Une partielle convergence entre éducation et communs numériques
L’usage et le développement des communs numériques devraient naturellement converger entre l’Éducation nationale et l’éducation dite informelle que portent plus souvent les associations.
En effet, l’objectif commun supposé est celui d’une meilleure compréhension, appropriation et maîtrise des enjeux et des outils numériques. Mais la réalité est plus contrastée.
Comme partout ailleurs les géants du web imposent leur vision du monde basée sur le profit et la dépendance. Grâce à l’installation d’habitudes dès le plus jeune âge à l’école et à grand renfort de millions investis dans le développement, la communication, mais aussi dans le lobbying, ils créent la norme. Ce qui rend une convergence des acteurs du bien commun plus compliquée.
Heureusement, des espaces de convergence existent et donnent naissance à des initiatives vertueuses. Il ne tient alors qu’à nous, acteurs et actrices des communs de nous emparer des outils à notre disposition pour les utiliser, les améliorer et les faire vivre.
Dans un précédent article sur l’Éducation nationale1 , nous avons démontré que par sa masse et ce qu’elle représente, elle recelait toutes les difficultés et réussites qu’il peut y avoir à vouloir organiser numériquement un tel univers. Il est temps d’interroger l’éducation non formelle dans les associations où de nombreux degrés de liberté existent.
Faire de la diversité du monde associatif une force
L’une des différences notables entre l’Éducation nationale et le monde associatif réside dans la diversité de ce dernier. Elle contraste avec la nécessité d’uniformisation et de centralisation censée garantir l’égalité dans l’Éducation nationale.
Il est souvent moins nécessaire d’attendre le feu vert d’une entité centrale pour engager un processus (ou s’opposer aussi d’ailleurs en cas de mesure incomprise, mal accompagnée).
Cette diversité est souvent considérée par les adeptes du chiffre et de l’effet de masse comme une faiblesse. Il faut en effet beaucoup d’énergie pour que les têtes de réseau et autres structures interassociatives parviennent à recenser et à valoriser toute cette diversité.
Mais la diversité, c’est aussi l’agilité qui permet de répondre aux besoins d’un territoire, de s’adapter aux attentes d’une population.
L'exemple du Fédiverse
Fédiverse est un mot-valise dérivé de l’anglais pour « fédération » et « univers ». C’est un nom informel pour désigner un réseau social multiforme qui repose sur une fédération de serveurs interconnectés. Le Fédiverse est constitué d’outils interopérables et complémentaires, principalement des logiciels libres, qui permet donc un auto-hébergement, ou bien l'utilisation d'un service prêt à l'emploi chez un tiers.
Le parallèle entre ce fourmillement associatif partout en France et le Fédiverse2 sur Internet est tentant.
Ce Fédiverse (pour Fédération d’Univers) rejoint l’utopie originelle d’Internet3 car il pose la décentralisation comme valeur cardinale.
Il est constitué d’outils interopérables et complémentaires dans leurs fonctions : comme le monde associatif finalement...
Par exemple, dans le Fédiverse, il existe un réseau social appelé Mastodon. Contrairement à Twitter qui est centralisé, il existe, pour Mastodon, une multitude de ce que l’on appelle des instances. Chaque instance est gérée par une personne ou un groupe de personnes qui définit ses propres règles.
Une instance peut ainsi être ouverte à toutes et tous ou réservée à certain·e·s, publique ou privée, autoriser ou interdire certains types de contenus, se lier à certaines instances, mais pas à d’autres, etc.
Chaque personne ou groupe de personnes qui a mis en œuvre une instance en est responsable. Personne ne peut être « maître du monde » de Mastodon et personne ne peut donc décider pour l’ensemble, qu’il s’agisse d’éteindre Mastodon ou de modérer les publications d’une personne pour l’ensemble du Fédiverse.
Une forme de gouvernance distribuée
Le moteur de fonctionnement de l’ensemble des instances n’est pas de produire toujours plus de clics pour augmenter toujours plus le chiffre d’affaires. Il ne s’agit donc pas ici de pousser à l’indignation, à la provocation, à la haine. Et les décisions sont prises à l’échelle d’une instance.
C’est une forme de gouvernance distribuée comme celle que l’on retrouve naturellement dans le monde associatif. Chaque association, chaque membre d’une instance porte une petite part de responsabilité de l’ensemble, de la société, du Fédiverse.
Chacun·e est globalement attaché·e à faire que ce commun puisse perdurer, vivre et se développer pour continuer à rendre le service qu’il rend. Par ailleurs, de nombreuses instances sont proposées par des associations.
Le Fédiverse et les communs numériques sont donc des outils qui ressemblent aux associations et il ne tient qu’à ces dernières d’entrer en résonance et de se libérer des outils des géants du Web dont le but n’est pas de tisser des liens sociaux, mais d’opposer et de cliver.
Bien sûr, changer ses habitudes, personnelles ou associatives, est une gageure. Cela nécessite du temps que bénévoles et salarié·e·s d’associations peinent déjà à trouver pour assumer le cœur de leur projet associatif. Mais on le voit, changer ses outils est une décision réellement politique qui, si elle s’applique plus massivement, peut influer sur l’état de notre société et apaiser des relations déjà agitées de toutes parts.
Servons-nous de nos têtes de réseau associatives pour lesquelles on oublie trop souvent qu’elles ont en partie été créées pour ça (aider à s’approprier des moyens adaptés, mutualiser, expertiser et préconiser des solutions, mettre en commun, amplifier les initiatives pertinentes4 ). Mettons à profit cette diversité qui rend agile, mais qui nécessite d’investir de l’énergie pour réellement faire ensemble.
Cet article a été rédigé par Laurent Costy (Ceméa), Anna Maheu (La Fonda) et Anne-Laure Michel (Animafac) pour la Tribune Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.
- 1Laurent Costy, Anna Maheu et Anne-Laure Michel, « Dans l’Éducation nationale, les effets indésirables de l’uniformisation pour les communs numériques ? », Tribune Fonda N° 255, septembre 2022.
- 2Pascal Gascoin et Audrey Guelou, « Le Fédiverse, outil d’Éducation populaire ? », Libérons-nous, 25 mars 2021.
- 3Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique, C & F éditions, 2012.
- 4Le Collectif d’hébergeurs alternatifs transparents neutre et solidaire (CHATONS) est sans doute une initiative qu’il convient d’analyser et de promouvoir dans nos réseaux.