La Champagne-Ardenne centralise de nombreux équipements culturels à Reims. Les villes moyennes soutiennent également une politique culturelle volontariste : Charleville-Mézières, Troyes, Châlons-en-Champagne, Chaumont. Cependant, le territoire champardennais se caractérise aussi par de vastes espaces ruraux où vivent plus des deux tiers de la population régionale. Il y existe assez peu de structures de diffusion artistique ou d’équipements culturels structurants (conservatoires, médiathèques, sites patrimoniaux…).
En revanche des associations et fédérations y œuvrent chaque jour avec patience et détermination. Les associations y forment un ensemble cohérent et bien vivant. Si la grande diversité de leurs activités, de leurs initiatives, de leurs objets-mêmes, constitue un ensemble de ressources intéressantes pour la population, elles sont mal connues et très peu reconnues collectivement par les pouvoirs publics.
Aujourd’hui, un plan d’action global « éducation populaire et culture » est actuellement mis en œuvre en Grand-Est pour une durée de trois ans, auquel participe une diversité d’organisations qui concourent activement et quotidiennement aux pratiques artistiques et culturelles des territoires de la région. Ce plan est composé de six grands chantiers investis librement et ouverts à tous sur : la coopération territoriale, l’évaluation, le numérique, la transmission et la recherche, la formation, la mobilité. Les acteurs se retrouvent ainsi dans six groupes d’appui pour alimenter et concevoir collectivement des réponses nouvelles aux enjeux de développement culturel des territoires. Ils sont à géométrie variable et ont pris vie en mars 2016.
Une étude régionale
Cette prise en main des enjeux collectifs par les acteurs, près d’une centaine à ce jour, s’inscrit dans une démarche pensée et animée dans l’esprit de l’éducation populaire. Fin 2013, la Direction régionale de l’action culturelle (Drac) et la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (Drjscs) de Champagne-Ardenne décidèrent de conjuguer leurs moyens dans le cadre de leurs politiques publiques respectives, et d’y associer les compétences des fédérations d’éducation populaire.
L’objectif était de mieux connaître les conditions d’interventions, la typologie des actions artistiques et culturelles, les actions de coopération menées à l’initiative des associations et fédérations de l’éducation populaire.
La Drjscs et la Drac, en s’appuyant sur la Fédération régionale des maisons des jeunes et de la culture (Frmjc) de Champagne-Ardenne, ont donc entrepris une étude régionale qui puisse apporter une connaissance nouvelle sur les associations d’éducation populaire mais aussi une écoute de leurs attentes, de leurs capacités de contribution, de leur force de proposition sur tout ce qui pourrait faire évoluer de façon positive tant les politiques publiques que leurs propres pratiques.
Le comité de pilotage
Le pilotage de l’étude fut confié à un comité régional de dix-huit personnes morales qui associait des fédérations et réseaux associatifs, des artistes, des institutions artistiques et culturelles, la Drjscs et la Drac. Il s’est réuni quinze fois jusqu’à décembre 2015 afin de préparer les phases et les outils de l’étude-action et de progresser par des analyses à chaque étape. Le comité de pilotage a affirmé sa volonté de promouvoir l’égalité en dignité et en droits des personnes (Déclaration universelle de 1948), de valoriser toute forme de débat et de publier dans l’espace public des écrits, films, émissions radio, blogs, etc., portant témoignage des productions collectives.
Compte tenu des informations recueillies fin 2014 par deux questionnaires, quatre tables rondes départementales, quarante-et-un entretiens individuels, le comité de pilotage a entrepris en 2015 de mettre en place des méthodes et des outils permettant de :
- réunir la diversité des acteurs ;
- créer des relations de confiance, des conditions d’écoute réciproque et d’expression la plus libre possible ;
- ouvrir des cadres collectifs et interactifs de contribution dans des objectifs bien définis ;
- construire une progression dans les modes et échelles de contribution (de l’entretien individuel à une vaste manifestation publique ouverte) ;
- faire émerger des préconisations à l’adresse de l’ensemble des acteurs publics et privés.
La démarche visa alors non seulement à capitaliser des connaissances, les partager, les analyser, mais également, à travers la pratique des méthodes et des valeurs de l’éducation populaire, à sensibiliser le milieu associatif et institutionnel sur les démarches participatives, la reconnaissance de la durée nécessaire de leur travail, et sur la qualité de la contribution quand elle s’exerce dans un cadre collectif.
L’étude-action n’avait que peu été consacrée à l’échange entre les acteurs, en dehors de quelques tables rondes. Pour nourrir les conclusions de l’étude, il était indispensable de favoriser le débat entre les institutions culturelles (scènes nationales, médiathèques, musées, conservatoires…), les associations et fédérations d’éducation populaire, les artistes, les jeunes étudiants dans les domaines culturels et de l’Ess, élus locaux et territoriaux, etc. Il n’existait pas alors en région d’espace-temps pour permettre aux acteurs de se rencontrer, de mettre en commun leurs constats, propositions et de prendre des engagements collectifs. Une invitation à l’ensemble des acteurs a réuni un « Parlement éphémère ».
Le Parlement éphémère « éducation populaire et culture »
Le « Parlement éphémère », temps fort de l’étude-action, a réuni 150 personnes pendant deux jours à Reims pour construire collectivement puis débattre et délibérer sur des « projets de loi », qui ont ensuite donné matière en 2016 à la préparation collective d’actions concertées.
Le comité de pilotage a construit le cadre, l’animation des deux journées, mettant ainsi en place les conditions nécessaires à la contribution. Le contenu, quant à lui, fut co-construit sur place par les personnes présentes. Ainsi chacun des douze groupes, après avoir pris connaissance et s’être approprié collectivement les premiers résultats de l’étude, a déterminé un ou deux sujets sur lesquels faire des propositions concrètes.
Les groupes se sont ainsi auto-saisis d’enjeux qui, pour eux, étaient cruciaux dans le développement de leur territoire, en interrogeant leurs propres pratiques, celles des institutions, celles des associations et fédérations d’éducation populaire, celles des administrations publiques, celles des artistes. La deuxième journée fut consacrée au Parlement en plénière pour voter l’adoption ou non de chacune des seize propositions qui avaient émergé de la première journée. Chaque participant muni de ses tickets de parole disposait d’un temps limité pour s’exprimer et cela uniquement s’il était en désaccord avec une proposition.
Une organisation rigoureuse
Pour le Parlement éphémère, le comité de pilotage a construit des outils et des règles de débat :
- un protocole de déroulement ;
- un kit du contributeur(trice)s (livret, stylos, tickets…) ;
- des modalités de prise de parole (ticket de parole, temps limité pour une prise de parole…) ;
- des modalités de prise de décisions coopératives et équitables (une personne égale à une voix, proposition rejetée si elle suscitait l’unanimité) ;
- une scénographie des espaces mettant les participants dans les meilleures conditions (restauration sur place, bibliothèque éphémère…) ;
- une installation interactive par un collectif de jeunes artistes, (Dsply à Reims) ;
- utilisation d’un dispositif numérique conçu par une start-up rémoise ;
- une cartographie permettant de localiser la provenance de l’ensemble des contributeurs depuis le début de l’étude.
Trente animateurs/trices ont été mobilisé(e)s à partir des équipes internes des structures qui composaient le comité de pilotage (Drac, Drjscs, Frmjc, Foyers ruraux, Ligue de l’enseignement, associations…).
Pour valoriser et essaimer cette action
L’étude-action, par l’ensemble des phases mises en œuvre avec pour point d’orgue le Parlement éphémère, a permis, outre la capitalisation de connaissances, de mobiliser largement et durablement les acteurs, d’insuffler une dynamique au-delà de chaque territoire et de chaque structure pour tendre vers l’intérêt général, de construire à partir des expertises individuelles une expertise collective. La Drac et la Drjscs soutiennent toujours actuellement cette démarche et poursuivent la co-construction en contribuant activement aux groupes d’appui.
Une expérience politique et poétique de démocratie
Extrait d’un texte de Jean-Pierre Chrétien-Goni :
« La forme du « Parlement éphémère » que le comité de pilotage a élaboré, est « une expérience politique et poétique où les participants sont invités à faire « parlement », à discuter des lois. Auto-institué puis auto-destitué à la fin de ses travaux, le Parlement éphémère invite chaque participant à devenir un contributeur effectif à la société qui s’invente collectivement devant lui et avec lui ; une sorte de temps suspendu où le débat est libre et ouvert, mais structuré par des règles de la démocratie la plus exigeante.
Il ne s’agit en aucun cas de tourner en dérision la représentation parlementaire ou la responsabilité élective et politique. Bien au contraire, ce Parlement constitue pour nous une opportunité de raviver les enjeux de l’éducation populaire, la place et le rôle de ces associations auprès de ceux qui n’en ont plus une image positive. Nous espérons aussi retrouver la possibilité du « jeu », de « l’expérimentation », dans la question politique, et redonner dans l’espace du débat public une place à l’art et la culture comme puissances vives de la pensée »