Associations et démocratie

Associations et renouveau du politique : rencontre avec les élus

La Fonda
Compte rendu du séminaire de la Fonda tenu à l'Assemblée nationale le 6 avril 2006 sur les liens entre le politique et les associations.
Associations et renouveau du politique : rencontre avec les élus

« À l’aube du XXIe siècle, la démocratie est à la fois triomphante et incertaine. L’évidence, désormais universellement revendiquée de ses principes, s’accompagne en effet d’une perplexité croissante sur la nature et sur les formes de son accomplissement. Sous toutes les latitudes se multiplient les interrogations à l’heure où la globalisation brouille son territoire même. Une contradiction essentielle semble désormais la traverser. D’un côté les hommes et les femmes aspirent à prendre toujours plus directement en main leur existence et font pour cela de la constitution d’une société civile forte et autonome la condition de leur émancipation. De l’autre, ils expriment une demande accrue de politique pour renforcer leur capacité à maîtriser un destin partagé. Aspiration, d’un côté, à davantage de pluralisme et de décentralisation, à l’extension des contre-pouvoirs et à un contrôle des institutions démultiplié au plus près des réalités. Recherche, de l’autre, d’un lieu central dans lequel puisse s’exprimer et prendre forme une volonté commune efficace, conjurant le péril d’une “ gouvernance sans gouvernement “. C’est de là que procèdent aujourd’hui de multiples conflits portant sur la légitimité et la représentativité respectives des institutions publiques et politiques et de la société civile. » Pierre Rosanvallon, Le modèle politique français, Paris, Seuil, 2004.


Première partie


Présentation du séminaire par Jean-Pierre Worms, président de la fonda

Après l’accueil des participants par Gilles Carrez, dont l’intervention est intégrée dans la partie II de ce compte rendu, Jean-Pierre Worms remercie d’abord ceux qui ont aidé à la réalisation de ce séminaire :

  • l’Assemblée nationale pour l’accueillir dans ses locaux et avoir soutenu les travaux dont il est le prolongement,
  • les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale pour l’avoir placé sous leur haut patronage,
  • et particulièrement, à l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, rapporteur général du budget et Jean-Luc Warsmann, vice-président et, au Sénat, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, pour avoir accompagné sa préparation.

Il rappelle ensuite les « règles du jeu » dont tous sont convenus pour éviter toute forme de « langue de bois » ou discours accusatoire durant cette rencontre et remercie d’avance élus politiques et responsables associatifs de s’y prêter.

  • Les questions proposées au débat sont celles des associations rencontrées par la fonda. Elles ne sont pas reprises ici pour « interpeller » les élus mais pour leur permettre de s’en saisir afin de les reformuler de leur point de vue.
  • Il est présumé que ces questions, tous les élus se les posent, quelles que soient leurs préférences partisanes. Elles ne pourront donc être utilement débattues que si personne ne cherche à en faire le prétexte d’affrontements politiques.
  • Cette rencontre entre élus politiques et acteurs de la société civile ne relève pas de la mise en cause des uns par les autres ou vice-versa. Elle veut, au contraire, provoquer entre les uns et les autres un échange d’analyses et de réflexions sur une crise politique où ils sont tous impliqués. C’est même cette implication partagée qui justifie et nécessite d’engager le dialogue.

Jean-Pierre Worms rappelle enfin les deux entrées dans cette problématique de la crise du et de la politique : questions au politique, à son champ, à ses espaces, à ses temporalités ; questions à la politique, à ses pratiques, à ses acteurs, au fonctionnement de la démocratie. à l’issue de deux années d’auditions et de rencontres « sur le terrain » avec des associations de quartier – en Ile-de-France, Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées, principalement dans des quartiers relevant de la politique de la ville – et après un séminaire réunissant l’ensemble de ces interlocuteurs, la fonda a choisi de regrouper sous ces deux rubriques les interrogations associatives afin de les soumettre à la discussion d’élus politiques à l’occasion du présent séminaire. Jean-Pierre Worms renvoie alors à la formulation de ces deux ensembles de questions dans le texte introductif envoyé aux participants :


Questions au politique

De nos investigations, une question centrale émerge : n’assiste-t-on pas à un double mouvement par. La « question politique » sort des murs où on l’avait traditionnellement confinée pour se répandre dans le champ social sans savoir pour autant comment y intervenir, en même temps que la « question sociale » envahit de plus en plus l’espace réservé du politique sans mieux savoir s’y positionner. Ce qui questionne immédiatement les rapports entre les institutions de la société politique et les organisations de la société civile.

Nombre d’associations ont le sentiment que « les politiques » délaissent, par ignorance ou par impuissance, des questions essentielles qui préoccupent les citoyens, relatives aussi bien aux problèmes concrets et immédiats dont dépend la qualité de leur vie quotidienne (intégration et cohésion sociale dans leur environnement immédiat, égalisation des chances notamment en matière d’accès à l’école et à l’emploi, relations interculturelles et intergénérationnelles, qualité de l’habitat, solidarités de voisinage et solidarités urbaines, incivilités, insécurités…) qu’aux problèmes plus généraux et plus lointains dont dépend l’avenir de leurs enfants (réchauffement de l’atmosphère, déséquilibres écologiques, économiques et démographiques, menaces sur la santé, développement des intégrismes et des violences…). Elles ressentent cela comme une division implicite du travail où les politiques, enfermés dans les espaces institutionnels de leurs circonscriptions et la durée de leurs mandats électoraux, renvoient aux associations les questions relatives à la qualité de la vie sociale et au lien social, celles de la proximité et de la quotidienneté, ainsi que les questions relatives à l’avenir de la planète et de l’humanité, celles des horizons spatiaux et temporels plus lointains. Le local et le global aux associations, le niveau intermédiaire aux politiques. Face à ce qu’elles vivent comme une division du travail, les associations se sentent investies de la responsabilité de reconstruire le sens de l’action publique, en tentant d’articuler les espaces et les temps de sa mise en œuvre et en réunifiant, par une vision transversale, un champ social excessivement fragmenté par les découpages verticaux et sectoriels de son traitement administratif. Ce faisant, les associations questionnent les politiques sur la nature même de leur fonction.


Questions à la politique

On est, dès lors, confronté au paradoxe suivant concernant le fonctionnement de la démocratie. De plus en plus d’associations, alors même qu’elles affichent leur méfiance à l’égard de la politique, de ses institutions, de son personnel et de ses procédures, s’affirment en même temps comme acteurs politiques et revendiquent d’être reconnues comme tels. Certaines poussent le paradoxe jusqu’à entrer dans l’arène de la compétition électorale pour s’inscrire dans les cadres institutionnels qu’elles récusent. On retrouve cette même ambivalence chez les individus eux-mêmes : leur désaffection vis-à-vis des élections et des partis politiques coïncide avec un niveau élevé d’information, d’intérêt et de volonté d’intervention politique. Ces observations confirment le constat désormais généralement admis qu’il n’y a pas dépolitisation des Français mais récusation croissante des formes que revêtent les fonctionnements politiques.

Les premières questions qui reviennent fréquemment chez les associations rencontrées concernent la représentativité des élus politiques (en termes d’origine sociale, de sexe, de génération, d’origine ethnique) et la relative fermeture sur elle-même d’une « classe politique » auto-reproduite (cumul, longévité et transmission familiale des mandats…).

Suivent des questions relatives au mode de fonctionnement de la démocratie représentative. Á ce qu’elles perçoivent comme un fonctionnement en circuit fermé, sourd et aveugle aux mouvements profonds du corps social, les associations rencontrées opposent leur proximité et leur écoute du terrain, leur fonctionnement en réseaux ouverts, la mutualisation et le partenariat interassociatif.

Ces fonctionnements en réseaux en phase avec l’individuation des engagements politiques, où l’individu se revendique directement comme acteur politique sans nécessité d’une quelconque médiation, mettent fortement en cause les formes anciennes d’organisations collectives fondées sur la délégation, y compris au sein du monde associatif.

Prolongeant cette première série de questions, sont celles qui touchent aux rapports entre « acteurs politiques » et « acteurs sociaux », statut dans lequel on enfermerait volontiers les associations. Celles que nous avons rencontrées contestent la prétention des institutions politiques à jouir d’un monopole de légitimité en matière de décision et de mise en œuvre politique. Elles posent le problème d’un partenariat politique qui ne soit pas simple instrumentalisation, de l’organisation d’une responsabilité politique partagée entre société politique et société civile, dans l’animation du débat public, dans l’élaboration d’une politique publique et dans son application… et, plus généralement encore, dans la construction de « l’intérêt général ».

à un niveau encore plus global, les questions que les associations rencontrées posent à la politique sont celles de l’articulation nouvelle à trouver entre une démocratie d’engagement, c’est-à-dire une démocratie entreprenante, et une démocratie de délégation inscrite dans des procédures institutionnelles. Par là, elles s’interrogent sur ce que pourraient être les modalités d’exercice d’une citoyenneté active, source d’un renouveau de la politique et de la démocratie, et elles s’efforcent, là où elles interviennent, de les expérimenter et de les évaluer.


Deuxième partie

Interventions des participants


Identification des origines et aspects de la crise du politique

Les fondements du lien social
Pour Jean-Pierre Balligand, c’est la profonde « déconstruction du modèle républicain » qui est une des principales causes de la crise actuelle du politique, et de la coupure croissante entre monde associatif et monde politique. La panne de l’ascenseur social, fondement du pacte républicain, apporte de la complexité à la situation et pose les questions du racisme, de l’exclusion, de l’urbanisme, avec une acuité particulière. Le problème de l’emploi est ainsi déterminant. (Jean-Pierre Duport)

De même, les acteurs parlent d’une crise de la citoyenneté, du lien entre citoyens et communauté politique. « Il n’y a pas qu’une crise du politique mais aussi une crise de la citoyenneté. (…) Il y a la crise de la représentation mais aussi des idéologies – on n’y croit plus – des institutions, des associations, de tout ce qui transcende l’individu dans sa sphère privée. Et tous les élus, de droite ou de gauche, peuvent le dire : la montée en puissance de l’individualisme privé. Je l’ai vue quand j’ai fait le tour de ma commune au sujet des logements sociaux. 82 % des gens ne veulent pas de logements sociaux. » (Jo Spiegel)

Enfin, Michel Bourgain évoque le poids de notre organisation économique dans la crise du politique, ainsi que de certains facteurs culturels : « Aujourd’hui, le potentiel d’intelligence collective est extraordinaire, mais l’ensemble des relations est enfermé dans une rationalité marchande, matérialiste, occidentale et chrétienne. On a vraiment une rationalité du passé, colonialiste, esclavagiste, impérialiste et aujourd’hui la planète entière frappe à la porte et demande à contribuer à l’enrichissement général et donc à façonner une individualité sociale et non plus matérialiste. Cela génère beaucoup de contradictions parce qu’on est enserré dans ce type de relations et on n’évolue pas. » > Comment reconstruire ce lien social qui se délite ?


Les dimensions de l’individualisme
La question de l’individualisme est ainsi abordée abondamment par les intervenants. Comment les élus appréhendent-ils leurs fonctions dans une société d’individus ? (Roger Sue)

L’individualisme présente une profonde ambivalence. Il comporte, en premier lieu, selon les intervenants, des aspects positifs tels que le travail en réseaux, de manière horizontale, ou la mobilisation associative qui constitue un canal d’expression et de construction identitaire des individus à travers le collectif. « Sur la montée de l’individualisme, j’ai tendance à penser qu’il y a certes une montée des égoïsmes et des replis identitaires mais il y a aussi une très forte mobilisation. J’ai été préfet d’un département et je trouve qu’il y a une formidable mobilisation des acteurs locaux et quand je suis arrivé en Seine-Saint-Denis, c’est cela qui m’a frappé en premier. Je dirais qu’il y a des choses qui sont très ambivalentes là-dessus. » (Jean-Pierre Duport)

Il y a en effet « une autre face de l’individualisme », « une sorte de rejet de l’acceptation de l’intérêt général » (Jean-Pierre Balligand), un repli sur la sphère et les intérêts privés, au détriment de l’intérêt général. Martine Lignières Cassou parle à ce sujet de « fractionnement, d’émiettement ». L’accroissement des connaissances et du progrès technique accélère le phénomène. (Michel Piron) « Le politique est à la recherche parfois désespérée de ce que l’on appelle l’intérêt général. Loin de moi l’idée de dire que le politique a le monopole de l’intérêt général. Mais nous observons que l’intérêt général est de plus en plus un kaléidoscope de contradictions, d’aspirations diverses. » (Gilles Carrez)


Comment dessiner les contours de l’intérêt général dans une société d’individus et concilier la multitude d’intérêts privés ?

Ce phénomène interroge également les acteurs associatifs. Le citoyen apparaît en effet, de plus en plus, comme un consommateur aussi bien de services publics, que des prestations associatives. « Je trouve que le phénomène s’aggrave. En tant que maires, nous avons de plus en plus le sentiment que l’intérêt général se déplace vers l’intérêt du consommateur, y compris le consommateur de service public. C’est frappant. » (Gilles Carrez) « Il y a une crise de la représentation politique, mais aussi une crise dans les associations. De même que le citoyen devrait être adhérent actif de la cause politique, l’adhérent associatif devrait être aussi actif ; or il est souvent simplement un consommateur de prestations. Nos habitants, en tant qu’élus nous le voyons, sont plus consommateurs de services publics que citoyens. C’est une question importante. » (Jean-Jacques Hyest) Même lorsque les citoyens s’impliquent dans des processus délibératifs ou participatifs, l’intérêt général est parfois absent, selon Jean-René Lecerf, qui évoque à ce sujet ta tendance « Nimby » (not in my backyard) de certaines mobilisations collectives. « Nous sommes, dans le Nord, très impliqués en ce moment sur un problème de tracé d’autoroute et je peux vous dire que sur ce genre de problèmes le phénomène associatif “ c’est pas dans mon jardin ”, et, dans ces cas là, l’intérêt général est davantage porté par les politiques. J’avais été très déçu, dans les comités de quartier, de voir que les associations de la rue x, dès qu’il était question de la rue y ou z, avaient tendance à quitter la salle, ce qui montre que le phénomène d’individualisme est très fort. » (Jean-René Lecerf)

L’individualisme participe ainsi de la crise de la citoyenneté actuelle, à laquelle sont confrontés les acteurs associatifs et politiques. Roger Sue relativise l’idée de repli sur la sphère privée, que dément l’engagement dans la vie associative, et propose de considérer les choses en termes de « crise du civisme ».

 

> Comment impliquer les citoyens autour de projets collectifs, au-delà de leurs intérêts de consommateurs ? Comment faire en sorte que les aspects positifs de l’individualisme ne se trouvent pas noyés dans ses effets pernicieux ?

Une forte demande d’intervention publique
Selon les acteurs politiques, cet individualisme est associé, comme le dit Pierre Rosanvallon, à une « demande accrue de politique ». Annick Lepetit constate : « C’est quelquefois regardé comme un paradoxe, mais il y a une demande forte d’intervention publique, notamment pour protéger d’un fort libéralisme économique. On le voit bien, à chaque fois, cette question de l’intervention du pouvoir politique dans la sphère économique revient. On voit ainsi ce paradoxe de nos concitoyens qui, à la fois ne font plus confiance à leurs représentants, mais en même temps demandent aussi une intervention forte des pouvoirs publics. »

De même, concernant la loi, les citoyens expriment une « forte demande sociale de lois », selon Gilles Carrez : « Dans nos permanences, s’exprime sans arrêt une forte demande sociale de lois. On a l’impression qu’on va résoudre les problèmes en faisant des lois. »

Ainsi, les élus font face à cette demande forte d’intervention politique, le plus souvent « dans l’urgence » et les citoyens attendent d’eux qu’ils interviennent davantage et ce, de plus en plus vite. Le rôle des médias est évoqué : « On est en train de passer à la télé-politique, au sens de la télé-réalité. Il y a un rapport au temps qui exige de l’immédiateté, de la transparence et qui conduit inévitablement à ne voir que l’apparence. (…) La représentation, c’est de la médiatisation ; or aujourd’hui on voit bien que les médias consacrent l’immédiateté. Cela me pose pas mal de questions ; je crois qu’on aurait besoin de temps, de retrouver de la médiatisation véritable. Cela interroge les journalistes et l’information telle qu’elle est donnée. On aurait besoin de plus d’engagement de notre part aussi. » (Michel Piron)

 

> Comment prendre le temps de la décision à une époque où l’intérêt général apparaît de plus en plus difficile à définir, alors que les besoins sociaux et demandes d’interventions politiques inspirent l’urgence ?

Le rapport à la représentation
Une autre ambivalence de la société française est mise en avant. Les intervenants pensent que les citoyens ont toujours un intérêt fort pour la chose publique et les questions politiques : « Ce pays aime la politique, le débat politique et pense que la politique sert encore. » (Emmanuel Valls) Or, on constate, en France, un très faible investissement au sein des canaux traditionnels de participation politique (partis, syndicats), ainsi qu’une montée de l’abstentionnisme aux élections et des votes extrêmes.

« En tant qu’élu de terrain, au-delà des péripéties politiciennes, des alternances, je pense qu’on n’est pas loin d’un cocktail non pas explosif mais implosif. Nous arrivons à une période où les abstentionnismes et les populismes vont se développer. » (Jo Spiegel)

« Je ne pense pas qu’il y ait une crise de la politique : on n’a jamais autant parlé de politique dans les quartiers, les cités. La crise est bien celle de la représentation. Je crois qu’on est passé du monde du salariat où les conflits se passaient au sein du monde de l’entreprise, au monde de l’urbain, de la ville, où on a le sentiment du glissement du conflit principal. » (Patrick Braouezec)

« Quand on dit qu’il y a un intérêt pour la politique, certes, mais il y a aussi une montée des abstentionnismes et des extrémismes. Il y a donc un intérêt pour le débat politique, mais qui ne s’exprime plus de la même façon, dans les processus démocratiques qui sont les nôtres. Les partis de gouvernement, aujourd’hui, représentent moins de 50 % de la population, donc c’est quelque chose d’inquiétant. » (Jean-Pierre Duport)

La représentativité des élus est ainsi problématique : les intervenants constatent qu’actuellement « tout est confisqué » (Jean-Pierre Balligand) et évoquent le problème de la composition des cabinets ministériels, des assemblées parlementaires et du renouvellement des élites en général.

« Les cabinets ministériels sont remplis de personnes qui ont toutes le même profil, qui viennent toutes de l’administration centrale, qui sont généralement très brillantes. Mais, néanmoins, il y a une pauvreté intellectuelle qui s’installe parce que ce sont toujours les mêmes milieux, des gens qui ont les mêmes formations, les mêmes vues sur la société et qui sont complètement déconnectés des problèmes de société. Quand on est haut fonctionnaire, la précarité, on ne la rencontre pas, ou bien c’est d’avoir à subir une mutation, à changer d’arrondissement, alors qu’on ne le souhaite pas. » (Jean-Luc Warsmann)

« Cela manque de renouvellement, c’est quand même un peu bizarre que ce soit toujours très masculin, très blanc, très cinquantaine d’années. » (Dogad Dogoui) Ainsi, la représentativité questionne directement le lien entre les citoyens et leurs élus, les mécanismes de la représentation politique et sa légitimité. Jean-Pierre Duport déplore ainsi la « dégradation de l’ancrage social des représentants » et Gilles Carrez la « confiscation des fonctions électives par les agents publics ».

La prise en compte des identités et des différences pose également de nombreuses questions. (Mustapha Saadi) « Le repli identitaire naît du refus des identités, qui est perçu comme un manque de considération et de connaissances dans l’espace public. Je crois qu’avec ou sans, notre République devra composer. » (Dogad Dogoui)

Les acteurs constatent également que le monde associatif rencontre des problèmes de représentation, de délégation des pouvoirs, ainsi que de cumul des mandats. Le difficile rapport à la représentation, caractérisé par une forte réticence à la délégation, serait ainsi un trait d’époque aussi bien dans le monde politique qu’associatif. Roger Sue parle d’une société où « l’individu ne se laisse plus représenter et, à la limite, considère que les seuls représentants, c’est lui-même ».

« Si les politiques ont un problème de représentation et de délégation, ce problème se pose aussi dans le monde associatif. Beaucoup d’associations ne se sentent pas du tout représentées par les grandes associations que rencontrent les politiques, à part au niveau local. » (Philippe Durand)

Ainsi, acteurs politiques et associations se trouvent confrontés, en même temps, au problème de leur représentation, et de la représentativité de leurs acteurs qui interviennent dans les sphères importantes de la décision politique. > Comment faire en sorte que la représentation, politique et associative, permette de limiter la distance qui sépare les citoyens et acteurs associatifs, de leurs représentants ?


Le fonctionnement institutionnel et le processus législatif
 Selon Gilles Carrez, « le politique est victime d’une tyrannie de la gestion, de l’administration », et Michel Piron souligne « la complexité du champ institutionnel ». Pour Patrick Braouezec, l’organisation du politique est en crise : « On est dans une société de l’information, du réseau et toutes les structures qu’elles soient politiques, syndicales ou associatives sont encore dans un ancien mode de fonctionnement, vertical. Aujourd’hui, je me demande si la crise que nous traversons n’est pas celle de ces deux mondes qui se télescopent. On est dans une société de réseau où l’individu est au centre. La question est : quelle organisation de la société, et donc du pouvoir politique, doit-on concevoir à partir de là ? C’est là toute la difficulté. »

Une autre difficulté évoquée par Jean-René Lecerf concerne l’instabilité institutionnelle : « Le problème est celui de l’instabilité chronique que nous connaissons en France depuis 1978, le problème de l’alternance. Cela fait qu’aujourd’hui les réformes sont appliquées par des gens qui ne les ont pas votées. Par exemple l’Apa, il y a eu des problèmes d’incompréhension liés à cela. Nous, politiques, devrions apprendre la continuité républicaine puisque l’alternance fait partie de la démocratie et que c’est pas nous qui la choisissons ou qui la refusons. »

Pierre Fauchon évoque le mécanisme électoral, cause de la coupure entre citoyens et représentants politiques : « Le mécanisme électoral ramène à des systèmes majoritaires et explique le fossé entre les deux mondes. C’est particulièrement vrai dans les collectivités locales où on a inventé un système invraisemblable qui fait que la plus grande des minorités peut faire la loi, laquelle est d’ailleurs dirigée par quelques uns. (…) De même à l’Assemblée, je ne parle même pas de l’élection du président au suffrage universel, qui, je crois, est extraordinairement réductrice et fâcheuse. Nous sommes d’ailleurs dans un paroxysme depuis la dernière présidentielle, on atteint le summum du surréalisme. Il n’est pas étonnant que cela crée un sentiment généralisé de frustration. »

Enfin, l’organisation de la décentralisation apparaît inadaptée : « Concernant le niveau local, il est évident que l’évolution de la décentralisation entraîne un certain nombre de dysfonctionnements. On assiste à des situations où un conseil général est réduit à la personne d’un directeur général, qui assume toutes les fonctions, qui a tous les pouvoirs. Cela aboutit parfois à un fonctionnement qui est tout sauf transparent et donc à des dérives, des liens d’interdépendance où tout le monde est obligé de s’autocensurer - que ce soit dans le monde associatif ou chez les élus - par rapport aux notables tout puissants qui ont des masses de crédits considérables qu’ils peuvent affecter de manière assez libre. » (Jean-Luc Warsmann)


> Dès lors, comment améliorer le fonctionnement institutionnel ?

La question du rapport entre associations et instances gouvernantes / élus
Les rapports entre associations et pouvoir politique, dont on sait qu’ils constituent depuis bien longtemps l’une des revendications principales du mouvement associatif, sont décrits comme problématiques. Salah Amokrane explique que les relations entre associations et élus sont conditionnées par la question du financement : les associations se trouvent en position de « quémander des subventions » selon Mustapha Saadi.

« Sur quelle base ? Ce n’est pas en termes objectifs, c’est en termes relationnels, de copinage il faut dire les choses. (…) J’ai rencontré beaucoup d’élus, d’hommes politiques et grosso modo les choses ont été dites : la méfiance, l’instrumentalisation et, en vérité, je crois que l’intérêt général est absent. (...) Pour beaucoup d’associations qui essaient d’agir en proximité, dans les quartiers, la question de l’argent, c’est le nerf de la guerre. Ce qui conditionne le rapport entre l’associatif et le politique, c’est la question du financement. à partir de là, peut-être qu’il y a des solutions à trouver, mais moi je n’en ai pas et je suis assez pessimiste sur le sujet ; c’est autour de la question du financement qu’il faut travailler. » (Salah Amokrane)

C’est ainsi, selon Michèle André : « le politique dit son existence à l’associatif, ce qui pose la question de l’indépendance des acteurs associatifs par rapport à la politique, mais aussi les conditions de la collaboration entre les deux ». Salah Amokrane explique que l’association est contrainte d’être à la fois avec et contre les politiques. Le rôle de contre-pouvoir des associations est évoqué (Annick Lepetit, Gilles Carrez). Eric Oberson souligne également les champs contradictoires dans lesquels l’association se trouve, difficiles à gérer et qui ne facilitent pas sa relation aux acteurs politiques.


> Dès lors, comment équilibrer les termes du partenariat ?

Les élus sont conscients de ce risque d’instrumentalisation, tout en soulignant la nécessité de la délégation de service public et de contrôle quant à l’utilisation par les associations des fonds publics. (Gilles Carrez)

De manière plus large, Hugues Sibille constate le « manque d’intérêt des politiques » pour les questions associatives, prenant pour exemple le faible écho qu’a rencontré la Charte des Engagements réciproques signée entre l’état et le monde associatif en 2001 : « J’ai été fasciné de voir à quel point elle n’intéressait pas, ou peu, les politiques. Il y a eu un acte exemplaire dans ce pays, une charte des droits et devoirs réciproques qui a été signée entre l’état et les représentants associatifs. Le manque d’intérêt des politiques m’a interloqué. (…) Pour moi la particularité française, c’est que l’état est omniprésent et réticent à la société civile. C’est ce que j’ai vécu de l’intérieur, je ne suis pas un homme d’état, je n’y ai passé que quatre ans. Mais j’ai senti une réticence et parfois une hostilité à la société civile et je crois que c’est une particularité française. »

L’omniprésence de l’état, au détriment des acteurs associatifs, est également évoquée par Gilles Carrez : « Le politique à travers la loi, est beaucoup trop présent. On voit qu’il y a trop de lois, qu’elles étouffent le champ du dialogue, de la concertation et de *l’investissement où l’associatif peut faire merveille. »


Le lien entre société civile et société politique
Ainsi, le mode de relations entre acteurs associatifs et acteurs politiques questionne plus largement la place faite aux institutions de la société civile en France, leur prise en compte par les instances gouvernantes, et le degré d’ouverture de la sphère politique à la société civile.

Sur ce dernier point, Patrick Boulte constate la « difficulté d’autosaisine du monde politique par rapport à certaines réalités », et se dit « inquiet de l’organisation des structures intermédiaires » telles que les partis politiques. Il évoque sa difficulté de trouver des interlocuteurs au sein des principaux partis politiques alors qu’il souhaitait leur faire part de travaux sur l’emploi effectués au sein de son association. Dès lors, comment apporter une contribution au débat public, en tant que citoyen, ou en tant qu’acteur associatif ? Comment faire en sorte que l’ouverture des partis politiques sur les mouvements de la société civile soit meilleure ?

Pour Salah Amokrane, la création de listes citoyennes est un canal possible pour « poser une question comme étant politique à part entière », les canaux traditionnels ne permettant que peu de le faire.

Martine Lignières-Cassou constate le manque de capacité des acteurs politiques à « reconnaître d’autres acteurs », qui pourraient permettre de réintroduire de la médiation entre société civile et société politique. « Aujourd’hui, nous, politiques, nous avons du mal à reconnaître et à donner à un certain nombre d’acteurs de la représentation. Nous avons du mal à faire cette reconnaissance là. Or, si nous souhaitons de la médiatisation, ou plutôt de la médiation, ça veut dire aussi qu’il faut être en capacité de reconnaître des acteurs et de leur donner de la légitimité, notamment les acteurs associatifs, syndicaux et les autres acteurs sociaux. Or, avons-nous cela dans nos pratiques, de mettre d’autres acteurs en situation de médiation ? »

De plus, Jean-Pierre Balligand explique que l’organisation même du système politique ne laisse place à aucun contre-pouvoir et qu’il est « pratique » pour les politiques en les préservant des confrontations et des délibérations.

Enfin, Pierre Fauchon évoque les problèmes de communication entre « le pays officiel de la politique, et le pays réel, qui est en grande partie associatif, mais pas totalement », et identifie le fonctionnement institutionnel comme une cause de cette coupure : « Je crois que nous sommes en grande partie victimes, et c’est particulier à la France, de notre système institutionnel. Je crois que les systèmes majoritaires jouent un effet terrible et faussent ce qui devrait être la communication entre les réalités vivantes du pays et les réalités politiques. »


> Comment améliorer la qualité du lien entre les citoyens et leurs représentants, entre associations et élus, entre société civile et société politique ?

Le processus de décision politique
Ces considérations conduisent à évoquer le processus de la décision politique et la place que les acteurs associatifs et la société civile de manière générale y occupent. Ce qui fait la spécificité de la fonction politique selon les élus, c’est l’arbitrage entre les intérêts particuliers, dans le but de prendre des décisions tournées vers l’intérêt général. (Gilles Carrez, Michèle André)

« Je voudrais rappeler que l’élu, en tant qu’élu du suffrage universel, est quelque part redevable de l’aspect général de l’intérêt. (…) Il peut se trouver face à des associations qui représentent un certain nombre de particularités et donc d’intérêt plus partiels. » (Michel Piron)

Le processus de décision politique peut être décomposé en plusieurs phases : le temps de la sensibilisation, de l’élaboration, de la mise en œuvre, et le temps de l’évaluation des actions entreprises. Jean-Pierre Duport constate, à ce sujet, que la France a beaucoup de difficultés dans la gestion des conflits. Ils peuvent être, selon lui, très positifs en amont des décisions politiques : le temps du conflit doit précéder le temps de la décision alors qu’actuellement en France la situation est inversée.

De même, les acteurs identifient un problème de méthode, un manque de consultation. « Sur le problème du projet, il faut fabriquer de la démocratie, l’espace du conflit. Sur le Cpe on voit bien que ce qui n’est pas passé, c’est la façon dont il a été fait, sans aucune consultation. C’est l’exemple parfait de ce qui ne peut pas marcher politiquement, aussi bien au niveau local, national, qu’international. Nous sommes dans une époque où globalement la demande est d’être associé aux décisions. » (Philippe Durand)

Hervé Chaygneaud Dupuy déplore de plus l’inadéquation des processus de consultation et le manque de délibération : « En tant qu’élus de la nation, discutez de la question avec les gens, tous les gens, dans votre circonscription. Mais sollicitez aussi un autre député pour qu’il le fasse ailleurs. Quand vous le faites, c’est avant tout sous forme de consultations individuelles, donc il n’y a pas interaction entre les acteurs. La décision ne l’est pas, mais la construction de la délibération est partageable. »

Ainsi, la question de la manière d’associer davantage les citoyens aux décisions, de manière appropriée, est posée.


> Comment rénover le processus de la décision politique ?


Pistes de réflexion pour un renouveau du politique

Face à ces constats et questionnements, associatifs et politiques s’interrogent ensemble sur la manière de favoriser un renouveau du politique. Au-delà des questionnements propres à chacun des acteurs, de nombreuses pistes de réflexions communes émergent. Ainsi, si les constats de dysfonctionnements sont nombreux, les perspectives d’amélioration le sont aussi. Jean-Pierre Balligand parle de « tisser de nouveau cette affaire, mais à condition de reconstruire un projet qui soit pertinent, et en même temps de reconstruire nos pratiques démocratiques ». Ainsi, tout l’enjeu selon Mathieu Klein, est de « recomposer des règles, un mode de vivre ensemble ».

La nécessité de réintroduire du sens de manière générale est abordée par Manuel Valls : « Avez-vous remarqué, depuis vingt-cinq ans, que plus on a décentralisé, fait des conseils de quartier, plus on a parlé de proximité, plus la césure politique s’est approfondie ? Je pense que cette crise provient du manque de sens. Ce pays croit que tout est politique, donc à partir du moment où la parole politique au niveau national est touchée de plein fouet, c’est l’ensemble du système politique et représentatif sous toutes ses formes, qui est atteint de plein fouet. Cela pose bien la question du sens, la question de l’appartenance de la nation, dans ce vieux pays qui n’arrête pas de se regarder le nombril, et cela pose enfin la question de l’organisation institutionnelle du politique, même si cela n’est pas l’essentiel. (…) Ce pays aime la politique, le débat politique et pense que la politique sert encore. Cela veut dire que la réponse est très globale. Je ne crois plus à l’idée que tout viendrait du quartier et de la ville seulement. évidemment, l’écoute, l’attente, la concertation, l’implication citoyenne sont des éléments indispensables, mais il y a quand même la question du sens. »


Améliorer le fonctionnement institutionnel
La question de la limitation du cumul des mandats est évoquée fréquemment par les intervenants, concernant à la fois le non cumul de mandats simultanés mais aussi dans la durée (Eric Lafond, Annick Lepetit). Jean-Luc Warsmann explique qu’il n’y a pas de lien entre le cumul des mandats et le degré d’implication des élus dans leur fonction et il est souligné le fait que la fonction d’élu est un engagement à plein temps (Eric Lafond). Cela permettrait un renouvellement meilleur des représentants politiques.

Les modes de scrutins font aussi l’objet de commentaires, et Pierre Fauchon pense qu’il faudrait réintroduire des scrutins proportionnels afin de favoriser la représentativité des élus.

L’organisation de la décentralisation pose également problème. « La faillite est en bas aussi. C’est nous les socialistes qui sommes responsables de ça, nous avons construit un modèle d’exercice du pouvoir local sur la base du mandat de maire. On a construit la même chose pour le maire, le conseiller général, le conseiller régional, c’est de la folie ! (…)  Or, il faut dans une démocratie décentralisée qu’il y ait des endroits, de démocratie participative, mais aussi au sein de la démocratie représentative, il faut des assemblées délibératives. » (Jean-Pierre Balligand)

Afin de progresser, l’évaluation du travail des institutions apparaît plus que jamais nécessaire selon Pierre Cardo : « Ce que j’observe dans ces quartiers, c’est qu’on évalue sans arrêt les associations, le travail de la mairie, mais on n’évalue jamais le travail des institutions. L’éducation nationale dans les quartiers, j’aimerais savoir où est l’évaluation ; la police, la justice c’est pareil. Donc on a vraiment l’impression que tout fonctionne parfaitement alors que cela ne répond pas aux besoins. »

Cette observation va dans le sens de Jean-Jacques Hyest, qui affirme qu’il vaut mieux d’abord comprendre les origines des dysfonctionnements institutionnels, avant de penser à changer les institutions.


Repenser les pratiques démocratiques
Concernant le rôle de l’élu dans un premier temps, Michèle André réfléchit aux limites du domaine de compétence des élus. « Sur les handicaps, sur les Ogm, nous sommes souvent l’objet de sollicitations et de courriers d’associations, d’individus. Nous avons ensemble à répondre à la question de notre compétence, de ce que nous pouvons traiter, en considérant que chacun ne sait pas tout, que l’on ne peut pas tout savoir. »

De même, face à la forte demande d’intervention publique, Bernard Seillier explique qu’il faut savoir résister à la sollicitation : « Nous avons peur de dire qu’il y a certaines choses dont nous ne sommes pas responsables. Comme si nous avions peur de perdre le contact avec certains champs. Je pense qu’il faudrait retrouver ce discernement entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas. »

Dans le même temps, est évoquée la nécessité de « réaffirmer la capacité d’agir » des élus. Hervé Chaygneaud-Dupuy les interpelle : « Vous êtes députés, vous êtes la représentation nationale, si vous le voulez vous le pouvez. Faites les choses, reprenez le pouvoir. Il y a plus de vingt ans on pensait déjà à renforcer le pouvoir de la loi, mais ce n’est pas le pouvoir de la loi qu’il faut renforcer, c’est le pouvoir des hommes et de la représentation nationale. »

« On entend souvent l’homme politique dire qu’il ne peut pas faire grand-chose, ou qu’il ne doit pas faire grand-chose. Cela suggère le rétrécissement de la capacité d’agir pour l’intérêt général, et on ne doit pas s’étonner, en tant qu’homme politique, qu’aujourd’hui on choisisse d’autres formes d’engagements quand on veut être citoyen, puisque l’engagement dans la sphère politique est perçu comme impuissant. » (Mathieu Klein)

Ensuite, les participants, aussi bien associatifs que politiques, affirment qu’il faut savoir reconnaître sa part de responsabilité dans les dysfonctionnements actuels (Jean-René Lecerf) et savoir se remettre en question (Mustapha Saadi). Ainsi, suivre des formations, savoir se retirer d’un mandat, prendre du recul et se demander dans quelle mesure son action ressemble aux citoyens représentés, apparaît nécessaire afin d’assurer le caractère démocratique de son action. (Joe Spiegel, Dogad Dogoui, Eric Lafond) « La question de la représentativité se pose dans ces termes : de quelle manière l’élu, dans sa pratique, son discours, ressemble à celui qui l’a élu ? » (Eric Lafond)

De plus, concernant certains problèmes, il apparaît important de savoir se hisser au-delà de ses appartenances propres, et de ne pas « confondre le politique et le politicien ». Jean-René Lecerf évoque des moments privilégiés dans la vie des politiciens, quand ils sont chargés d’être rapporteurs d’un projet ou d’une proposition de loi. Là, il faut savoir aller « au-delà de ce qui est sa famille politique traditionnelle, pour avoir un contact qui paraît franc et loyal ». Mustapha Saadi va dans le même sens : « Je veux bien que le monde soit complexe, que les problèmes soient difficiles à appréhender mais il y a d’abord les comportements personnels, la question de l’éthique. Si la politique c’est s’occuper des affaires de la cité, alors c’est être généreux, faire don de soi, être à la disposition de nos concitoyens. Si la politique c’est rechercher ses intérêts particuliers, de sa formation politique et avoir de soucis que pour sa prochaine réélection, alors comment allons-nous nous en sortir ? »


Un diagnostic partagé sur la qualité du processus démocratique
L’idée d’un diagnostic général sur le sujet émerge, afin de clarifier, de poser les problèmes et de réfléchir à des moyens d’amélioration. « J’ai été impressionné par ce qu’on dit les élus au départ, cela donne une vision vertigineuse de l’état dans lequel est notre vieille République. Ce qui me semble ressortir à ce moment de la discussion, c’est la nécessité de faire un diagnostic pour poser vraiment les problèmes. » (Laurent Marty).

Patrick Viveret avance l’idée d’un « cahier des charges du débat démocratique », afin de mettre la qualité du débat démocratique au centre des préoccupations.

« Je trouve qu’il y a une très bonne nouvelle quand on voit la qualité d’écoute et d’échange dans un débat de ce type : cela montre à quel point nous ne sommes pas condamnés à un monologue de sourds. Il y a un objet proprement politique, démocratique qui peut se constituer. Ce qui fait que ce pays est profondément politique, c’est qu’il est en permanence en train de rechercher la reconstruction d’un espace politique. Je soumets une proposition, qui est liée à ce contraste entre la qualité expérimentale de ce que nous sommes en train de vivre et puis les situations de blocages et de risques régressifs que nous connaissons. Je m’inspire de ce qui est en train de se faire au Brésil. Le Brésil organise un débat démocratique autour de la question “ de quel Brésil le monde a-t-il besoin ? “, c’est-à-dire penser la question de l’identité, les fonctions d’un pays tout en pensant simultanément la question mondiale. Pourquoi ne construirions nous pas ensemble, aussi bien la société politique que la société civile, cet espace intermédiaire d’articulation, (…) les prochaines échéances décisives qui vont venir, et qui le sont tout autant sur le plan national qu’européen et international ? (…) Imaginons l’élaboration d’une charte commune, d’un cahier des charges de ce que devrait être la qualité démocratique des campagnes qui s’annoncent. (…) Construire un espace qui met la qualité démocratique au centre du débat et qui crée du même coup une valorisation de l’ensemble des acteurs. Alors que nous savons bien que nous sommes les uns et les autres, c’est vrai pour les acteurs associatifs comme politiques, que nous sommes dans des spirales régressives où nous participons à des jeux à somme nulle, alors que nous avons tous besoin de produire des jeux à somme positive. Nous avons tous besoin de passer de logiques de rapports de forces à des logiques de dynamiques de forces. à ce moment là, la différence, la divergence, devient un atout : produire du conflit positif, construire des débats forts parce que quand on s’est suffisamment écoutés, la qualité démocratique, relationnelle, est meilleure. »


Appréhender le rapport associations / pouvoirs publics et société civile / société politique
D’autres interventions vont dans ce sens, où le lien entre société civile et société politique constitue un moyen d’amélioration, aussi bien de la légitimité des élus, que de l’efficacité de leurs actions. Hugues Sibille propose de réfléchir dans les termes « gagnants / gagnants », alors que le système actuel est organisé « sur la théorie des jeux à somme nulle, c’est-à-dire ce que je gagne, l’autre le perd ». Pour lui, la société économique est bien plus avancée sur ce point que la société politique et il évoque « la nécessité d’un diagnostic partagé sur la spécificité française du rapport pouvoir politique / associatif (…) y compris les pensées politiques dominantes et leurs rapports à la société civile » de manière à progresser sur ces questions. Michèle André va dans le même sens : « Souvent dans la question du travail en commun, la construction, nous sommes indissociables dans l’activité quotidienne. Mais nous devons réfléchir sur les relations que nous entretenons. »

Jo Spiegel se demande « comment refonder de la responsabilité et de la solidarité dans l’espace public ? ». Il cite la pensée d’Hannah Arendt qui considère que « le pouvoir naît quand les hommes travaillent ensemble et disparaît quand ils se dispersent ». Il affirme : « Pour moi la question fondamentale de la politique est de savoir comment travailler ensemble, avec les habitants, au service du bien commun. (…) Toute la question est de savoir comment sortir de cette schizophrénie pour cheminer ensemble, pour faire l’expérience partagée de l’intérêt général. »

Michel Bourgain s’interroge sur la manière d’« extraire l’intelligence générée par la masse des gens, dans le quotidien », autrement dit, de resserrer le lien entre représentants et représentés. La nécessité d’une confiance renouvelée dans ces relations est évoquée. Martine Lignières Cassou va dans le même sens lorsqu’elle affirme la nécessité de « conférer de la représentation » aux acteurs associatifs, syndicaux et sociaux de manière générale, afin de « réintroduire de la médiation ».

Jean Vilotte propose, à partir de son travail avec le comité de quartier Arnaud Bernard à Toulouse, un concept intéressant pour appréhender cela. Il regrette en effet que le mot « civique » n’existe que dans sa version adjective, et souhaiterait qu’il devienne un substantif caractérisant une notion différente de celle de civisme. De même, le mot civis signifie à l’origine concitoyens et non citoyens, or la citoyenneté ne doit pas seulement être considérée comme une « relation verticale des individus avec le pouvoir », mais aussi comme un lien entre les individus d’une même communauté politique, la concitoyenneté. « Donc je pense qu’en France il faut véritablement regarder les articulations entre les choses, entre le politique et le civique, entre les citoyens et les concitoyens. On ne demande son avis au citoyen que tous les six ans, mais entre temps il ne faut pas laisser cet espace démocratique, il faut le faire vivre à travers le civique. » (Jean Vilotte)

Concernant plus spécifiquement la relation aux acteurs associatifs, François Soulage souligne la nécessité de réhabiliter les outils, qui existent déjà mais qui ne sont pas investis suffisamment, tels que les conventions pluriannuelles d’objectifs ou la Charte des engagements réciproques signée en 2001 : « Dans le monde associatif on passe notre temps à essayer d’être enfin reconnus. Je crois que ce qu’il faut trouver c’est des outils qui permettent une reconnaissance au-delà de l’alternance politique. (…) Dans cette charte nous avons les outils de la codécision. Donc ne construisons pas forcément de nouveaux outils mais rebâtissons quelque chose à partir de ceux-là. Ils sont applicables aux interco, aux communes. Et il y a les outils de l’évaluation. Faisons un travail fort aujourd’hui pour réhabiliter ce qui n’a pas connu le développement qu’il aurait dû. »

Dogad Dogoui pense qu’on doit laisser aux associations une large marge d’initiative et ne pas leur imposer de cadres trop contraignants. La question est donc de trouver un juste milieu entre l’insertion des actions associatives dans le cadre des politiques publiques menées par les pouvoirs publics, et la marge d’initiative à leur laisser, nécessaire à leur fonction d’innovation et de mise en lumière de besoins sociaux non pris en compte.

« On constate combien les associations attendent du politique et combien il y a parfois un cloisonnement fort entre grandes associations œuvrant dans le même domaine. On essaie dans le Nord de lutter contre cet aspect politicien qui pollue quelquefois les relations entre politiques et associatifs. On a pris l’habitude entre parlementaires de tendances différentes de recevoir les associations ensemble pour qu’elles nous exposent les problèmes auxquels elles sont confrontées, et ensuite chacun retourne dans sa famille politique. Le contact est ainsi dépollué de l’aspect politicien. » (Jean-René Lecerf)

Des questions sur la « gouvernance associative » émergent également : sa nécessaire transparence (Gilles Carrez), ainsi que sur sa crédibilité auprès des élus, éléments indispensables sur lesquels il faut travailler (Eric Oberson), sont évoqués.


Quelle place pour la démocratie participative ?
Cette rencontre entre élus et représentants associatifs pose donc la question de leurs rapports, ainsi que plus largement de la place de la démocratie participative comme complémentaire de la démocratie représentative, et ainsi du renforcement de la qualité démocratique dans notre pays.

Le débat public et son organisation sont des éléments importants de la qualité démocratique. Pour Jean-Pierre Duport et Pierre Cardo, accepter le conflit et le placer en amont du processus de décision politique permet de lui conférer un caractère constructif et positif pour la qualité démocratique. « On n’a pas le courage de dire que le problème vient de nous. Aujourd’hui on ne sait pas gérer le conflit en France, on ne sait pas accepter le vrai dialogue. Le conflit doit être accepté, on ne le fait pas, on attend d’arriver à une situation extrême pour discuter. L’échec doit être productif. » (Pierre Cardo)

Gilles Carrez évoque également l’importance de la consultation, ce qui rejoint les observations de Joe Spiegel qui parle de « faire l’expérience partagée de l’intérêt général », celles de Pierre Cardo également qui souligne l’importance du « faire avec » les citoyens dans l’action politique, au même titre que le « faire pour ». Hervé Chaygneaud-Dupuy insiste sur le fait que les élus doivent susciter des consultations collectives, des citoyens isolés mais aussi des associations, sous forme de débats, pour assurer de bonnes délibérations en amont d’une décision politique. Ainsi, Joe Spiegel précise qu’il faut considérer l’amont des décisions comme une phase à part entière de l’activité politique, de « maturation indispensable ».

Mathieu Klein estime ainsi que la démocratie participative est une solution possible, à condition que les citoyens « ne se contentent pas d’attendre chaque renouvellement pour s’intéresser à la vie politique et démocratique ». Il est donc question de la responsabilité de chacun dans le processus démocratique : « La démocratie participative n’est pas seulement une réponse de communication, de “ sauve-qui-peut “ d’une démocratie représentative qui ne s’en sort plus, elle signifie simplement organiser l’échange entre le politique, le citoyen, l’associatif, sur toute une palette de sujets qui n’ont pas fait l’objet de débats au moment des échéances électorales. Il y a des outils variés comme les jurys de citoyens, les conférences de consensus, qui ne sont pas toujours très présents en France et qui peuvent être utiles pour répondre à ce besoin d’échange. »

Roger Sue s’interroge ainsi sur la manière dont les acteurs peuvent co-construire l’agenda politique, et instaurer des mécanismes de démocratie permanente. Jo Spiegel observe : « Je pense que nous sommes tous des enfants de la marchandisation du monde et nous sommes en train de tuer ce qu’il y a en nous de profondément humain, c’est-à-dire l’altérité, la place de l’autre, le fait que l’autre est une chance pour soi même. Arrêtons de dévisager mais envisageons. La démocratie participative, le débat, tout le monde est gagnant dans ces affaires là. »

Jean-Jacques Hyest conclut cette matinée de travail par des observations sur la qualité d’échange du séminaire, et la richesse des pistes évoquées. « J’ai trouvé cette matinée passionnante, avec des choses très importantes, très intéressantes. La réflexion commune est : comment améliorer les choses ? Et même si parfois il y a eu des critiques justifiées, c’est cette volonté d’améliorer les choses qui ressort des débats. »

Jean-Pierre Worms remercie également les participants d’avoir assuré une exceptionnelle qualité des débats dans la forme comme dans le fond. Il les informe que leurs interventions, duement enregistrées, feront l’objet d’un compte rendu synthétique qui leur sera envoyé. Il leur indique que l’intensité de leur intérêt pour ce séminaire incite la fonda à poursuivre et approfondir encore ce dialogue entre acteurs de la « société politique » et de la « société civile », pour faire face ensemble à la crise du politique et de la politique que nous traversons et explorer les conditions de leur renouveau. Il annonce qu’à cette fin la fonda projette l’organisation d’un colloque, en janvier 2007, afin de poser fortement sur la place publique, avant les prochaines échéances électorales, les questions que ce séminaire a commencé de défricher.

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