Associations et démocratie

Association d’intérêt général

La Fonda
Cet article constitue une contribution de la Fonda à la réflexion conduite par Jean-Pierre Decool dans le cadre d'une mission qui lui avait été confiée sur les "associations d'intérêt général". Elle a été publiée dans La tribune Fonda en avril 2005. Elle traite notamment de la question des agréments des associations par les pouvoirs publics et de la nature de la contribution des associations à l'élaboration des politiques publics et de l'intérêt général.

*Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, sous l’impulsion de Jean-François Lamour, ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, a confié au député Jean-Pierre Decool une mission sur les « associations d’intérêt général ». La lettre de mission du 15 novembre 2004 évoque différents axes de réflexion : l’identification des grands secteurs œuvrant en partenariat avec l’État et les formes de cette intervention ; les possibilités d’amélioration de ces relations entre les associations et les pouvoirs publics ; l’étude des conditions des délégations de mission de service public en s’inspirant de l’exemple des fédérations sportives ; la prise en compte des directives européennes sur la notion d’intérêt général.

En mars 2005, la fonda a été auditionnée par le député Jean-Pierre Decool qui l’a invitée à formuler une contribution écrite à cette réflexion. Dans ce sens, une contribution préparée par les membres de son comité « Dispositifs de soutien à la vie associative – Dsva » a été adoptée par la fonda le 12 avril 2005. Autant la fonda manifeste de l’intérêt pour ce sujet de réflexion et la mission parlementaire en cours, autant elle n’estime pas nécessaire de créer un statut de l’association d’intérêt général et ne voit pas sur quels critères celui-ci pourrait reposer.*

La fonda souhaite apporter quelques éléments de réflexion sur cette notion d’association d’intérêt général. Sans anticiper sur les propositions à venir de la mission parlementaire (nouvel agrément, définition de l’intérêt général, octroi de nouveaux avantages aux associations…), la fonda essaie de situer le débat par rapport au contexte associatif et aux enjeux qu’elle peut identifier. En conclusion, sont réaffirmés quelques principes que les propositions doivent respecter.

Une mission parlementaire qui s’inscrit dans un contexte associatif marqué par d’importants bouleversements

Le pouvoir de s’associer avec un but non lucratif constitue une liberté publique fondamentale, qui se décline en plusieurs libertés : choix de l’objet social, d’organisation et de rédaction des statuts, des moyens à mobiliser ou encore des modalités de l’action. Cette liberté fonde une des principales caractéristiques du fait associatif : la prééminence du projet. Contrairement à l’entreprise commerciale où l’action économique est consubstantielle de l’objet, le projet associatif ne peut pas se résumer à son économie ou à ses partenariats financiers publics et privés.

Traiter la question de l’intérêt général du fait associatif implique donc de prendre en compte ces éléments et les évolutions sociales qui les affectent. Toutes les statistiques (nombre de créations d’associations et d’emplois, évolution des budgets…) confirment un fort dynamisme du développement associatif. Mais cette vision quantitative traduit mal le vécu sur le terrain, par de nombreux responsables associatifs, d’une complexification croissante de l’environnement.

Cette complexité, qui n’est pas propre aux associations, présente les caractéristiques suivantes : évolution du bénévolat et de la fonction de responsable associatif, émergence du volontariat, multiplication croissante des partenariats sous l’effet du développement de la territorialisation des politiques publiques, développement de l’hybridation des financements publics (mais aussi privés), mise en concurrence de plus en plus fréquente d’activités traditionnellement associatives, banalisation de la relation avec les pouvoirs publics ou avec le public, judiciarisation de la responsabilité… Le simple détail de toutes ces tendances pourrait être l’objet de longs développements.

Cette complexité se traduit aussi en droit. Ainsi, pour sécuriser ou plus simplement cadrer sa relation avec le secteur associatif, l’administration de l’état a développé de nombreux dispositifs (agrément, habilitation…) qui complètent la distinction incluse dans la loi de 1901 par la reconnaissance d’utilité publique. Le principe d’une reconnaissance au titre de l’intérêt général est aussi présent dans le code général des impôts.

Cet ensemble de dispositions législatives et réglementaires ne présente pas un canevas uniforme d’approches du fait associatif. Ainsi, certains agréments caractérisent une approche par les finalités, dans la mesure où ils prennent en compte le fait associatif et les valeurs du projet. D’autres ne s’intéressent qu’à l’activité. Il s’agit alors d’une approche plus matérialiste qui n’intègre pas la nature de l’opérateur et peut caractériser une forme de banalisation du fait associatif. Tous ces actes, souvent de caractère unilatéral, octroient plus ou moins d’avantages aux bénéficiaires, dont il serait trop long d’établir une typologie. En ce qui concerne les modalités pratiques de leur obtention, on observe là encore une diversité de procédures.

De manière générale, ces modes de reconnaissance des associations et de leurs activités caractérisent souvent une relation privilégiée entre un secteur associatif et un domaine d’action de l’administration (jeunesse, social, coopération…). Face à un environnement en profondes mutations, cet ensemble complexe a régulièrement fait l’objet d’adaptations, souvent dans le cadre d’un dialogue entre le secteur associatif et un ministère. Il est donc possible d’affirmer que l’hétérogénéité des approches n’en constitue pas moins un ensemble avec de fortes cohérences internes.

Dès lors, toute déstabilisation de l’existant aurait des conséquences qu’il est impossible d’anticiper. Or, l’objet de la réflexion sur l’association d’intérêt général est de conforter le fait associatif dans une de ses dimensions essentielles à la vie collective. à l’heure actuelle, les associations sont surtout préoccupées de la consolidation de leurs relations contractuelles avec l’administration. C’est le point de passage obligé pour permettre la pérennité indispensable au développement des projets associatifs. Le travail de proposition de la mission parlementaire devra articuler ces problématiques. Les obstacles sont nombreux et l’un des premiers réside dans l’imprécision de cette notion d’intérêt général.

L’intérêt général, une notion aux enjeux multiples mais difficilement cernables

L’intérêt général, un concept en cours de reformulation

La référence à la notion d’intérêt général peut surprendre dans le contexte actuel. En effet, elle est au cœur des débats de notre pensée politique des deux derniers siècles. Considérant les termes de la lettre de mission parlementaire, le thème de l’intérêt général n’est pas ici à relier à ce débat politique, mais davantage à ses conséquences juridiques. Rappelons que l’intérêt général est un des principes explicatifs du droit public français.

Or, tant sous l’influence de la construction européenne que sous l’évolution de notre société, ce concept est actuellement l’objet d’une complète redéfinition. Pour définir ce qui relève du droit administratif, l’on voit dans l’intérêt général le dépassement des intérêts particuliers comme une expression de la volonté générale. Cette approche légitimait l’intervention de l’état pour dépasser les intérêts particuliers. Or, la contestation de l’état l’affaiblit et redonne une nouvelle jeunesse à une vision utilitariste de l’intérêt général en droit, qui correspondrait à la négociation d’un compromis issu de la libre confrontation des intérêts particuliers. L’influence de la libéralisation des services au niveau européen et le sort réservé à ceux d’intérêt général, notamment ceux qualifiés de services sociaux d’intérêt général, illustrent ces évolutions. Ainsi, semble-t-il difficile de se déterminer par rapport à l’objet de la mission parlementaire : la contribution des associations à l’intérêt général, sans recourir à une simplification. La fonda essaie donc d’identifier quelques espaces pour lesquels cette notion d’un intérêt général distinct des intérêts particuliers revêt un sens, sans se positionner en aucune manière sur ce qui le définit ou le fonde. La participation des associations aux politiques publiques Si l’on pose le postulat que les politiques publiques sont par définition porteuses de l’intérêt général, la participation d’une association à celles-ci lui confère un caractère d’intérêt général. La question devient alors de savoir si ce caractère concerne son action ou sa nature. L’examen des modalités de cette participation apporte des éléments de la réponse faite par l’administration à cette question. Sur le fond, il est possible de cerner quatre types d’enjeux :

Les associations permettent aux pouvoirs publics d’avoir un autre rapport au temps, en réalisant une intermédiation financière (faire du long terme avec du court terme, en permettant des relais entre les différentes collectivités publiques ou en agrégeant des interventions diversifiées).

Les associations sont des acteurs « interstitiels » qui permettent un tuilage entre les politiques publiques et leur adaptation à des besoins individuels ou territoriaux.

Elles sont aussi des opérateurs importants par leur capacité à mixer aides publiques et participations privées. Cette hybridation peut prendre des formes multiples.

Elles ont une fonction anticipatrice des politiques publiques, en permettant d’expérimenter de nouvelles formes d’intervention sociale par une plus grande prise de risques. C’est aussi dans le dialogue qu’elles engagent avec les administrations qu’elles vont favoriser l’innovation publique.

Ce rapport prend des formes complexes au travers des modalités de financement (marché public, délégation de service public, convention pluriannuelle d’objectifs, prix de journée, prestation de services…) et des formes de reconnaissance (multiplicité des agréments…).

Dès lors, poser la question de l’association d’intérêt général reviendrait à s’interroger sur l’existence d’un lien privilégié entre l’action publique et les associations participant à sa mise en œuvre. Notons aussi que certaines associations, à l’exemple de celles œuvrant pour les droits de l’homme, peuvent contribuer à l’intérêt général sans aucun lien aux politiques publiques.

Il s’agit d’un débat politique qui ne peut pas se résoudre par la simple création d’un agrément ou par la réforme de l’existant.

Les associations, un espace collectif pour l’expression d’aspirations individuelles

Le deuxième élément de réflexion porte sur le lien entre les associations et les individus. En introduction, l’on a rappelé que le fait associatif constitue une liberté publique et permet donc à chaque citoyen d’exprimer dans un cadre collectif ses propres aspirations. L’interrogation sur la notion d’intérêt général revient donc à déterminer dans quelles conditions ces expressions individuelles fondent un projet pour la société qui dépasse l’association et ses membres.

L’on retrouve alors la même difficulté que précédemment, à savoir si l’action justifie seule ce caractère ou si la nature associative y participe. Il s’agit là encore d’un débat politique qui doit s’engager et qui concerne chacun. Sur un plan opérationnel, l’on se situe dans une approche qualitative du fait associatif, qui reviendrait à déterminer des critères de classification.

Une réflexion complexe qui doit valoriser le fait associatif

Le rapport aux politiques publiques est forcément, dans notre conception du droit, lié à la notion d’intérêt général. Parallèlement, l’association, étant le regroupement d’individus libres avec un objet désintéressé, constitue naturellement un espace pour l’expression de ce même intérêt général. La véritable question du débat n’est donc pas ce lien qui s’impose, mais plutôt sa nature et la manière de le valoriser. Néanmoins, cette dernière affirmation ne méconnaît pas l’utilisation ou le détournement du statut associatif qui peut être fait par certains, pour vendre des assurances ou de la formation, pour mener une activité de type lucrative ou administrative… L’ensemble de ces éléments confirme l’idée que la réflexion ne peut faire table rase de l’existant et doit au contraire s’appuyer sur ce qui, en réalité, exprime déjà la reconnaissance et la valorisation du fait associatif, en tant qu’expression de l’intérêt général. Il convient plutôt d’envisager celle-ci comme le moyen d’adapter la complexité aux nouveaux enjeux associatifs.

Un débat politique à approfondir dans le respect de l’autonomie du fait associatif

Pour conclure, la fonda identifie quelques éléments plus opérationnels dans ce débat.

La nécessité d’apprécier l’existant et d’en préserver les aspects positifs

Toute proposition doit s’intégrer dans la complexité actuelle de l’environnement associatif. Il semble alors impératif de pouvoir faire le point sur l’existant. Dans ce cadre, il serait intéressant de capitaliser les nombreuses réflexions existantes (réflexion sur l’utilité sociale, travaux sur la réforme de la reconnaissance publique…). Dans ce rapide tour d’horizon, la réforme de la reconnaissance d’utilité publique apparaît en effet comme un enjeu intéressant.

Ainsi, dans la mesure où il serait partagé, ce bilan mettrait en évidence le rôle structurant que les agréments peuvent avoir dans la relation entre un ministère et un secteur associatif. Dès lors, l’éventuelle mise en place d’un nouvel agrément devrait être mise en perspective. L’on pourrait aussi imaginer que ce bilan puisse permettre d’identifier les aspects positifs de certaines modalités applicables dans certains secteurs, qui pourraient être étendues à d’autres. Dans le même ordre d’idée, l’on pourrait imaginer que la novation passe par une meilleure articulation de l’existant (entre agrément et convention pluriannuelle d’objectifs, entre agrément et avantages fiscaux ou privilèges juridiques…).

Une présomption à affirmer : la spécificité associative

Si des propositions nouvelles émergent, elles devront s’inscrire dans un rapport de confiance renouvelé entre les pouvoirs publics et les associations. Il s’agit bien de conforter le partenariat et de valoriser davantage le fait associatif. En ce sens, ces propositions ne devront pas constituer un nouvel instrument de contrôle des associations qui compléterait un existant étoffé.

De même, elles devront permettre de renforcer la spécificité associative : la prééminence du projet associatif sur les moyens de l’action. C’est la voie pour permettre le plein exercice de ces spécificités « méritoires » qui font la richesse de l’apport des associations à la société. Ce qui permettrait d’atteindre cet objectif, c’est une meilleure reconnaissance de la liberté des associations à s’organiser de manière autonome et transparente. Il s’agit aussi par là de leur donner la place qui leur revient de fait dans le cadre du dialogue social et civil.

Un débat démocratique à conduire

Le thème de l’intérêt général est au cœur des débats actuels sur notre organisation sociale. De même, le fait associatif constituant une liberté fondamentale de notre démocratie, il est indispensable que les propositions issues de la mission parlementaire fassent l’objet d’un large débat démocratique. La vertu d’un rapport parlementaire est en effet d’ouvrir de nouveaux espaces de dialogue dans la société.

15 avril 2005

(avec la principale collaboration rédactionnelle de Christophe Boyer, membre du comité Dsva de la fonda)

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