Enjeux sociétaux Innovation sociale

Pour la mobilité des seniors

Tribune Fonda N°228 - Société vieillissante, société innovante - Décembre 2015
Christian Flochlay
Christian Flochlay
Le vieillissement démographique pose de nombreux défis, parmi lesquels la question de la mobilité des seniors, dans la grande diversité de leurs profils. Dans le cadre d’un « marathon de l’innovation » organisé à Toulouse, une équipe pluridisciplinaire s’est mobilisée pour imaginer une solution adaptée aux besoins et attentes des seniors.

Vers une augmentation et une segmentation des besoins


Les plus de 65 ans représentent environ 18,6 % de la société française aujourd’hui. La part des seniors dans la population française augmente de manière significative principalement pour deux raisons : l’allongement de la durée de vie et l’arrivée à des âges avancés de la génération du baby-boom. En 2015, la France comptait 16 millions de personnes âgées de 60 ans ou plus. En 2030, ces dernières pourraient constituer une population de 20 millions d’individus.

Avec le temps, les personnes âgées deviennent moins mobiles. Elles se caractérisent par leur sédentarité. En réduisant leurs déplacements, les seniors s’isolent davantage, et sont menacés de désocialisation progressive. La mobilité, notamment par les transports collectifs, insère la personne dans une dynamique de lien social, et constitue de ce fait un enjeu fort de cohésion sociale. Or, la proportion des seniors déclarant une gêne pour se déplacer est multipliée par cinq entre les 60 ans et les plus de 75 ans. Les transports publics ne représentent que 5 % des pratiques modales chez les 65 ans et plus.


Sncf s’est intéressée à ce phénomène d’évolution de la mobilité des seniors afin de déterminer les conditions favorisant, pour ce type de public, l’usage du transport collectif (comme le train) en cherchant à mieux intégrer la chaîne de mobilité de porte à porte. Partant des besoins, attentes et contraintes de l’usager senior, deux profils de seniors biens distincts ont pu être identifiés.


– Le profil dit « hirondelle » (oiseau migrateur) : pour les seniors dits « hirondelles », la mobilité est un besoin intériorisé depuis longtemps, se déplacer est naturel. Ils sont enthousiastes et dynamiques. Les trajets sont source de détente, l’état de stress est minimal. L’hirondelle va se déplacer avec tous les modes de transport (train, voiture, avion). Cependant ce profil accorde une importance particulière à la voiture (ancrage, reflexe). Le senior « hirondelle » est indépendant, il s’organise généralement seul.


– Le profil dit « hiboux » (oiseau symbole de retraite solitaire) : pour eux, la mobilité représente un effort intellectuel et physique. Le hibou évolue dans un univers restreint ; environnement proche, il est attaché à un espace géographique plus limité. Des barrières cognitives, physiques ou économiques sont constatées sur ce profil. Au fil du temps, le hibou se rapproche de l’immobilité. L’assistance et la réassurance par les proches ou des agents SNCF ou des « aidants » sont nécessaires. Lorsque le hibou voyage, il n’est pas maître de son organisation. Ce sont ses proches qui organisent son déplacement, le plus souvent en train.

L’hirondelle perçoit le train comme un réducteur de mobilité alors que pour le hibou, c’est une alternative à l’immobilité.

Outre ces profils hétérogènes, des facteurs extérieurs doivent être pris en compte, freinant la mobilité des seniors. Certains sont éloignés des gares, prisonniers de leur domicile et souvent tributaires d’un proche, de la famille ou de la voiture, pour les trajets domicile-gare. La réflexion doit donc prendre en compte l’intégralité du déplacement, de la porte à la porte.
L’offre de transport est généralement riche, mais ne couvre pas toujours l’ensemble de l’itinéraire : il existe des « trous dans la raquette ». Par ailleurs, l’offre n’est pas toujours lisible, car les différents opérateurs de transport ne mettent pas en commun leurs données ni leurs systèmes d’information. Ainsi, pour préparer son itinéraire, l’utilisateur doit chercher l’information auprès de chaque opérateur.

Enfin, certains utilisateurs ont besoin d’un accompagnement particulier, tenant compte de leur budget, de leur handicap, de leurs inquiétudes dans des espaces publics comme les gares ou de leur fatigabilité. Ce faisant, il s’agit de lutter contre le risque d’isolement, mais aussi de mieux répondre aux besoins et attentes des seniors.


Deux jours pour concevoir une solution

SNCF a souhaité apporter sa contribution à la démarche du hackathon en répondant, avec d’autres acteurs comme l’association la Fonda, au défi : « Transport, déplacement, mobilité : comment un senior est informé des moyens de déplacement dans sa ville ? » Dispositif d’innovation ouverte, ce hackathon a consisté en deux jours de travail intensif avec plus de cinquante participants d’horizons professionnels très variés. La problématique à laquelle s’est intéressé notre groupe de travail, était la suivante : comment permettre aux seniors de se déplacer plus facilement de la porte à la porte ? Comment permettre à un senior ou à ses aidants de pouvoir s’informer et organiser plus simplement son déplacement de là où il est à là où il veut aller.
Après avoir fait le constat que l’offre de mobilité est riche, très diversifiée mais trop souvent peu ou pas assez lisible, ni assemblée, la réflexion nous a conduit à proposer une solution permettant de (re)lier entre elles l’ensemble de ces offres de transport : comment faire tous ensemble (tous les acteurs de la chaîne de transport) pour la mobilité des seniors ? Le constat a montré que les acteurs de la chaîne de transport étaient fort divers : privés marchand (taxis/Tad-Transport à la demande- ) ; privés non marchand (associations non lucratives assurant des services de transport) ; publics (SNCF/TISSEO), etc…


La réflexion des acteurs présents au hackathon aura été, en fin de compte, de faire une « promesse de mobilité » en proposant une solution qui vise à créer une véritable chaîne de déplacement au bénéfice des seniors. Cette promesse prend tout son sens pour les seniors « hiboux » pour qui la mobilité représente une opportunité et une nécessité de maintenir le lien avec le cercle de la famille et des amis ou des plaisirs pour soi (voyages d’impulsion).



Une solution intégrée

La solution proposée par l’équipe Sncf/la Fonda et les seniors participant au hackathon réside dans la création d’une « plateforme intégrée d’offres de mobilité » : un guichet unique qui offrirait à tous les seniors et aidants sur une ligne donnée ou un territoire donné des informations personnalisées pour un voyage de la porte à la porte sur l’ensemble de la chaîne de mobilités.

La solution proposée concerne chaque segment de publics concernés :
– seniors « hirondelles » : simplification du processus de mobilité ;
– aidants (professionnels, familiaux, bénévoles) : simplification du processus de mobilité et une plus grande facilité de partage et de répit ;
– seniors « hiboux » : solution personnalisée, pour qu’ils gagnent en autonomie dans leurs déplacements.


Cette solution entend répondre aux attentes suivantes des seniors :
– aide à l’organisation du déplacement ;
– lisibilité de l’offre de transport (information) ;
– adaptabilité de la plate-forme de services aux deux profils : « hibou » ou « hirondelle » ;
– avoir la possibilité de combiner des modes et services de mobilité de la porte à la porte (chaîne de déplacements) ;
– inclure une veille concernant les nouveaux besoins ;
– susciter (voire incuber) demain de nouvelles réponses à ces besoins émergents.

Cette solution peut se résumer de la manière suivante : via une application en ligne, ou par téléphone, l’utilisateur (ou son aidant) fait part de son « cahier des charges » : son itinéraire, ses contraintes, ses envies ou besoins d’accompagnement, ses préférences en termes de rapidité, de coût et d’impact environnemental. Une feuille de route lui est proposée, jalonnant chaque étape de son parcours. En cas d’imprévu, un télé-conseiller peut l’aider à réajuster son itinéraire. La solution se traduirait d’une part par une plateforme téléphonique, et d’autre part, par une interface web avec une appli smartphone dédiée dont l’ergonomie, l’accessibilité, la lisibilité auront été conçues avec un panel de seniors dans l’optique de placer l’utilisateur/trice au centre de la solution.


Les principes de la solution proposée

« À chaque étape de mon voyage, moi senior, je peux disposer d’un “ compagnon ” humain et/ou numérique qui m’aide en toutes circonstances à planifier et vivre un déplacement agréable. » Il pourrait paraître étrange de proposer une appli smartphone au regard du public concerné. En réalité, le public seniors « hirondelles » et les aidants des seniors (familles, amis, soignants, professionnels divers…) sont largement utilisateurs des outils digitaux. Ce type d’outil peut faciliter la mise en réseau des personnes, aider à constituer une communauté de personnes aidants ou hirondelles sur une commune, une ligne ferroviaire donnée, etc. Le fait de pouvoir identifier un « aidant » potentiel de senior dans sa commune, son quartier peut s’avérer utile à bien des égards notamment pour les déplacements.


L’appli sur smartphone permet de renforcer ce dispositif d’information, outil utilisé notamment par les seniors de profil « hirondelle ». Ainsi le mariage du contact humain et du digital permettra d’apporter une réponse en lien avec les attentes de tous les seniors et de leurs aidants. Au fil du temps, le senior gagne en autonomie. Il commence par être un « senior apprenti » nécessitant un soutien humain et/ou digital, il devient autonome, et pour finir c’est un référent potentiel capable d’aider un autre « senior apprenti ». Cette solution est un moyen pour les seniors qui le peuvent, de mieux appréhender les outils digitaux, qui répondent à certains besoins précis et limiter les résistances au changement créant anxiété ou appréhension.

Face aux évolutions de la société moderne, les acteurs de la mobilité ont la responsabilité de mieux répondre aux attentes des seniors. Une évolution, côté transporteurs, de certains métiers comme l’accueil, la vente, l’accompagnement est nécessaire. Les agents à bord des trains, par exemple, pourront avoir la possibilité d’apporter davantage de présence, de mieux informer, de rassurer… Un enjeu fort réside également dans la formation de téléconseillers aidants à la formulation des besoins de la personne âgée.

Plus se complexifient les besoins, plus le recours à un interlocuteur humain devient stratégique. Le téléconseiller devra prendre le temps d’écouter, traduire la demande, proposer des solutions adaptées, et suivre et accompagner la personne âgée tout au long de son trajet. Empathique et tenant compte de la personne dans sa singularité, il devra construire une relation de confiance, même à distance !


Enfin, la solution proposée bénéficie de plusieurs atouts qui sont autant de facteurs de réussite :
– des offres de transport très riches en Midi-Pyrénées (bus, métro, vélo, taxi, train) ;
– des acteurs publics engagés : les collectivités locales (conseil régional/communauté urbaine/communes) ;
– des bases de données existantes multimodales (vingt-huit partenaires) ;
– un centre d’appels voyageurs formé (contact TER Midi-Pyrénées) ;
– des ressources en termes d’accompagnement humain, dispersées mais existantes.


Avec l’appli, le senior hirondelle ou l’aidant pourra entrer son profil sur un outil digital et recevoir sa « feuille de route » personnalisée détaillant son parcours de chez lui à sa destination. Tout au long du trajet, des intervenants humains (l’agent Sncf en gare ou d’accueil au téléphone, le conducteur de taxi/TAD, l’association en milieu rural) sont reliés entre eux au travers de la feuille de route et constituent un maillage au service du senior.


La première étape du projet proposé est la mise en place d’un partage des données entre opérateurs de transports avec une expérimentation à mener avec des seniors sur, par exemple, une ligne donnée, ou une commune incluant une démonstration de l’appli pour valider la démarche. Par itérations successives, le service « Mon compagnon de voyage » pourra devenir réalité. Les bénéfices de cette plateforme intégrée d’offres de mobilité en faveur des seniors sont multiples :
– préservation du lien social et intergénérationnel ;
– préservation du capital santé ;
– allègement aux aidants familiaux et professionnels ;
– préservation de l’environnement ;
– augmentation de la demande de déplacement chez les seniors.


À chaque étape de son voyage, le senior bénéficie d’un « compagnon » de voyage intégrant une chaîne humaine et digitale qui l’aide en toutes circonstances à planifier, organiser et vivre un déplacement en toute sérénité. En définitive, l’innovation imaginée à Toulouse repose au moins autant sur de la technologie que sur une nouvelle manière de travailler ensemble : construire une communauté d’acteurs, qui s’accordent autour d’un enjeu commun, et qui, chacun dans sa sphère de responsabilité, prennent l’engagement de répondre aux besoins singuliers des seniors.

Cas pratiques et initiatives
Étude de cas