Pour les deux générations de dirigeants qui se sont succédées après la guerre, celle des pères fondateurs et celle de Mitterrand, Kohl et Delors, la construction européenne a été le projet politique majeur, un projet en forme de dépassement : dépassement des idéologies nationalistes et totalitaires qui avaient provoqué les deux guerres mondiales, dépassement de l’affrontement est- ouest qui portait la menace d’un troisième conflit.
Au regard d’identités politiques vieillissantes et d’ambitions médiocres, l’idéal européen paraissait capable de transcender le rêve historique de grandeur des nations européennes pour le projeter dans l’univers sans frontière de la modernité. Mais au moment même où le traité de Maastricht, en 1992, instaurait la citoyenneté européenne, la politique conduite à Bruxelles amorçait une dérive qui n’allait cesser de l’éloigner des citoyens de ses États-membres.
Derrière l’apparent succès de l’euro, la troisième génération des dirigeants européens n’aura pas su construire autre chose qu’une sorte de tribunal de l’Inquisition néo-libérale mesurant toute règle et toute justice à l’aune de la concurrence libre et non faussée et de la performance financière. La montée des populismes traduit-elle autre chose que le ressentiment des peuples d’Europe devant l’indifférence des élites à leurs rêves et à leurs conditions d’existence ?
La crise du projet politique n’a cependant pas empêché l’Europe de se faire dans les esprits, dans les cultures et dans les modes de vie. Le grand marché, la monnaie unique, les réseaux de transport contribuent à l’émergence de ce que Fernand Braudel aurait appelé une « civilisation matérielle » européenne.
Avec l’arrivée à l’âge adulte et bientôt au pouvoir de la génération Erasmus, une sorte de cosmopolitisme européen, alimenté par les migrations et largement ouvert sur les autres continents, se construit par les couples et les familles recomposées avant que d’avoir trouvé son expression démocratique.
Autant la démocratie représentative reste étroitement tributaire des traditions et des microcosmes politiques nationaux, autant l’innovation sociale, les courants culturels, les mouvements sociaux se font écho d’un pays à l’autre. Le paradoxe de notre continent est peut-être là : l’idéalisme européen s’est noyé dans les eaux glacées de l’équilibre budgétaire mais une société européenne se forme sous nos yeux.
C’est dans ce contexte que nous posons à nouveau la question du rôle des associations en Europe. Il nous semble qu’elles ne peuvent se contenter de n’être qu’un lobby de plus à Bruxelles avec un bureau d’experts capables de trouver leur chemin dans le dédale des directives, des règlements et des non-papers.
Ce travail, nos amis qui se sont battus pour faire reconnaître les services sociaux d’intérêt général l’ont fait ; il était nécessaire, il ne peut être suffisant pour redonner vie à un espace de citoyenneté partagée. Quelles causes défendre, quels réseaux animer, quelles expériences partager, quelle langue parler qui ne soit pas cet anglais désincarné des documents de la Commission, en un mot que faire ensemble pour redonner à l’Europe un futur qui parle à l’imagination de ses citoyens ? Les contributions rassemblées ici approfondissent davantage ces questions qu’elles ne donnent de réponses.
Du moins le font-elles en des termes renouvelés, dégagés des crispations qui ont marqué le débat français sur l’Europe depuis le référendum de 2005. La citoyenneté européenne ne sera ni un produit dérivé de l’administration ni un défilé de postures électorales mais une reconnaissance mutuelle venue de l’action.
Ce n’est pas d’un statut que les associations ont besoin en Europe, mais d’un programme Erasmus de projets à imaginer et à défendre en plusieurs lieux et en plusieurs langues de notre continent.