Associations et démocratie

« Loi séparatisme » : quelles obligations et quelles défenses pour les associations et leurs libertés ?

Tribune Fonda N°251 - Impuissance démocratique : comment retrouver le pouvoir d’agir ensemble ? - Septembre 2021
Benjamin Sourice
Benjamin Sourice
Malgré l’opposition des associations de tout bord, la loi confortant le respect des principes de la République et ses articles relatifs à l’encadrement des associations ont été promulgués au cœur de l’été. En cette rentrée 2021, retour sur les nouvelles dispositions de cette « loi séparatisme » et les perspectives stratégiques pour défendre les libertés associatives.
« Loi séparatisme » : quelles obligations et quelles défenses pour les associations et leurs libertés ?
Manifestation de L.A. Coalition devant l'Assemblée Nationale le 15 février 2021 © Greenpeace France

Durant tout le débat parlementaire sur le projet de loi confortant les principes de la République, dite « loi séparatisme », La Coalition pour les libertés associatives a produit des analyses critiques et cherché à faire entendre la voix de ses membres, inquiets de voir l’espace démocratique des associations se réduire encore.

Las, la société civile et les associations, dans toute leur diversité, y compris philosophiques ou cultuelles, n’auront pas trouvé auprès de ce gouvernement et sa majorité une oreille attentive et un esprit de concorde. Les débats, particulièrement au Sénat, auront été instrumentalisés au tour de la question de l’Islam radical, véhiculant de nombreuses propositions discriminatoires et liberticides, et contribuant à étouffer une discussion collective sur les libertés associatives, alors même qu’un chapitre entier de la loi est consacré à leur « encadrement ».

Parmi les nouvelles dispositions restreignant les libertés associatives et élargissant les possibilités de dissolution (article 16), l’instauration du contrat d’engagement républicain (CER) a été la plus commentée. La signature par les associations de ce nouveau « contrat » conditionnera l’accès aux financements publics des associations (article 12), y compris les aides matérielles (accès aux équipements publics) et les services civiques (article 13). La Coalition pour les libertés associatives s’est résolument opposée à ce contrat, venant se substituer à la charte des engagements réciproques de 2014.

Les autorités n’exigent plus seulement des associations qu’elles se soumettent au contrôle strict et nécessaire de légalité de leur action, déjà prévu par la loi, mais au respect des « principes de la République » et de l’ordre public, dont l’appréciation est autant policière que politique. À ce jour, les conditions d’application de ce contrat restent floues et doivent être précisées par un décret du ministère de l’Intérieur.

Les associations militantes, mais qui bénéficient parfois de soutien public (accès à des équipements collectifs, agréments environnementaux, services civiques) craignent déjà que le CER ne vienne restreindre leur droit de manifester et la possibilité de recourir à des actions de désobéissance civile.

Telle une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, d’autres assurent que cela viendra renforcer une tendance à l’autocensure face à des bailleurs rétifs au droit d’interpellation des citoyens organisés.

Ce contrat sera également imposé à toutes les associations sollicitant la reconnaissance de leur activité ou de leur intérêt à agir en justice par un agrément public (article 15). Ces agréments seront désormais limités à cinq ans et devront faire l’objet d’une instruction systématique par les autorités administratives. L’association sanctionnée se verra privée d’agrément pour les cinq années suivantes.

Une opportunité pour introduire de plus de droit face aux décisions discrétionnaires

En cas de manquement au contrat, il sera procédé au retrait de la subvention publique ou de l’agrément, à l’issue d’une procédure contradictoire, sur décision motivée de l’autorité ou de l’organisme. Un délai de six mois sera imparti à l’association pour restituer les fonds qui lui auront été versés. Sur ce point, le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires et auquel L.A. Coalition et le Mouvement associatif ont transmis une contribution extérieure commune, a émis une maigre réserve : « ce retrait ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’association, conduire à la restitution de sommes versées au titre d’une période antérieure au manquement au contrat d’engagement. »

Néanmoins, si nous devons nous attacher à quelques rares lots de consolation, la décision du Conseil constitutionnel réaffirme l’obligation faite aux autorités d’instruire la rupture du contrat selon une procédure contradictoire et motivée, c’est à dire « claire, précise et adaptée aux faits de l’affaire » dispose la loi. Cela impliquera donc de réunir des preuves pour justifier du manquement aux engagements pris, avec le devoir de le caractériser et de le dater précisément, ainsi que de laisser l’opportunité aux dirigeants associatifs d’apporter des éléments de réponse.

Dès lors, l’absence de sincérité de cette procédure ouvrirait la voie à des recours en annulation devant le juge administratif, offrant ainsi un nouveau levier contre les décisions discrétionnaires. L’Observatoire des libertés associatives pointait ainsi, dans son premier rapport « Une citoyenneté réprimée », ces « coupe-sanction de subvention » arbitraires en guise de représailles à des actions jugées contrariantes pour l’État ou les collectivités territoriales.

Il est à noter que le Conseil Constitutionnel ne s’est pas prononcé dans son avis sur l’article 15 relatif aux agréments, laissant entrevoir de possibles questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) que pourront porter les défenseurs de la liberté d’association.

Enfin, La Coalition pour les libertés associatives ne désarme pas et entend mener, avec la participation de son observatoire, une action de veille et d’alerte sur l’application de la loi séparatisme. Ce travail viendra alimenter les possibles stratégies judiciaires, tant devant le juge administratif français qu’européen. Des recours auxquels sera invitée à participer chaque association qui dispose des ressources juridiques spécifiques pour mener ce qui s’annonce comme une lutte judiciaire de longue haleine.

Il s’agira de défendre collectivement les libertés associatives, celles garanties par la loi 1901, mais également la liberté de manifestation, de réunion, d’expression et d’opinion sans lesquelles les associations ne peuvent agir librement selon l’objet que leurs membres se sont donné.

À retrouver sur le site www.lacoalition.fr, la note de synthèse sur les nouvelles obligations de la loi séparatisme pour les associations.

Opinions et débats