Nombreuses sont celles qui ont impulsé et structuré les orientations en la matière, et continuent sans relâche d’en renforcer les exigences. Cependant, si l’enjeu consiste à soumettre les associations aux mêmes contraintes de reporting et de contrôle que celles qui étaient au départ destinées aux grandes multinationales pesant le plus lourd sur les grands équilibres sociaux et environnementaux, l’analogie semble inopportune. L’essentiel serait-il donc invisible pour les yeux ?
Comme le rappelle Dominique Pestre, le développement durable n’est pas « une chose ou une pratique univoque dont nous pourrions simplement dire la vérité », il brasse une multitude de points de vue et peut évoquer tout aussi bien une sortie radicale de notre modèle de développement comme une certaine forme de continuité de nos modes actuels de production et de consommation.
À l’échelle organisationnelle, la porte d’entrée reste cependant souvent la même possibilité en apparence offerte d’améliorer un fonctionnement, une image, de réaliser des économies, de développer l’innovation, de résister à différentes formes de concurrence, de limiter les risques… Les exemples sont nombreux et séduisants, dignes de véritables success stories.
Plus rares sont les manières de l’aborder invoquant la possibilité offerte par celui-ci de discuter du rôle de chacun dans la société, d’analyser la portée de nos actes, de développer une cohérence plus profonde entre pensées et actions, de raviver un élan démocratique, ou encore d’affirmer la dimension politique d’un projet. Le véritable enjeu n’est-il pourtant pas là ? Nous en serions en effet presque à oublier qu’en filigrane, notre modèle de « développement » vacille, et ne semble aujourd’hui reconnu durable, ni sur le plan environnemental, ni sur le plan social et économique, d’où l’émergence de la notion de développement durable. La nécessité de construire sur de nouvelles bases la société de demain est donc bien là, impliquant des échanges, des actions, mais aussi une profonde introspection autour de nos pratiques pour que des changements s’opèrent.
Nous pouvons comprendre que la première série d’arguments, d’ordre pratique, tout droit sortie du vocable de l’entreprise peine à s’enraciner dans les pratiques associatives. C’est peut-être par peur de voir surgir certaines lacunes, et il est vrai que, même si l’impact social et environnemental des associations n’est pas comparable à celui de grandes multinationales, celui-ci n’est pas neutre et elles ont certainement des progrès à faire en ce sens.
Nous pouvons toutefois douter que cela soit une porte d’entrée pertinente pour susciter une adhésion d’ampleur à un mouvement de développement durable encore en construction. Cela conduirait surtout à conclure hâtivement que les associations font moins bien que leurs consœurs du secteur marchand, ce qui ne souffre pas la comparaison. Une dure réalité prévaut en effet pour nombre d’associations. Dans un contexte où les financements publics s’amenuisent, elles défendent un bien commun défini par leurs membres, maintiennent des prestations ambitieuses, et n’ont de temps que pour cela, comptant souvent sur l’engagement indéfectible de nombreux militants.
Pourtant, et simultanément, le monde continue son perpétuel mouvement. Les signes d’essoufflement se font plus nombreux, les messages d’alerte plus retentissants et à en croire nombre d’experts, des perspectives alarmantes s’accentuent, dues en grande partie à nos modes de consommation et de production.
Il semble donc aujourd’hui important que des espaces de débat se multiplient, de nature à interroger la conception même de l’économie , sans renier la part de responsabilité que chacun d’entre nous porte dans ces mécanismes. Les associations, qui n’ont pas pour principale préoccupation la recherche du profit, ne sont-elles pas en mesure d’éclairer, de formuler des propositions plus désintéressées, prenant mieux en compte une véritable préoccupation de l’intérêt général ?
En ce sens, la deuxième série d’arguments, plus politiques, plaidant pour une approche beaucoup plus réflexive du développement durable, semble progressivement trouver au sein des associations un véritable écho et une manière d’asseoir une nouvelle légitimité pour ces organisations dans le débat autour de ce mouvement, et plus largement à l’échelle sociétale.
Les associations, souvent partagées entre une instrumentalisation au service des objectifs fixés par la tutelle publique et un capitalisme à la recherche d’une relégitimation, ne sont-elles pas finalement au cœur des préoccupations autour de ce mouvement de développement durable ? Tout en remplissant leur premier objectif qui consiste à agir localement, n’ont-elles pas oublié de repenser globalement ? L’essentiel n’est donc pas invisible pour les yeux, mais un rappel au militantisme associatif « originel » dont l’objectif est de peser dans les débats pour qu’une réelle économie plurielle puisse vraiment exister. Rappelons une nouvelle fois quelques chiffres propres au monde associatif.
À l’échelle nationale il pèse quatorze millions de bénévoles et deux millions de salariés, autant dire qu’une personne sur trois en France participe à un projet associatif, et c’est plus ou moins toute la population française qui bénéficie des services proposés. Il serait certainement utopique voire dangereux que les associations convergent vers des positions communes, mais avec un tel pouvoir communicationnel et une telle proximité des populations, leur force est bien réelle. Enfin, les associations consomment et produisent, et, au travers de cela, opèrent des choix, qui eux-mêmes participent à un modèle de développement.
Gardons et usons de cette liberté, et n’oublions pas de l’éclairer au regard de nos espérances pour les générations futures.