Numérique et médias

Sobriété numérique : réduire l'impact numérique de son association

Tribune Fonda N°254 - Tiers-lieux : fabrique de société - Juin 2022
Anna Maheu
Anna Maheu
Et Points d'appui au numérique associatif (PANA)
Alors que plus des deux tiers de la population mondiale utilisent désormais un téléphone mobile, la croissance de nos systèmes numériques est insoutenable. La question de la sobriété numérique devient urgente. À leur échelle, les associations peuvent optimiser leur utilisation du numérique, de l’équipement à la navigation en passant par le stockage de données.
Sobriété numérique : réduire l'impact numérique de son association
Les effets du numérique © Anna Maheu / La Fonda

Les nombreux effets du numérique

En 2021, 93 % des ménages ont un accès à l'internet en France1 . Ce nombre croissant d’utilisateurs se couple à une pratique toujours plus gourmande en ressources et en énergie d’Internet. La consommation de données mobiles 4G augmente de près de 30% par an2 .

Selon les sources, le numérique représente aujourd’hui 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde et 2,5% de l’empreinte carbone nationale.

Ces émissions pourraient s'accroître considérablement : + 60 % d'ici 2040, d’après la mission sénatoriale pour une transition numérique écologique.3

Dématérialisation ne signifie pas moins de ressources utilisées. Nos ordinateurs regorgent de minéraux rares ; de l’or australien, des terres rares chinoises, du tantale congolais ou du lithium bolivien.

L’extraction de ces matières premières a un important coût écologique, avec des rejets toxiques dans l’air, l’eau et les sols, mais aussi un coût social.

Le tungstène, le tantale, l’étain ou l’or extraits à l’est de la République Démocratique du Congo sont tristement connus sous le nom de « minerais de sang », car ils participent aux financements de conflits armés.


 

Avoir moins d'objets informatiques © Anna Maheu / La Fonda

Avoir moins d'objets informatiques

La première étape pour limiter ces conséquences désastreuses sur l’environnement et les humains est de s’équiper durablement.
Comme le rappelle Greenpeace, lutter contre la pollution numérique c’est d’abord utiliser moins d’objets informatiques, et les faire durer plus longtemps4 .

En effet, près de 40 % de l’empreinte carbone totale du numérique a lieu lors de la production des équipements5 .

Tout comme le meilleur déchet est celui qu’on ne crée pas, l’équipement informatique le moins polluant est celui qui n’est pas produit. De combien d’ordinateurs, de téléphones ou de tablettes votre organisation a-t-elle besoin? Doivent-ils être souvent remplacés?

En Europe, 24 % des ordinateurs portables professionnels sont remplacés tous les un à deux ans, 58% tous les trois à
quatre ans6 . Concernant les smartphones, leur durée d’utilisation individuelle est évaluée entre 23 mois et 37 par l’Arcep7 .
 

S'équiper durablement © Anna Maheu / La Fonda

S'équiper durablement

Si vous manquez de matériel, et que vous ne pouvez éviter la case achat, sachez que tous les équipements n’ont pas le même impact environnemental.

Pour commencer, un ordinateur portable, additionné d’un écran supplémentaire, est en général préférable à une unité centrale.

Plusieurs critères sont à prendre en compte lorsque l’on choisit un nouvel équipement pour son organisation :

  • la fabrication : pays de production, toxicité des composants, conditions de travail des ouvriers…
  • la consommation électrique : allumé et en veille…
  • la réparabilité : remplacer, améliorer son appareil…
  • la recyclabilité : métaux recyclables…

Pour se repérer dans cette jungle d'informations, l’association Greenpeace a publié en 2017 un Guide to Greener Electronics qui compare plusieurs marques sur ces différents critères.

Certaines marques ont même fait de la provenance de leurs matériaux, leur écoconception et leur réparabilité des arguments de ventes comme la firme néerlandaise Fairphone ou la suisse Why !

Plutôt qu’acheter du matériel neuf, privilégiez d’anciens appareils qui ont été remis en état pour fonctionner quelques années de plus.

En 2020, GreenIT.fr a ainsi calculé que, associé à d’autres bonnes pratiques, le réemploi permettrait de diviser par 2 l’empreinte numérique française de 2021 pour la ramener à celle de 20158 .

Des boutiques en ligne proposent de tels outils informatiques comme les Ateliers du Bocage par Solidatech, mais on en trouve également dans des ressourceries.

Certains de vos partenaires ont peut-être des ordinateurs ou des imprimantes inutilisés dans leur placard : n’hésitez pas à leur demander s’ils organisent parfois des dons ponctuels d’équipements au profit d’associations.

Après la fabrication des outils vient leur alimentation. Certains gestes simples permettent de diminuer la quantité d’énergie nécessaire comme le fait d’éteindre ses appareils électroniques non utilisés, au moyen d’une multiprise à interrupteur par exemple, et de débrancher ses chargeurs d’appareils électriques, ce qui améliore leur durabilité et celle de l’appareil.
 

Un stockage des données qui n'a rien d'immatériel

Les données peuvent être stockées à deux endroits : dans les équipements personnels (ordinateur, disque dur externe…) ou en ligne, ce qu’on appelle le cloud (réseaux, serveurs…).

Ce nuage n’a néanmoins rien d’éthéré puisqu’il est composé de câbles, d’équipements informatiques, de serveurs, etc. Ces équipements consomment beaucoup d’énergie : ils chauffent et nécessitent donc un refroidissement qui se fait parfois dans des zones surprenantes (au milieu de l’océan par exemple).

Pour que l’accès à tous les sites Internet et autres services numériques soit assuré à n’importe quelle heure, les serveurs doivent tourner 24h/24 et 7 j/7.

Greenpeace avait évalué en 2018 que les data centers chinois étaient responsables de l’émission de 99 millions de tonnes de CO29 , du fait de leur alimentation en énergies fossiles comme le charbon ou le gaz.

Pour éviter de stocker des données qui n’en ont pas besoin, on peut :

  • Utiliser des logiciels de nettoyage de disque pour supprimer les dossiers inutiles et améliorer la performance de son appareil.
  • Pour ses documents personnels, non partagés, privilégier un stockage local au stockage sur le Cloud, pour éviter les allers-retours entre serveurs
  • Pour ses documents nécessitant une longue conservation, penser au stockage papier
  • Mettre en place un « serveur interne », en dédiant un ordinateur (avec plusieurs disques durs) sur le réseau interne. Cela permet de stocker ou de partager des fichiers avec ses collègues sans s’envoyer des mails avec des pièces jointes lourdes…
Limiter les données échangées © Anna Maheu / La Fonda

Limiter les données échangées

Encore une fois, la meilleure donnée est celle qui n’a pas besoin d’être stockée. Voici quelques conseils pratiques pour en stocker l'optimum :

  • La 4G est particulièrement énergivore : privilégiez une connexion en wifi autant que possible.
  • Plutôt qu’une visioconférence à deux, pourquoi ne pas se passer un coup de téléphone ?
  • Envoyer des mails seulement aux personnes concernées, en n’utilisant la fonction « répondre à tous » que si nécessaire et ne mettant pas de contact en copie inutilement.
  • Veiller à joindre des pièces légères aux mails et seulement lorsque c’est nécessaire. Privilégier des liens hypertextes ou URL, et pour les documents très lourds, penser aux dossiers de partage.
  • Se désinscrire des mailings publicitaires et des newsletters obsolètes.
  • Ne pas surcharger sa signature de mail avec des images lourdes.

Pour une organisation, il peut aussi être intéressant de connaître son hébergeur de service en ligne et les engagements écoresponsables de celui-ci. Un hébergeur des données est plus ou moins écologique s’il :

  • fait attention à sa consommation énergétique pour stocker les données,
  • n’est pas trop éloigné de vous.

En effet, si l’hébergeur du service que vous utilisez est aux États-Unis, chaque donnée devra faire tout ce trajet à chaque fois qu’elle sera consultée. Ce qui nécessite aussi de fournir en électricité tous les équipements intermédiaires : autant préférer un serveur français !

Le collectif Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires (CHATONS) recense des hébergeurs de services en ligne un peu partout en France, qui s’engagent en plus pour un numérique libre.

Impacts directs et indirects © Anna Maheu / La Fonda

Impacts directs et indirects 

Vous l’aurez compris, la sobriété numérique ne revient pas à se priver des formidables opportunités du numérique, mais bien à en prioriser les usages aux apports les plus précieux, afin de se conformer aux limites planétaires.

Cette question des usages ne doit néanmoins pas se structurer autour de la culpabilisation sur des usages particuliers, mais bien d’une réflexion systémique sur le numérique10 .

En plus des quelques impacts directs évoqués dans cet article (consommation d’énergie, extraction des ressources, etc.), on voit émerger des impacts plus indirects, ou encore des effets rebonds11 . Des pratiques jugées a priori positives peuvent ainsi se révéler mitigées.

Par exemple, les plateformes collaboratives qui permettent l’échange de biens encouragent certains usagers à augmenter la fréquence de leurs achats d’objets neufs. Au final, la pression sur nos ressources n’a pas diminué, voire elle augmente !

Il est nécessaire de ne pas sous-estimer les effets indirects des usages du numérique. À chacun d’interroger la pertinence de certains usages numériques et de faire des choix pour privilégier ce qui est vraiment utile pour notre société (télémédecine, Wikipédia…) et limiter ce qui l’est moins !

Mais traiter l’aspect écologique n’est qu’une première étape. Dans une perspective de développement durable, les questions d’accessibilité et d’inclusion sont imbriquées dans l’environnement.

Les traiter ensemble est incontournable : le Règlement général sur la protection des données (RGPD) assure le respect des usagers, mais permet aussi de limiter l’envoi de messages indésirés, et donc la pollution numérique.

Pourquoi ne pas la coupler d’une réflexion dans votre association sur le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA), une autre obligation légale qui permettra à tous de recevoir vos informations ?

S’interroger sur la sobriété numérique est donc une porte d’entrée pour un numérique écoresponsable, mais également inclusif et accessible.

Les fiches pratiques Point d’appui au numérique associatif (PANA) Comme « Jeunesse et numérique » paru dans la Tribune Fonda n°250, cet article a été adapté d’une fiche pratique du programme PANA. Ce collectif crée régulièrement des fiches pratiques, co-rédigées avec des experts de sujets numériques. Les 26 ressources existantes sont disponibles sur le site pana-asso.org/ ressources-outils/, en téléchargement libre. Cet article et la fiche associée ont bénéficié de la relecture attentive de David Beraud et Gregory Joly d'Adnet.
 

  • 1INSEE, Accès et utilisation de l'internet dans l'Union européenne. Données annuelles de 2003 à 2021 [en ligne], 2022.
  • 2Sénat, Rapport d’information – Mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique, juin 2020.
  • 3Sénat, Rapport d’information – Mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique, juin 2020.
  • 4Greenpeace, « Dossier sur l’impact écologique du numérique » [en ligne].
  • 5The Shift projet, Impact environnemental du numérique : tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G, [en ligne], mars 2021.
  • 6BNP Paribas 3 Step IT, « The State of Business IT », novembre 2020.
  • 7 Arcep, Renouvellement des terminaux mobiles et pratiques commerciales de distribution, juin 2021.
  • 8GreenIT.fr, Étude « iNum— Impacts environnementaux du numérique en France », janvier 2021.
  • 9Greenpeace East Asia, Powering the Cloud: How China’s Internet Industry Can Shift to Renewable Energy [en ligne], 2019.
  • 10The Shift project, « The Shift project a-t-il vraiment surestimé l’empreinte carbone de la vidéo en ligne ? Notre analyse des articles de l’AIE et de CarbonBrief » [en ligne], 15 juin 2020.
  • 11On observe un effet rebond lorsqu’une réduction de la consommation en énergie et matière première entraîne la création de nouvelles fonctionnalités qui consommeront ce qui avait été épargné.
Analyses et recherches