Cet article est une contribution à la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°245. Il ne figure pas dans la revue papier.
Le retentissement donné aux grandes réunions et aux grands rapports sur l’état de la planète contribuent à répandre l’idée que l’action, en vue d’éviter le drame auquel nous conduit notre mode de vie actuel, ne peut dépendre que de décisions de niveau international. Agir de façon solidaire à ce niveau est bien sûr un objectif incontournable. Mais l’impression d’impuissance qui découle des négociations internationales pousse à l’attentisme, si ce n’est au fatalisme.
Or, s’il est vrai que les problèmes sont d’envergure planétaire, il n’en demeure pas moins qu’ils résultent d’une infinité de causes fragmentées, dispersées dans une infinité d’espaces particuliers d’échelles multiples. Autant d’espaces emboîtés qui sont les espaces de vie et d’action de chacun d’entre nous. Qu’il s’agisse, autant que faire se peut, de réduire la consommation énergétique, d’utiliser des sources d’énergie durables, de ne pas gaspiller et polluer les ressources naturelles, ces espaces sont au cœur de la partie qui se joue.
Prendre du recul par rapport à la vision globale des problèmes environnementaux est donc indispensable pour se donner une idée exacte des possibilités d’agir. Cela passe :
- par la prise de conscience que le micro-environnement qui est le cadre de notre quotidien s’insère dans les grands cycles qui régissent le fonctionnement de la planète ;
- par le souci de comprendre comment les activités humaines qui s’y déroulent contribuent, aussi peu soit-il, aux problèmes que les évolutions de ceux-ci soulèvent ;
- par une réflexion sur les actions locales à entreprendre pour les préserver, et mieux encore pour les restaurer ;
- enfin, par la recherche des voies et moyens de mettre l’action à la portée de tout citoyen.
L’émergence et la généralisation au niveau le plus proche du terrain de cette intelligence collective et sa transformation en un engagement fort et multiforme font partie des conditions sine qua non pour libérer les forces de l’ensemble de la société civile. C’est rien de moins qu’une nouvelle dimension de la citoyenneté qui est à créer. C’est dire l’ampleur de la tâche. Ne pas en faire une priorité est en réalité laisser faire.
De la part de l’État, c’est une grave défaillance dans l’accomplissement de ses responsabilités régaliennes. Mais, pour toutes les formes organisées de la société censées veiller au bon fonctionnement de celle-ci et agir pour en pallier les carences, c’est a minima un manque de lucidité et de vigilance. Il en va ainsi tout particulièrement pour les associations, dont la vocation est d’être tout à la fois les auxiliaires - voire les supplétifs - des services publics et les vigies - voire les lanceurs d’alerte - de la société civile.
Dans la véritable révolution sociétale et citoyenne que la question environnementale impose à la société, les associations ont un double rôle à jouer : prendre en charge le processus de conscientisation qui est nécessaire pour qu’elle ait lieu, et en faire le levain de l’action locale au niveau le plus pertinent pour qu’elle atteigne ses objectifs. Ces deux rôles renvoient à deux de leurs caractéristiques majeures : pour le premier, la combinaison de leur socle de valeurs commun et de leur extraordinaire diversité ; pour le second, la connaissance fine qu’elles ont du terrain. Ces deux traits importants du monde associatif le mettent en phase avec les deux grandes spécificités de la question environnementale.
La première de ses spécificités est de remettre en cause la totalité des composantes des modes de vie. Elle concerne donc tous les domaines dans lesquels les associations agissent. C’est ce que la notion de « développement durable »1 a théorisé en mettant en synergie l’économique, l’écologique et le social. Synergie qui se retrouve dans le document que l’ONU a mis au point pour faire en sorte que les grandes orientations de sa politique environnementale se transforment en actions concrètes répondant aux caractéristiques du « terrain » : l’Agenda 21. Il s’agit d’un guide pour l’action à destination des collectivités territoriales2 . À elles de l’utiliser de façon participative.
L’esprit de la démarche fait que les associations y occupent une place centrale. Dès lors, ne leur reviendrait-il pas de prendre elles-mêmes l’initiative à la hauteur de leurs moyens ? La diversité de leurs expériences les met en mesure de constituer un collectif susceptible de définir un projet commun, au nom de leurs valeurs propres. Cela leur permettrait de hausser la portée de leurs actions respectives en les inscrivant dans le puzzle d’une démarche collective réellement à la hauteur des enjeux. Et réellement aussi à la hauteur de ce que doit être leur engagement sociétal.
La seconde grande particularité de la question environnementale est le fait qu’elle oblige à remettre en cause le principe d’une répartition spatiale des activités et des hommes reposant sur une négation des distances ; elle lui substitue celui, contraire, des solidarités territoriales. Une notion incarne ce retour du « local » : celle de « proximité ». En mettant en évidence les coûts environnementaux et sociaux d’un espace transformé en abstraction, la crise environnementale lui redonne sa double consistance, et physique et sociale. Il s’agit de recomposer ce qui a été décomposé, de recréer, sur de nouvelles bases, tant le continuum disloqué des processus productifs que le tissu conjonctif des rapports sociaux qui créent le réel sentiment d’habiter un lieu. Un tel renversement exige un énorme travail collectif d’invention des rapports économiques et sociaux nouveaux.
C’est là que le mouvement associatif a un gant à relever car d'une part, restaurer ou recréer des liens sociaux est sa raison d’être, d'autre part, le terrain local est son territoire et son terreau.
Il lui revient ainsi tout particulièrement d’intervenir parce que la vocation qu’il se donne d’être au plus près des conditions de vie réelles des gens, dans toute leur diversité de conditions, fait que les associations ont une connaissance irremplaçable de la population dont elles vivent le présent. La multiplicité de leurs domaines d’action fait qu’elles sont en mesure d’identifier le « bassin de vie » que celle-ci partage.
À elles de donner corps à cette réalité invisible et pourtant au plus proche du quotidien en vue d’en faire l’outil d’un avenir fondé sur les synergies à construire autour d’un principe de proximité économe en énergies, écologiquement viable et socialement équitable.
- 1Cette notion a été créée par le Rapport Brundtland en 1987 pour désigner « un développement qui entend répondre aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette notion repose sur trois « piliers » : écologique, social et économique, qu’il s’agit de concilier.
- 2L’Agenda 21 est une procédure adoptée lors du Sommet de Rio en 1992. Sa version actuelle porte sur la période 2015-2030. Elle énonce dix-sept objectifs visant tant le bon usage des ressources naturelles qu’un développement social équitable. Ce programme général a vocation à servir un « cadre de travail [à utiliser par les] collectivités locales et leurs habitants pour mettre en œuvre les concepts de développement durable ».