreprises se sont saisies en raison de leur pragmatisme. Aujourd’hui, nombre d’entre elles s’intéressent, avant toute chose, aux compétences et non plus aux diplômes. La question essentielle pour elles devient la créativité et l’acquisition de nouvelles compétences. Ces entreprises sont sans doute prêtes à passer un accord avec la société consistant à redistribuer le bénéfice qu’elles tirent de l’exploitation des externalités. Pour conclure un accord avec elle, il faut une monnaie d’échange : la dérégulation du travail, qui s’accompagnera d’une nouvelle phase d’automation (ex. de la grande distribution avec la fin probable du métier de caissière) et d’une plus grande flexibilité. Nous devons nous interroger pour savoir quelles sont les forces susceptibles de produire un discours entendable.

Patrick Boulte évoque un travail auquel il avait participé, au cours des années 90, sur les enjeux du développement durable et la responsabilité sociale des entreprises, notamment des professions financières. Plus de dix ans après, il semblerait que les choses n’aient pas évolué favorablement et que les banques n’assument pas leur mission de financement de l’économie. L’univers des investisseurs a été peu touché par les enjeux d’investissement socialement responsable et la durabilité, et par une meilleure prise en considération du long terme. Nous pouvons même être inquiets sur le risque que cette crise nous fasse revenir en arrière en stoppant les évolutions culturelles à l’œuvre sur la durabilité.

Maurice Lefeuvre réagit sur trois points : – la pauvreté du discours politique, dont l’écriture est laissée aux responsables en communication ; – le fait que la déstabilisation des services de l’État touche aussi les entreprises de l’économie sociale, dont le mode de fonctionnement en matière de communication et de gestion des ressources humaines est largement emprunté aux entreprises capitalistes ; – enfin, les effets collatéraux de la crise n’apparaissent pas là où on les attend. Par exemple, les évolutions de la consommation conduisent chacun à ne voir que son intérêt suscitant ainsi une dérive citoyenne. Il nous faut porter un regard lucide et pertinent, mais aussi impertinent. Il nous faut reprendre le discours sur la solidarité, créer de nouvelles coopérations, susciter des débats avec les citoyens …

Pierre Vanlerenberghe conclut le débat en indiquant que les principaux éléments en seront retranscrits. Il indique aussi que les comptes rendus ou verbatim des petits déjeuners seront prochainement publiés sur le nouveau site internet de la Fonda. Mais la question posée au conseil d’administration reste l’appropriation collective de ces données.

Enfin il relève quelques éléments particuliers du débat : – nous assistons effectivement pour le moment plus au retour du volontarisme politique qu’au retour de l’État, du fait de sa désorganisation actuelle liée à la Rgpp ou aux suites encore mal assumées de la décentralisation. Mais, le volontarisme politique au niveau national, comme à l’échelon international, suppose des outils et une participation de la société pour gérer cette transformation vers une économie plus économe et plus redistributrice, d’autant plus si on prend en considération - ce qui est nécessaire - la question du milliard d’humains dans la misère ; – sur la réforme de l’État, il existe une disponibilité, notamment de la part des hauts fonctionnaires, pour des discours sur la manière dont la Revue générale des Politiques publiques est conduite. Par exemple, la mise en concurrence des associations ne sera combattue que dans la mesure où existent des propositions alternatives crédibles pour renforcer l’efficacité de la dépense publique. En ce moment, il est possible de proposer de nouvelles formes de régulation autres que celles induites par trente ans de libéralisme tel qu’il a été impulsé dans les années 70 ; – troisième chose sur le fond, changer de société impose la participation des individus et de nouveaux modes d’organisation ; – dernier point, vos apports indiquent qu’il faut donner un sens à la régulation, par une politique de redistribution d’une autre qualité et d’une autre profondeur dont une des conséquences serait l’augmentation des prélèvements obligatoires.

Guillaume Houzel indique que pour lui cette disponibilité intellectuelle coexiste avec une désorientation des acteurs. Il doute d’un retour durable de la régulation. L’exemple des responsables de la City de Londres est frappant à cet égard. Après avoir collaboré avec le gouvernement pour définir les grands axes du plan de sauvetage du système financier, ils ont refusé d’abandonner la pratique des bonus et de donner des signes montrant qu’ils avaient appris de la crise. Une fois obtenu le message permettant de recréer la confiance par la garantie étatique des crédits, ils considèrent inutile d’aller plus loin, de changer. Dans cette période d’instabilité et de chaos, où les déclarations se succèdent, souvent incohérentes, l’affirmation de la fiabilité du système ne va pas induire de nouvelles règles du jeu ou la promotion d’un nouveau modèle de développement. C’est pour cela que la désorientation est le sentiment dominant actuellement.

Ensuite, nous devons admettre que tout le monde court et nourrit les leurres, comme par exemple tous les discours sur le pouvoir d’achat ou l’économie de la connaissance, réduite au high tech et aux clusters. Nous finissons par croire à des slogans et des projets aux effets marginaux, créant des cercles vicieux nourris par un système uniquement intéressé par le présent. Notre modèle de développement, d’organisation et de régulation politique est épuisé, miné par une forme de dictature de l’immédiateté, où dominent les responsables politiques capables de lancer une réforme par jour, qu’elle ait du contenu ou non.

Dès lors, notre difficulté ne réside pas dans les idées, nous en avons, mais dans notre capacité à trouver les femmes et les hommes porteurs de celles-ci et capables d’agréger l’intention politique à l’action politique. C’est en ceci qu’il n’y a pas que la société qui doit être transformée. Un message doit être adressé à chaque individu, à chaque citoyen. Mais pour y arriver nous devons ensemble stabiliser une fin, nous donner un objectif. Il nous faut orchestrer un récit qui apporte des repères. En ceci, Guillaume Houzel nous appelle à faire « courant de fond » pour non seulement actualiser nos repères au regard de la somme des crises et des bouleversements que nous vivons, mais aussi trouver et proposer les modes d’organisation et d’alliances qui permettront de passer de l’intention à la force.

Jean-Pierre Duport s’interroge sur notre capacité d’élaborer des propositions dans un contexte où certains ont perdu le sens de la mesure. En effet, la crise ne nous a tout de même pas ramené trente ans en arrière. Même pour les marchés financiers, les cours actuels sont ceux de 2003. En ce qui concerne un retour de l’État, nous pouvons aussi nous interroger, compte tenu de la profonde déstabilisation qu’il vit actuellement. Nous assistons davantage à un retour du politique et à l’affirmation d’un volontarisme en la matière.

La situation est une profonde désorganisation des administrations centrales et territoriales, dont on ne perçoit pas encore parfaitement les finalités, à l’image du regroupement des directions départementales de l’agriculture et de l’équipement. Nous sommes en train de détruire un système de compétences. C’est pourquoi nous ne devons pas attendre un « retour de l’État » sur le fond et la durée, si nous ne reconstruisons pas, au-delà d’une affirmation forte d’une volonté politique, une véritable stratégie.

Si la crise révèle une transformation profonde de notre économie vers un « capitalisme humain », il est actuellement difficile de distinguer dans les décisions annoncées aujourd’hui dans l’automobile ce qui résulte d’une adaptation à un marché en récession et le fait de se saisir d’une opportunité pour constituer des marges dont nous n’avons pas forcément besoin. De même, nous devons constater que le choix des étudiants ne va pas obligatoirement dans le sens de la connaissance et de l’investissement, ce qui a pour conséquence de détourner les crédits vers les formations traitant de ces sujets.

Nous ne pouvons donc pas nous contenter des discours et de l’affirmation de nos convictions. Nous devons aussi nous confronter aux obstacles de leur mise en application. Jean-Pierre Duport en pointe trois : l’État, le comportement des entreprises et les choix individuels qui peuvent aller à l’encontre de l’investissement sur le capital humain ou sur une sobriété créative et solidaire.

(Synthèse d’une intervention orale réalisée par la Fonda.)

Opinions et débats
Débat