L'Agenda 2030 est avant tout un agenda complet ou presque, qui couvre au travers de ses dix-sept objectifs la quasi-totalité des champs et secteurs des politiques publiques. En outre, il rassemble des objectifs de nature différente : commençons par des objectifs plus classiquement sectoriels, comme ceux qui visent l’éducation, la santé ou encore l’agriculture ; ces objectifs recouvrent l’ensemble des domaines des politiques économiques et de l’emploi (ODD 8), des domaines des politiques de l’environnement et du climat, de ceux des politiques sociales et de développement humain, ou enfin des politiques urbaines et infrastructurelles.
L’agenda dispose également d’objectifs plus structurels et transversaux comme les ODD 1, 5 ou 10 relatifs à l’éradication de la pauvreté, à la lutte contre les inégalités de genre et contre les inégalités de manière générale.
Enfin, il dispose d’un objectif centré sur les enjeux de la gouvernance démocratique et de l’état de droit, reconnus comme fondements de tout développement soutenable ; et d’un objectif de méthode, posant comme principe d’action celui du partenariat pluri-acteurs et de la responsabilité partagée entre toutes les parties prenantes, publiques, non étatiques et privées, pour la mise en œuvre de l’agenda (ODD 17).
Les ODD sont liés et doivent être conçus dans leur solidarité les uns avec les autres. De fait, le pari de fixer dans le temps des objectifs sectoriels et transversaux appelle à l’exigence d’un pilotage stratégique renforcé. Nous y reviendrons.
L’indivisibilité de l’agenda : un prérequis indispensable à sa réussite
Les ODD sont également universels. Adoptés par les membres des Nations unies, ils s’appliquent à chacun et à tous. C’est un événement historique dont on relève peu la force. Pour la première fois, tous les pays de la planète se sont accordés autour d’un enjeu global commun et engagés à tenir le même langage et partager la même grille d’analyse pour évaluer leurs progrès respectifs sur le chemin du développement durable. Pour la première fois, les pays riches et les pays pauvres se retrouveront à comparer leurs engagements respectifs pour la soutenabilité de la planète.
La France, le Mozambique, la Chine ou le Mexique sont concernés par le même défi : converger vers des modèles de développement où la performance économique devient indissociable du bien-être social et de la préservation de l’environnement naturel. En 2015, le monde a tourné la page d’une coopération au développement bon an mal an considérée depuis 1945 comme l’effort des pays riches pour aider les pays moins riches à rattraper leur retard en la matière. Si les ODD ne gomment pas les différences de richesses entre pays, ni n’annulent la nécessité du rattrapage en divers domaines, ils ne posent plus la question dans les mêmes termes.
Les pays riches ont désormais à rendre des comptes sur leurs politiques et à s’attaquer à leurs propres déséquilibres
Aussi, tout en étant universels, les ODD seront mis en œuvre selon les particularités et besoins de chaque état et de chaque territoire. Les combinaisons de politiques seront différentes et assurément aboutiront à des résultats différents. Dans ce cadre, il semble très opportun de faire place dans la coopération internationale à plus d’échanges de pratiques et d’innovations entre pays, entre territoires et entre acteurs. Des expérimentations en Afrique pourront être utiles à nos territoires en métropole, tout comme l’agenda devrait intensifier les coopérations régionales ou entre sphères géopolitiques partageant les mêmes problématiques. Si l’on prend les États insulaires par exemple et les territoires français d’outre-mer, il est indéniable que l’accroissement de certains enjeux climatiques pour ne prendre que ceux-là, va rassembler ces territoires autour de causes communes et de solutions partageables.
Les ODD dessinent un monde possible à quinze ans, et posent des questions fondamentales pour le siècle naissant.
Dans ce cadre aussi, il sera essentiel de se doter de moyens de régulation mondiale afin de s’assurer que les efforts de tous, même différents, s’inscrivent néanmoins dans une trajectoire convergente. Les Nations unies y travaillent, et c’est essentiel que les experts mobilisés à cette fin puissent être soutenus.
Si la conséquence des ODD sur la coopération internationale est indéniable, l’agenda porte donc en lui des exigences pour chaque pays et notamment le nôtre. Nous l’avons évoqué, la transversalité de l’agenda pose une exigence de cohérence des politiques publiques avec l’enjeu d’un développement soutenable et durable ; il pose la question fondamentale de l’arbitrage entre des injonctions potentiellement contradictoires et remet donc au premier plan la responsabilité politique et ses capacités à prévoir, anticiper, concevoir, piloter et évaluer.
Plusieurs impératifs pour les échelons nationaux et locaux
Tout d’abord celui d’un renforcement d’une planification des politiques publiques autour de deux dimensions : leur projection dans le temps long, et leur bonne articulation les unes avec les autres. Pour cela, il apparaît indispensable que chaque Etat se dote d’une feuille de route explicitant les modalités de mise en œuvre des ODD, et la stratégie nationale retenue à cette fin. Nous le voyons bien, l’agenda pris à plat n’a pas grande valeur particulière, c’est bien sa mise en musique, et les choix qui seront faits pour cela qui lui donnent toute sa force.
Pour penser le temps long, la définition d’une stratégie de mise en œuvre devra nécessairement être complétée et déclinée par des trajectoires globales et par des trajectoires par ODD. Oui, il ne s’agit plus de gérer seulement le présent ou le futur immédiat.
Les ODD dessinent un monde possible à quinze ans, mais posent des questions fondamentales pour le siècle naissant. Ils offrent cette opportunité de lever le regard des contingences immédiates pour redonner sens à l’action. Ils invitent donc à tracer des chemins crédibles et lisibles pour atteindre ce monde souhaitable. Les ODD sont un pari universel pour la soutenabilité de nos modèles de développement.
Aussi, il faudra rendre compte de la façon dont chacune de nos actions contribuera à cette soutenabilité. Il faudra dire comment des projets engagés aujourd’hui, ou planifiés pour demain, tracent une voie cohérente pour accomplir les transitions nécessaires à la durabilité de nos économies et de nos sociétés. Il ne s’agira donc plus de rendre compte des résultats immédiats ou à court terme de telle ou telle décision publique, mais bien de la penser aussi en fonction de l’avenir.
Nous n’avons plus le temps qu’avaient les générations précédentes : les horloges climatiques, environnementales ou sociales sonnent.
Voilà pourquoi il nous faut des trajectoires explicites à nos politiques. Parce que le réchauffement climatique s’accélère : 2017 a été la quatrième année consécutive où les records de chaleurs ont été battus ! Parce que la pression sur les ressources naturelles augmente. Parce que la croissance démographique qui se poursuit démultiplie les risques déjà élevés de crise, de conflits ou de catastrophes naturelles. Parce que la conscience de la finitude de la planète devient plus aigüe et qu’on ne peut plus se contenter de conduire le monde avec pour seule boussole l’indicateur de croissance du produit intérieur brut. Cela devient de plus en plus anachronique.
Aussi, il sera indispensable que les trajectoires de développement durable soient assorties de marqueurs plus complexes, spécifiques et transversaux à la fois, permettant d’analyser le bénéfice de chaque politique publique dans son rapport avec les autres et de dire en quoi le processus engagé est le bon.
C’est pourquoi nous appelons aussi à compléter le PIB par les dix nouveaux indicateurs de richesse publiés officiellement en 2016, mais dont la France tarde encore à s’emparer. Ils constituent pourtant une bien meilleure balise pour juger de notre bien-être et de la cohérence de nos politiques avec le développement durable. En conséquence de cela, il faudra aussi transformer nos exercices évaluatifs pour tendre de plus en plus vers l’évaluation du changement et des processus de changement engagés, plutôt que vers la seule évaluation des résultats ou impacts des projets. Cela est important, mais cela ne peut suffire. Il sera tout aussi fondamental de savoir se doter des bons instruments pour juger de la pertinence de nos stratégies sur le moyen et long terme.
Nous n’avons plus le temps qu’avaient les générations précédentes parce que les horloges climatiques, environnementales ou sociales sonnent. Il faut conduire les politiques d’aujourd’hui avec l’impératif de cette préoccupation renforcée du futur et les évaluer en fonction de cela. Le nouveau Conseil économique, social et environnemental, pourrait justement assumer cette fonction d’évaluation des politiques en fonction de leur cohérence avec le développement durable.
Inter-réaction
Agenda de la projection, il est aussi celui de la territorialisation des activités. Pour mieux apprécier les effets cumulés d’une pluralité de politiques, il faut nécessairement sortir du silo d’une seule d’entre elles et les regarder toutes à l’échelle d’un territoire. Cela suppose donc en amont que la conduite de l’ensemble de ces politiques ait été pensée dans le sens du développement durable du territoire concerné. Cela suppose donc de la part des pouvoirs publics et des administrations, le renforcement de leurs capacités de coordination et d’animation intersectorielle. Cela suppose aussi le renforcement de leurs capacités à animer des processus plus complexes, plurisectoriels et pluri-acteurs.
Le développement durable se fera avec la contribution de tous. Les États seuls ne disposent pas de la capacité à réaliser l’agenda. Si les États ont pour responsabilité de faire et d’inciter à faire, ils ont aussi la nécessité d’animer et de savoir interagir avec les autres parties prenantes : collectivités territoriales, associations et acteurs économiques. Ils ont également la responsabilité d’inciter les acteurs, notamment les acteurs économiques à se mettre en conformité avec l’agenda. Fixer le cap, être stratège et catalyseur et assumer la forme partenariale pour faire. Les ODD se feront si la société entière est mise en mouvement et si la conscience de l’avenir et de la projection des politiques est la même du citoyen à l’élu.
Se rééduquer au temps long
L’agenda des ODD a pour lui la force de la vision et de la prévision ; nous l’avons longuement développé ici. Il a contre lui néanmoins la complexité qu’il assume, le caractère non contraignant qui est le sien, et le temps court qui s’est progressivement imposé comme celui du débat public et de la décision. Pourtant il offre un cadre idéal pour structurer enfin et prendre au sérieux la question du développement durable qui ne date pas des ODD.
L’immédiateté du résultat et du chiffre qui prime sur l’appréciation des effets dans le temps est perverse à divers égards, sans doute joue-t-elle contre lui. Il faut à nouveau se nourrir de visions partagées pour conduire nos politiques. On peut espérer qu’avec la prise de conscience mondiale qui a émergé en 2015 au moment de l’adoption des ODD ou de l’accord de Paris sur le Climat, nous soyons au début d’une inversion de la tendance.
L’accroissement des exercices prospectifs comme aide au pilotage pourrait en être un indicateur. La conscience des milieux économiques que l’avenir ne pourra plus se faire avec les recettes du passé s’accroît. Les grands émergents touchent au bout d’une croissance folle, déséquilibrée socialement et écologiquement, et qui a fait les vingt dernières années, mais dont ils savent qu’elle ne pourra faire les vingt années suivantes.
Les ODD se feront si la société entière est mise en mouvement et si la conscience de l’avenir et de la projection des politiques est la même du citoyen à l’élu.
La préoccupation des biens communs à l’échelle planétaire, ou de l’intérêt général comme nous le dirions en France, est réelle. Cela sera-t-il suffisant ? Ou suffisamment rapide pour inverser la tendance à temps ? Dans tous les cas, à défaut de savoir se prendre en main rapidement, il sera à craindre que la dégradation avancée de notre cadre de vie ne nous l’impose de force.
En définitive, les ODD posent la question de savoir comment continuer demain à faire de la croissance et de produire des richesses tout en réduisant la pauvreté et les inégalités, sans nuire à l’environnement. Équation difficile mais équation vitale s’il en est pour notre avenir à tous.