Les travailleurs sociaux sont des acteurs dont l’activité concerne la vie quotidienne des personnes, de la naissance à la fin de vie.
Cette position les met en capacité d’avoir une approche globale des situations individuelles et les place au croisement de plusieurs politiques publiques : santé, emploi, logement, vieillissement, mobilité, handicap, pauvreté, culture, isolement…
Ils interviennent en interaction avec une grande diversité d’acteurs, d’organisations et d’enjeux.
Leurs compétences pour écouter les personnes, comprendre et analyser les situations individuelles et les traduire en phénomènes collectifs, accompagner les personnes et les groupes, prédisposent les travailleurs sociaux à des pratiques de dialogue et de médiation en vue de la recherche de solution.
Le travail social est ancré dans des valeurs humanistes, de justice sociale, de solidarité, de non-discrimination, de promotion et développement de chaque personne et chaque groupe de personnes.
Il est également ancré sur des valeurs démocratiques qui aspirent à donner une place à chacun, dans un postulat où, quelles que soient ses difficultés et sa situation, chaque être humain est doté de ressources et d’un potentiel qui lui permet d’envisager une vie meilleure et d’agir sur son environnement. Il se place dans une perspective de transformation individuelle et sociétale.
Parce que les travailleurs sociaux font face à une massification et une transformation rapide de la demande sociale, ils doivent se mettre en lien avec de nouveaux acteurs et développer des dimensions collectives d’intervention sociale.
Les dispositifs d’aide sociale individuelle ne peuvent pas répondre durablement aux difficultés liées à la précarité économique ; à la tension sur le marché du logement ; à l’isolement des ménages composés d’une seule personne ; aux personnes n’accédant pas à leurs droits ; aux besoins de populations en situation de non-droit sur le sol français ; au délitement du vivre ensemble ou à la cristallisation de tensions dans les rapports sociaux.
Comment construire une intervention sociale collective dans une réponse sociale individuelle ?
La réponse sociale instituée par les politiques publiques en France privilégie l’approche individuelle avec des dispositifs ciblés par difficultés. Les travailleurs sociaux sont assignés à résoudre les problèmes de chacun au cas par cas sur un volet curatif, confrontés à un empilement de dispositifs qui s’accumulent plus qu’ils ne s’articulent.
Or, si l’accompagnement individuel est un levier essentiel dans la prise en compte des personnes dans leur singularité, ce seul modèle atteint vite ses limites dans un contexte de contrainte des moyens et de forte croissance de la demande sociale.
Les travailleurs sociaux sont renvoyés à un fort sentiment d’impuissance et de perte de sens de leur mission. Il y a nécessité impérative pour les professionnels, pour leurs managers et pour les personnes accompagnées de changer d’approche, de mise en lien avec de nouveaux acteurs et de développer des dimensions collectives d’intervention sociale.
L’intervention collective est une condition requise pour passer d’une approche essentiellement réparatrice à un modèle d’action plus préventif : passer de l’adaptation des personnes à la société telle qu’elle est à une action de transformation des milieux et des conditions de vie avec les personnes concernées.
Le travail social collectif renvoie à des méthodes d’intervention sociale qui s’appuient sur les potentialités des personnes et des groupes.
Il nécessite de sortir d’une logique de juxtaposition de dispositifs et d’acteurs pour aller vers une logique de coopération et partenariat, et d’une logique de distribution d’une réponse instituée pour aller vers une logique de participation citoyenne accrue et de valorisation des potentiels, tant des personnes accompagnées que de leur territoire.
Les différents courants et méthodes du travail social collectif reposent sur des postures communes, une philosophie de l’action et une méthode explicites : l’approche collective d’un problème social, le renforcement de la capacité des personnes ou des groupes à agir dans leur environnement, une approche globale et transversale.
La diversité des méthodes et des courants permet d’intervenir de manière adaptée selon les acteurs, le milieu, la population et les problématiques.
Un changement de posture
Pour la première fois de son histoire, le travail social fait l’objet d’une définition inscrite dans le code de l’action sociale et des familles, définition qui positionne l’articulation et la complémentarité de l’accompagnement individuel et de l’intervention collective (décret du 6 mai 2017).
Les deux approches sont indissociables pour permettre une réelle mixité de croisement des personnes et des savoirs, y compris des savoirs d’usage, autour d’une même problématique.
Cette conception du travail social ne peut advenir que si l’organisation de l’institution, les orientations politiques et managériales la favorisent en accroissant la transversalité de ses politiques sectorielles et en accompagnant la transformation des méthodes de travail.
L’activité de travail social collectif consiste à mobiliser les acteurs concernés pour les aider à construire leur projet de résolution de leur difficulté commune. La posture du travailleur social est donc moins une question d’expertise sur les solutions existantes que sur le cadre d’intervention.
La manière de conduire le travail vise à favoriser la relation entre les personnes du groupe et à garantir la forme des échanges ainsi que la rigueur méthodologique pour permettre la réalisation du processus collectif. Cela suppose de développer des aptitudes à l’animation des groupes et de construire des réseaux de réflexion et d’action.
Cela exige de déconstruire le rapport de pouvoir entre les professionnels du travail social, les bénévoles et les personnes accompagnées au profit d’une dynamique horizontale, axée sur le développement du pouvoir d’agir et l’émancipation, en mettant l’accent sur les forces, les habiletés et les opportunités, et pas seulement sur les limites et les difficultés des personnes accompagnées.
La médiation sociale qui s’est développée initialement dans les quartiers urbains, s’appuie sur des principes d’action tels que « aller vers — faire avec — se mettre en réseau » et s’inscrit pleinement dans un mouvement visant à mettre les personnes vulnérables en capacité d’être acteurs de leur propre développement et favoriser la cohésion sociale.
Aujourd’hui, ce champ d’intervention sociale de proximité s’est massivement développé dans le domaine de la médiation numérique.
Plus de 13 millions de personnes sont déjà en difficulté ou susceptibles de l’être dans l’accès aux droits ou le maintien de leurs droits et la distribution d’une réponse curative par un intervenant social connecté ne permettait pas de garantir le développement de l’autonomie des personnes accompagnées.
Les intervenants sociaux ont tissé des coopérations avec de nouveaux acteurs pour développer avec les personnes concernées, des actions d’inclusion numérique de proximité et des collectifs locaux de solidarité numérique.
La mise en œuvre de nouveaux métiers, le développement de point de libre accès WIFI, la simplification de gestion des mots de passe et conservation des données avec Aidant Connect et le maintien d’une version non numérique obligatoire pour les formulaires de droits sociaux constituent autant d’exemples de la capacité de développement social et de transformation à laquelle contribue l’intervention sociale collective.
CYPRIEN AVENEL, CRISTELLE MARTIN
MANUEL DE L'INTERVENTION COLLECTIVE POUR LES TRAVAILLEURS SOCIAUX
Paru à la Documentation Française, 2021, 202 pages.
