Enjeux sociétaux Prospective

ODD : l'action gouvernementale

Tribune Fonda N°237 - Faire des ODD un projet de société - Mars 2018
Martin  Bortzmeyer
Martin Bortzmeyer
La France a activement contribué à la négociation de « l’Agenda 2030 » et soutenu son adoption en septembre 2015. Désormais, les Objectifs de développement durable, qui en forment le cœur, sont un élément structurant des organisations onusiennes et multilatérales.
ODD : l'action gouvernementale

En France, l’Agenda 2030 sera le cadre de référence de la mise en œuvre du développement durable au cours des douze prochaines années. Cette mise en œuvre implique la mobilisation de tous, État et acteurs de la société civile, dans une logique de coresponsabilité, de gouvernance ouverte et de partenariat. Le gouvernement a ainsi identifié trois axes pour structurer son action : l’organisation de la contribution de l’État, l’information en vue de l’appropriation des ODD, la mobilisation de tous les acteurs.

Pour la France, qui joue un rôle moteur dans l’application de l’Accord de Paris sur le climat, les ODD sont un vecteur d’intégration des enjeux climatiques dans les politiques sectorielles, et inversement. 

Ils forment un référentiel couvrant l’ensemble des enjeux du développement durable, de la réduction des inégalités à l’égalité des sexes, de la bonne gouvernance à la transition écologique et solidaire, de la formation comme de l’innovation. 

Trois mots clés peuvent les caractériser :

  • l’universalité, qui suppose l’engagement de tous les pays et tous les types d’acteurs ;
  • leur transversalité, c’est-à-dire le fait que les 17 objectifs sont intrinsèquement liés entre eux. Agir en vue des ODD facilitera la cohérence des solutions et des politiques proposées, grâce à leurs interrelations ;
  • enfin, en fournissant un vocabulaire commun, les ODD simplifient le dialogue avec les parties prenantes et facilitent la mise en mouvement combinée de tous les acteurs.


L’organisation nationale


L’architecture gouvernementale

L’action gouvernementale au regard des ODD passe par un dispositif original, piloté par la Déléguée interministérielle au développement durable (DIDD), sous l’autorité du Premier ministre. Elle assure la coordination du volet national de mise en œuvre des ODD en France, en articulation avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, celui-ci veillant au volet international. 

La DIDD s’appuie à la fois sur les services du ministère de la Transition écologique et solidaire et sur le réseau des Hauts fonctionnaires au développement durable (HFDD) qui sont placés dans chaque ministère. Un comité de pilotage interministériel, qui a pour missions d’impulser et de coordonner la mise en œuvre des ODD, se réunit régulièrement, tous les deux mois environ.

Pour rester efficace, le dispositif nécessite aussi une forme d’organisation ODD par ODD. Des ministères pilotes ont ainsi été identifiés pour chacun des 17 objectifs, chargés de piloter les travaux pour l’ODD dont ils sont responsables. Ces chefs de file ont pour mission de mener les travaux de revue des politiques publiques, d’effectuer une analyse des lacunes (« gap-analysis »), d’organiser la concertation avec les parties prenantes et d’assurer le rapportage régulier.

La mise en œuvre des ODD appelle en effet un état des lieux de la situation de la France par rapport aux 169 cibles de l’Agenda 2030. Des revues des politiques publiques au regard des ODD sont ainsi attendues afin d’analyser dans quelle mesure les politiques publiques actuelles participent ou non de l’atteinte des objectifs, d’identifier les politiques à renforcer, les interdépendances et les incompatibilités éventuelles. 

Au niveau du Ministère de la transition écologique et solidaire, ce travail a été confié au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD, à ne pas confondre avec le CGDD). Son rapport est désormais public1 . Cet exercice a vocation à être renouvelé au sein de chaque ministère.
 

Contribuer au suivi international des ODD, assurer le suivi national

Une caractéristique des ODD, qui marque une rupture avec les démarches du processus de Rio, est de fixer des cibles à atteindre et des indicateurs de suivi et de pilotage. Le Forum politique de haut niveau (FPHN) est l’enceinte des Nations unies pour le suivi de la mise en œuvre de l’Agenda 2030.

Dès le FPHN de juillet 2016, la France s’est portée volontaire pour une revue nationale, parmi vingt-deux autres États (dont l’Allemagne). Elle a ainsi présenté un rapport, nourri par des consultations de la société civile, qui dresse un premier état des lieux de son action, en identifiant les principaux enjeux et défis, les orientations du gouvernement ainsi que des bonnes pratiques. Afin de maintenir cette dynamique, la France a tenu à produire un « point d’étape » à l’occasion du FPHN 2017, visant à apporter un éclairage sur la mise en œuvre des sept objectifs faisant l'objet d'une sous revue cette année-là : ODD 1 (pauvreté), 2 (faim zéro), 3 (santé), 5 (égalité des sexes), 9 (innovation), 14  (océans) et 17 (partenariats). Un travail de même nature sera réalisé en vue du Forum de juillet 2018, pour les ODD suivants : 6  (eau), 7 (énergie propre), 11 (villes durables), 15 (biodiversité), 17 (partenariats).


Les indicateurs

La production des indicateurs de suivi est un élément important de la mobilisation de l’État, en concertation rapprochée avec l’ensemble des parties prenantes. Ils ne sont en même temps qu’un instrument, dont la fonction est de porter un message informatif et de permettre le débat. 

L’ONU a arrêté une liste de près de 250 indicateurs pour le suivi de chacune des 169 cibles, liste valable jusqu’en 2020. Ils structurent la redevabilité des États, devant leurs pairs à l’ONU. L’Insee assure la coordination gouvernementale des travaux statistiques sur les indicateurs. Sur l’ensemble des 232 indicateurs retenus par l’ONU, l’Insee a publié sur son site Internet dès mars 2017 une première liste de 110 indicateurs disponibles en France. D’autres viendront progressivement compléter cette première liste pour couvrir l’ensemble des cibles ODD.

Différents niveaux géographiques sont en même temps invités à établir leurs propres tableaux de bord, en complément. En effet, la plupart des acteurs s’accordent sur la nécessité de tableaux plus restreints, de l’ordre de la centaine ou moins. Cette déclinaison permet à la fois de disposer de listes emboîtées d’indicateurs, de préciser les méthodes de tel ou tel indicateur non détaillé par l’ONU, ou de rajouter des indicateurs spécifiques à une zone ou un pays donné.

Au travers de son organisation statistique qu’est Eurostat, l’Union européenne, ensemble géographique plus homogène que le niveau mondial, a ainsi établi une liste de 100 indicateurs dont 51 issus de la liste mondiale. 

Pour la France, le Conseil national de l’information statistique (CNIS), comprenant à la fois des représentants des ministères et de la société civile, a mis en place un ensemble de groupes de travail dédiés. Son objectif est d’établir le tableau de bord des indicateurs français des ODD.


Les décisions du CICID du 8 février 2018

Le comité interministériel pour la coopération et le  développement international (CICID) constitue un des cadres interministériels du plus haut niveau appelé à établir les orientations gouvernementales en ce qui concerne les ODD. Sa tenue récente, en février 2018, a permis de réaffirmer l’engagement de la France à mettre en œuvre les ODD sur le plan national et international. Les principaux éléments opérationnels fixés par le CICID, au premier rang desquels l’élaboration de la feuille de route nationale, sont les suivants (extraits) : 

« Le gouvernement

  • élaborera une feuille de route sur la mise en œuvre des ODD par la France, pilotée par la DIDD et en concertation avec l’ensemble des parties prenantes (...) ; 
  • Cette feuille de route fera appel à une revue des politiques publiques au regard des ODD et définira des priorités d’action (...) ;
  • rendra lorsque cela est pertinent et possible ses indicateurs de performance budgétaire plus cohérents avec les ODD (...) ;
  • (… proposera) une analyse d’impact sur l’atteinte des ODD dans le cadre des textes et documents de nature législative, en concertation avec le Parlement ;
  • (…) »


Informer, sensibiliser, mobiliser l’ensemble des acteurs de la société

Les ODD fournissent un langage commun à l’ensemble des acteurs du développement durable mais nécessitent un travail d’appropriation. L’enjeu est qu’ils deviennent un référentiel pour tous les acteurs, leur permettant de se mettre en mouvement de façon combinée.

D’ores et déjà, de nombreux acteurs sont engagés dans des démarches de réflexion ou d’action pour les ODD. L’État encourage ces mises en mouvement, en participant à de nombreuses initiatives ou en les soutenant. L’action de l’État passe par un volet informatif et un encouragement à la constitution d’une communauté d’action, permettant une large concertation.

Concernant l’information, la dimension multipartenariale que le gouvernement déploie peut s’illustrer par trois exemples :

  • la production prochaine d’un MOOC francophone sur les ODD, qui sera mis en place d’ici l’été 2018 pour une première session utilisable en ligne à partir de septembre ;
  • l’organisation, avec l’association Wikimédia, de deux sessions collaboratives de rédaction des pages ODD du site Wikipédia. Des ateliers, prenant la forme de ce que les wikipédiens appellent un « éditathon » sont mis en place ;
  • la newsletter dénommée « Oddyssée », qui rend compte des initiatives de l’ensemble des acteurs français comme des avancées internationales.


La constitution d’une communauté d’action

Un travail de grande ampleur a été réalisé pour identifier, rassembler, mettre en mouvement, l’ensemble des composantes de la société française en faveur des ODD, en allant bien au-delà des partenaires habituels d’un ministère donné. Une telle démarche suppose un temps long, de repérage, de mise en relation, de compréhension mutuelle. 

Cela a pris la forme de plusieurs ateliers mobilisant les techniques de design de services et d’intelligence collective, toutes sortes de formes visant à faciliter la production de solutions communes, par des acteurs aux préoccupations différentes. Les points d’étape que réalise la France lors des Forums à l’ONU sont notamment préparés par de tels ateliers participatifs. 

Plus généralement, la gouvernance sur les ODD vise à associer étroitement les organisations de la société civile aux étapes de mise en œuvre. C’est le cas au travers d’instances officielles de concertation propres à chaque ministère, comme le Conseil national de la transition écologique (CNTE), pour le ministère en charge de l’environnement, ou le Conseil national pour la solidarité et développement international (CNDSI), au sein du ministère en charge des affaires étrangères.

L’élaboration du point d’étape que présente annuellement la France à l’ONU fait donc l’objet systématiquement d’une double démarche de concertation, la consultation des CNTE et CNDSI, et les ateliers collaboratifs qui ont lieu au printemps. La feuille de route annoncée lors du CICID sera elle aussi élaborée avec l’ensemble des acteurs concernés afin de porter une vision partagée des enjeux prioritaires et des actions à mener : il ne s’agira pas d’une feuille de route pour l’État, mais bien d’une feuille de route pour l’ensemble des acteurs de la société française.

Notons enfin deux rendez-vous importants chaque année : 

  • le 25 septembre, date anniversaire des ODD, qui s’inscrit désormais dans le paysage,
  • la Semaine européenne du développement durable (SEDD), fondée par la France, l’Allemagne et l’Autriche et qui se déroule du 30 mai au 5 juin chaque année, est désormais thématisée aux couleurs des ODD afin de mieux les faire connaître. La SEDD est un temps fort de sensibilisation et de mobilisation des organisations de la société civile et des citoyens. En 2017, il y a eu plus de 4 000 initiatives en Europe (1 300 en France), ce qui a permis de toucher environ 300 000 citoyens dans toute l’Union européenne.


En guise de conclusion

La dynamique de l’Agenda 2030 progresse au plan international comme en France, mais elle doit encore se concrétiser pour emporter l’adhésion active et en profondeur de tous les acteurs, y compris étatiques. Une montée en puissance est nécessaire pour que l’Agenda 2030 devienne véritablement le cadre structurant du développement durable pour les années à venir et l’État s’y emploie : le CICID du 8 février marque ainsi une nouvelle étape de cette progression. 

Au-delà, la mise en œuvre des dix-sept objectifs qui composent cet Agenda implique une révision de notre contrat social et de notre modèle de société, dans une mise en mouvement dépassant largement le cadre gouvernemental.

  • 1 « Revue des politiques du ministère au regard des objectifs de développement durable (Agenda 2030) », rapport publié le 29 janvier 2018 sur le site du CGEDD
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