Associations et démocratie

Europe et associations, une symbiose peu visible mais active

Tribune Fonda N°241 - Une Europe inclusive, avec et pour les citoyens - Mars 2019
Patricia Andriot
Patricia Andriot
Et Chloé Sécher, Réseau des collectivités territoriales pour une Économie solidaire (RTES)
À côté de l'Europe perçue comme libérale et technocratique, se construit une Europe des coopérations à laquelle participent largement les associations, encouragées par différents programmes et financements. Mais des freins subsistent qui peuvent être dépassés si les politiques européennes sont co-construites et appropriées par les acteurs dans les territoires.
Europe et associations, une symbiose peu visible mais active
École transfrontalière de coopération en économie sociale et solidaire. © Nous vérifions

« C’est la faute à l’Europe » comme dans bien des domaines, l’Europe a bon dos pour décrire ce qui ne va pas : subventions qui arrivent trop tard et tuent les petites associations, cadres juridiques qui ne prennent pas en compte la réalité associative à la française, normes et technocratie abondantes pas adaptées aux logiques plus informelles du monde associatif et du bénévolat…

Pourtant, si on change de focale, l’Europe et ses financements offrent des opportunités et même un cadre favorable aux activités des associations et au déploiement de leurs valeurs coopérative, de solidarité et d’utilité sociale. À condition qu’acteurs et collectivités s’en emparent et défendent, ensemble, un projet européen plus solidaire.


L'implication des associations dans les coopérations européennes


La réalité de la construction européenne doit également être mesurée par l'ensemble des coopérations  portées par des associations

À trop voir une Europe ultra-libérale, perçue comme technocrate qui se construit d’abord sur le principe de libre circulation des capitaux, on en oublie que l’Europe se construit aussi sur une volonté d’abolition des frontières et d’échanges entre les personnes, qui s’incarne par des cadres juridiques et de nombreux programmes.

À commencer par les programmes de coopération européenne, qui à travers la diversité des points de vue et la richesse des échanges qu’ils induisent permettent une véritable montée des savoirs et des compétences, bon moyen d’avancer sur le développement durable à toutes les échelles. Il ne faut pas négliger le puissant levier d’action que constituent l’échange de pratiques et la découverte de solutions trouvées par d’autres territoires face à des préoccupations proches de celles vécues.

Ces coopérations permettent également, par l’inter-connaissance entre européens, de développer une culture européenne des personnes impliquées. Si on garde en tête que l’Europe est la construction d’un projet politique commun, le renforcement de la culture européenne apparaît comme un véritable enjeu.

Or les associations se sont largement emparées de cette dynamique et participent structurellement aux programmes d’échanges et de coopérations. Certains programmes européens sont fortement investis par les associations, c’est par exemple le cas du programme Erasmus + qui favorise les mobilités et les coopérations dans les domaines de l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport et a donné lieu à de très nombreux projets impliquant des associations de jeunesse et d’éducation populaire.

Les exemples nous montrent que ces coopérations contribuent au développement local et au développement des écosystèmes locaux. C’est le cas du projet Interreg Espagne, France, Andorre ETESS pour la création d’une école transfrontalière en économie sociale et solidaire (ESS) s’appuyant sur le maillage des acteurs locaux. Citons également le programme de coopération Urbact de réseaux de villes afin de développer des programmes d’action locaux en étroite association avec les parties prenantes du territoire.

La ville et l’eurométropole de Strasbourg ayant participé au réseau Urbact Boostinno sur l’innovation sociale, a ainsi avancé, en lien étroit avec le conseil de l’ESS, sur quatre axes de travail : le développement de l’écosystème d’innovation sociale ; la co-construction du label Territoires zéro déchet zéro gaspillage ; la co-construction d’une démarche de soutien aux initiatives collectives des habitants ; le travail sur l’impact social des politiques publiques d’ESS.

Parce qu’ils s’appuient toujours sur un écosystème local, ces projets de coopération européenne participent de la reconnaissance du rôle joué par les associations et autres structures de l’ESS dans le développement local mais ils participent également d’une reconnaissance réciproque de ce type de structures à l’échelle européenne.


Des institutions européennes favorables à l'économie solidaire


L’ensemble des fonds et programmes européens répondent à un cadre politique, celui de la Stratégie Europe 2020 qui vise le développement d’une croissance « intelligente, durable et inclusive ». Les priorités nationales ou régionales limitent parfois l'effet levier de ces fonds pour les projets de l'ESS. Les programmes sectoriels gérés directement par la Commission Européenne sont souvent davantage reliés à des objectifs en lien direct avec des enjeux de développement durable et incitent aux coopérations entre acteurs qui renforcent la dimension coopérative et à but social des projets soutenus.

Le Fonds social européen (FSE) est bien connu des associations mais il existe d’autres Fonds européens structurels et d’investissement (Fesi). Le soutien aux projets associatifs et d’ESS est variable d’une région à l’autre et dépend notamment de la façon dont les programmes opérationnels (PO) régionaux ont été déclinés. Certains contiennent un objectif spécifique dédié à l’ESS, comme le PO Alsace qui a permis par exemple de mobiliser du Feder sur la construction d’un bâtiment pour une communauté Emmaüs. Il y a donc un enjeu à ce que collectivités territoriales et acteurs associatifs participent aux discussions pour l’élaboration des accords de partenariats et défendent le fléchage d’une partie de ces fonds sur l’ESS.

Les fonds et programmes européens permettent aussi le développement d’innovations sociales. L’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), qui aide des personnes éloignées du marché du travail à créer leur entreprise grâce au microcrédit, n’aurait pas pu voir le jour il y a trente ans sans le soutien pendant ses cinq premières années du programme d’action communautaire « Pauvreté 3 ».

Plus récemment l’initiative Actions innovatrices urbaines a par exemple permis à la ville de Lille de réhabiliter une ancienne friche industrielle en un lieu dédié à l’alimentation durable. L'Europe crée des cadres qui favorisent le développement durable au niveau local en se fixant des objectifs qui peuvent pousser les États membres à aller dans le bon sens sur ces questions : la transition vers une économie européenne plus verte représente 25 % de la proposition de budget 2021-2027 présentée par la Commission européenne en mai 2018, aux associations de s’en emparer.

Notons aussi que les financements européens participent de la structuration des associations, via le financement de réseaux associatifs, du Dispositif local d’accompagnement (DLA) et de façon plus indirecte, l’exigence européenne en matière d’évaluation, qui peut certes avoir des conséquences négatives, a également permis aux associations de s’approprier les enjeux de l’évaluation de leurs actions.


Un tableau si rose, vraiment ?


Bien sûr, ni ces bonnes pratiques, ni ces objectifs de politiques publiques vertueux ne doivent dissimuler les freins et difficultés rencontrées par les structures dans la mobilisation des fonds européens, ni même l'existence de cadres européens peu ou pas adaptés à la réalité des porteurs de projets qui innovent au quotidien sur les territoires pour répondre aux enjeux sociaux, économiques, environnementaux et démocratiques. Il y a là un véritable enjeu à faire bouger les lignes.

C’est en ce sens que travaille le Groupe d’experts de l’économie sociale et des entreprises sociales (Geces) auprès de la Commission européenne, auquel a participé le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES), qui a présenté en 2016 un plan d’actions pour le développement des entreprises sociales en Europe.

Certaines collectivités territoriales se sont directement emparées de la problématique de l’accès des fonds européens aux structures de l’ESS en développant des outils pour dépasser ces difficultés. C’est le cas de la région Nouvelle-Aquitaine qui a mis en place un dispositif spécifique pour appuyer la création d’activités et l’emploi dans le champ de l’ESS : le dispositif Ampli (Appui aux micros-projets locaux innovants).

L’enjeu de la simplification administrative est bien identifié et largement partagé à l’échelle européenne. Précisons que les cadres contraignants ne sont pas toujours de responsabilité européenne et la France est particulièrement « mauvaise élève » en la matière. Dans d’autres pays, les cofinancements nationaux sont automatiques, les organismes intermédiaires sont de véritables pôles d’accompagnement au montage et suivi des projets européens (et non des organismes de contrôle), etc.

Mais cela suppose que les élus, les structures et les citoyens s’emparent de ce projet européen et se l’approprient à l’échelle territoriale. L’Europe invite à travailler les enjeux de co-construction et partenariats territoriaux : les accords de partenariats prévoient ainsi qu’États membres, collectivités territoriales et l’ensemble des parties prenantes participent à la co-définition des priorités opérationnelles des FESI. Le programme Leader (mesure Feader) est très intéressant de ce point de vue : le projet doit émaner du local et la gouvernance doit être portée par la société civile.

Enjeu d’actualité essentiel, la question de la co-construction des cadres et des priorités politiques est certainement la clé pour rapprocher les citoyens du projet européen, renforcer la cohésion sociale, œuvrer pour contrecarrer les fractures sociales qui se renforcent, et co-élaborer un projet européen plus solidaire, essentiel au maintien du projet de paix qui a gouverné son fondement.
 

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