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Ressource #21 - Laurent Lardeux (INJEP), Les jeunes activistes dans le(s) mouvement(s) climat, 2023
Présenté par Laurent Lardeux, sociologue et chargé de recherche à l’INJEP.
Mots clés : #Engagement #Jeunes #Climat
Présentation de l’intervenant
Laurent Lardeux est sociologue et chargé de recherche à l’INJEP. Il a récemment publié un rapport d’étude sur les jeunes activistes du mouvement climat.
Contexte de réalisation de l’enquête
Ce rapport a été rédigé à partir d’une enquête réalisée entre 2021 et 2023 auprès des jeunes activistes du mouvement climat, dont l’objectif est de lutter contre le dérèglement climatique. Elle s’inscrit dans un contexte de recrudescence et de durcissement des actions engagées depuis 2021 par les activistes sur les différents lieux de lutte que sont les marches, les occupations de place ou de site industriel, etc. Ils veulent sensibiliser les citoyens et interpeller les décideurs politiques sur les enjeux du réchauffement climatique.
Ces changements de mode opératoire ne sont pas sans conséquences, selon Laurent Lardeux. L’attention médiatique porte souvent sur le côté spectaculaire marqué par une forme de désordre et de trouble, et non sur le message porté par ces actions.
Au travers de cette enquête, le sociologue souhaite renouer avec une analyse de la routine militante. Contrairement à l’image monolithique qui lui est souvent associée, mouvement climat se compose de collectifs foisonnants. Laurent Lardeux veut également comprendre les liens que les activistes entretiennent avec les institutions de la vie politique et démocratique.
Méthodologie
Cette enquête s’appuie sur 52 entretiens biographiques semi-directifs réalisés auprès de jeunes activistes.
Une majorité de répondants a entre 19 et 24 ans (50% d’entre eux), 27% des activistes a entre 14 et 18 ans et 33% a entre 25 et 34 ans. Parmi eux, une majorité sont des femmes (56%, contre 44% d’hommes).
Une large partie habite en ville (78% d’entre eux), contre 14% en banlieue et 8% en territoires ruraux. Les activistes sont répartis dans 17 villes et 11 régions de la France hexagonale, à l’exception de la Normandie et de la Corse.
La plupart des répondants est scolarisée (54% des répondants), même s’il est difficile de parler du niveau de diplôme, au vu du très jeune âge de certains d’entre eux.
Les jeunes activistes sont principalement issus de familles de cadres (42% d’entre eux), contre 20% de professions intermédiaires, 24% d’ouvriers et 14% d’employés.
Laurent Lardeux a complété son travail de documentation avec des observations sur le terrain notamment à l’occasion de l’occupation du quartier Châtelet-Les Halles ou de celle du boulevard Saint-Denis. Ce fut l’occasion de nouer des relations de confiance avec douze collectifs tels qu’Extinction Rebellion, Youth for Climate ou Alternatiba avec sa branche résistance ANV-Cop 21.
Profil-type des jeunes activistes
L’engagement dans la lutte contre le dérèglement climatique se caractérise souvent par une forte homogénéité sociale, scolaire et culturelle, tant chez les jeunes activistes que chez les jeunes sensibles à la cause environnementale. Il s’agit souvent de jeunes diplômés, issus de la classe sociale supérieure, résidant en milieu urbain (de type centre-ville), et dont les parents sont déjà politisés.
Ces tendances générales interrogent sur les mécanismes d’entrée dans ce type de mouvement, leurs « coûts » symboliques éventuels ainsi que le sentiment de compétence. D’ailleurs, ce sentiment de compétence est déterminant dans les autres champs d’engagement, qu’ils soient institués ou non.
Facteurs d’engagement dans le mouvement climat
Parmi les facteurs d’entrée dans le mouvement climat, il y a les événements locaux, nationaux ou internationaux (niveau macrosocial) qui marquent les jeunes. Ce sont par exemple les manifestations climatiques (canicule, incendie, inondations, etc.), la publication des rapports scientifiques, (notamment celui du GIEC), qui ont un écho dans les médias ainsi que sur les réseaux sociaux ou les sommets internationaux (comme les COP). L’organisation par des collectifs d’actions de sensibilisation et de désobéissance civile peut également constituer un déclencheur d’engagement pour les jeunes.
Il existe aussi des facteurs d’entrée au niveau microsocial. Il s’agit des événements biographiques qui interviennent dans le cadre de la famille et/ou de l’environnement scolaire. La socialisation politique intrafamiliale se manifeste dans trois cas de figure :
- La logique d’identification aux valeurs politiques et environnementales défendues dans le cercle familial ;
- La logique d’expérimentation, où des jeunes agissent en autonomie par rapport à leurs parents, voire en opposition ;
- La logique d’inversion où des jeunes se socialisent en-dehors de leur sphère familiale et jouent progressivement un rôle de leader d’opinion auprès de parents dépolitisés.
Mais ce n’est pas tout, la socialisation politique peut se manifester à l’école. Premièrement, dans le cadre d’une démarche de démocratie scolaire : des éco-délégués, présents dans les classes de collèges et lycées portent les enjeux de développement durable auprès des autres élèves et sont à l’initiative d’actions éco-responsables. L’école peut aussi être le premier lieu pour constituer ses armes politiques dans le cadre de poussées contestataires, à l’image des grèves scolaires. insiste Laurent Lardeux.
Facilitateurs de l’engagement
Ces deux types de facteur d’entrée dans le mouvement climatique sont interdépendants, grâce aux réseaux sociaux qui sont des facilitateurs ( Instagram, Snapchat, Twitch, etc.) Pour Laurent Lardeux, ils ont une double utilité : d’une part celle de s’informer, se documenter pour écouter des scientifiques, des journalistes, des militants ou lire des rapports, d’autre part celle de s’organiser et suivre des actions militantes.
Les personnalités scientifiques, les militants et les journalistes sont d’autres facilitateurs. Ces personnes influentes (Greta Thunberg, Camille Etienne, Paloma Moritz ou bien Hugo Décrypte) permettent le passage d’une déclaration d’intention à la mise en oeuvre opérationnelle d’actions dans le mouvement. « Les jeunes s’identifient à ces personnalités dont l’âge est proche du leur et qui plus globalement leur ressemblent », rappelle Laurent Lardeux.
L’éco-anxiété vue par les activistes du mouvement climat
L’éco-anxiété est un élément déclencheur d’engagement pour de nombreux activistes. Il s’agit d’un sentiment d’angoisse ressenti par certains individus en raison des différentes menaces qui pèsent sur l’environnement : dérèglement climatique, dégradation de la biodiversité, pollution ou encore déforestation. Aucun des principaux ouvrages médicaux de référence ne mentionne cependant ce concept. « L’éco-anxiété n’est pas un diagnostic psychiatrique officiel, ce n’est pas un syndrome et n’est pas reconnue comme une maladie officielle », indique Laurent Lardeux.
Cela n’empêche pas ce terme de se diffuser, notamment dans la sphère médiatique régionale, nationale et européenne à partir de 2020. Les termes « éco-anxiété » et « eco-anxiety » passent de 76 à 415 occurrences dans les titres de presse entre 2019 et 2020 puis à 2 275 en 2022.
Les manifestations de l’angoisse chez les activistes
Les manifestations de l’angoisse chez les activistes sont liées à des causes variées, s’inscrivant dans des temporalités plus ou moins longues. Il y a les causes conjoncturelles, telles que la multiplication des événements climatiques, la faible prise en compte de l’urgence climatique par les pouvoirs publics, ou la crise sanitaire qui a fragilisé la santé mentale des jeunes et fait apparaître des anxiétés se poursuivant après la crise.
« Les jeunes s’identifient à ces personnalités dont l’âge est proche du leur et qui leur ressemblent ». Il y a les causes structurelles qui s’inscrivent sur le temps long et renvoient aux premières hypothèses du dérèglement climatique formulées dès les années 1980. Il s’agit donc d’un phénomène qui n’est pas nouveau et dont les répercussions sont documentées avec des projections sur plusieurs siècles.
Laurent Lardeux identifie aussi des causes intermédiaires. Les jeunes sont interpellés par les incohérences et les déphasages entre le conjoncturel –le temps court de la décision politique – et le structurel – temps long du dérèglement climatique. « L’incertitude de l’avenir de la planète, ajoutée à l’incertitude personnelle des jeunes qui traversent un moment de transition dans leur vie, fragilisent ces jeunes sensibles à l’éco-anxiété », résume Laurent Lardeux.
Éco-anxiété et crainte d’une dépolitisation des enjeux collectifs
Alors que de nombreux jeunes activistes se déclarent fragilisés par l’éco-anxiété, les collectifs du mouvement climat y répondent selon des manières différentes. Certains, à l’image de Youth for Climate ou Extinction Rebellion, mettent en place des groupes de soutien et d’entraide.
Ils répondent au besoin de soutien de leurs militants en développant une culture du soin. Extinction Rebellion parle d’ailleurs de « culture régénératrice ».
Cependant, cette culture du soin face à l’éco-anxiété peut faire débat. Certains militants craignent qu’elle ne contribue à dépolitiser les enjeux collectifs soulevés par l’éco-anxiété, en les déplaçant de la sphère politique et collective à la sphère privée et individuelle. Or, cette émotion négative peut aussi nourrir le collectif et repolitiser le débat.
Pour Laurent Lardeux, l’éco-anxiété est une ressource permettant aux activistes de faire valoir un droit d’agir à la racine du problème, sur ses origines sociales et environnementales, et non sur ses conséquences.
Une horizontalité en structuration
Au sein des collectifs du mouvement climat, les jeunes militants expérimentent l’horizontalité comme mode d’organisation.
Il s’agit d’assurer une mise en égalité entre les membres. Cette approche s’inscrit en rupture avec le fonctionnement hiérarchique qui prévaut dans le monde associatif traditionnel. Ainsi, après le « siècle des chefs », l’idée est d’aller vers « des foules sans chef », où chacun peut prendre part à la prise de décision dans les orientations des collectifs.
Cependant, Laurent Lardeux observe plusieurs limites à ce mode de gouvernance horizontal qui est toujours en cours de structuration. Parmi celles-ci, le possible passage de la « tyrannie de la majorité » à la « tyrannie des minorités agissantes » ou le besoin de faire émerger des dirigeants pour faciliter l’accès aux subventions.
Conclusion
Ce rapport met en lumière la diversité très forte qui caractérise le mouvement climat. Sur les modes opératoires, il existe une tension entre les actions de sensibilisation douces à destination des citoyens et celles de désobéissance civile pour interpeller les décideurs politiques.
Sur les relations à engager avec les institutions de la vie politique et démocratique, de nombreuses réflexions portent sur l’opportunité d’investir des espaces de négociation avec les élus, tout en ayant une crainte d’être instrumentalisé.
Sur les relations intergénérationnelles, les jeunes militants jugent les boomers responsables de la situation, tout en ayant conscience de la nécessité d’établir un dialogue apaisé pour élargir la base militante.
Sur la convergence des luttes et les relations à initier avec d’autres mouvements, certains activistes développent des liens avec d’autres collectifs oeuvrant sur des thématiques a priori éloignées, telles que la justice sociale, le racisme, les violences policières ou le féminisme. Ils veulent les fédérer pour avoir une approche systémique des causes à défendre.
Malgré tout, les jeunes activistes du mouvement climat arrivent à dépasser certains clivages en s’appuyant sur un socle de valeurs et de pratiques communes de l’action collective.
Laurent Lardeux observe que ces engagements au sein du mouvement climat donnent à voir de nouvelles aspirations démocratiques des générations à venir, d’autres façons d’habiter le monde et d’y négocier sa place sociale et politique en relation avec les institutions de la vie démocratique.
Ressources pour aller plus loin
- Yaëlle Amsellem-Mainguy et Laurent Lardeux (Injep), D’une crise à l’autre, Presses de Sciences Po, 2022, [en ligne].
Vincent Tiberj et Laurent Lardeux (Injep), Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie, Documentation française, 2021, [en ligne].
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Merci à l’ensemble des participants : Michel Nung, Marc Lévy, Diane Bonifas, Bertille Schmitt, Elodie Colloc’h, Baptiste Vivien, Nelly Allard, Synvain Lemaire, Bertrand Barrieu, Yves Le Mars, Stéphanie Andrieux, Véronique Quet, Philippe Chabasse, Julie Antonangelo, Henri Fraisse et Hannah Olivetti.
Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti, relu par Diane Bonifas et Laurent Lardeux et mis en page par Guillemette Martin pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.