En septembre 2015, les 197 pays membres des Nations6Unies ont adopté dix-sept Objectifs de Développement Durable, l’« Agenda 2030 ». Ces ODD succèdent aux huit « Objectifs du Millénaire pour le Développement » (OMD), arrêtés quinze ans plus tôt lors du Sommet du Millénaire, organisé également par l’ONU à New York.
Ce nouvel Agenda, intitulé « Transformer notre monde », est un « plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité », qui comporte 17 objectifs et 169 sous-objectifs. Il vise notamment à « apporter des changements radicaux à la manière dont nos sociétés produisent et consomment biens et services. Les gouvernements, les organisations internationales, le secteur privé, les autres acteurs non étatiques et les particuliers doivent tous participer à la transformation des modes de consommation et de production non durables »1 .
Dix-huit mois après l’adoption des ODD, où en est-on de leur réalisation en France, sur le fond, sur la méthode, dans la pratique ?
Sur le fond : convergences et partenariats
Fruit de plusieurs années de préparation et de concertation, entamées au Sommet « Rio + 20 » en 2012, les ODD adoptés en 2015 innovent à plusieurs niveaux et de plusieurs manières.
- L’Agenda 2030 renoue avec l’esprit du Sommet de la Terre de Rio 1992 en reliant ensemble environnement et développement, alors que les OMD visaient avant tout la lutte contre la faim et contre l’extrême-pauvreté et pour le développement des pays les plus pauvres.
- Tous les États sont soumis aux mêmes responsabilités et ont à décliner les Objectifs du développement durable, pays développés comme pays en développement. Les ODD s’appliquent à tous et attestent d’un consensus de la communauté internationale pour un avenir planétaire empreint de justice sociale et de responsabilité et pour une profonde transformation socio-économique.
- Le rôle de la société civile est officiellement reconnu et l’objectif transversal 17 encourage les partenariats entre les États et les acteurs non-étatiques, entre les acteurs publics et les acteurs privés. Cette coopération entre les acteurs, que symbolise l’ODD 17, constitue l’essence même des ODD.
- Ce programme universel est fondé sur le volontariat. Il n’a pas valeur obligatoire, considérant que diagnostic partagé et adhésion volontaire sont plus efficaces à terme que les réglementations, même si certaines sont bien évidemment parallèlement nécessaires.
Sur la méthode : co-responsabilité et rapportage
Les ODD ayant été adoptés par les États membres des Nations unies, leur mise en œuvre est en conséquence d’abord de la responsabilité desdits États, en invitant l’ensemble des parties prenantes (collectivités territoriales, entreprises, associations, société civile...) à contribuer aux processus nationaux, mais aussi à les décliner elles-mêmes.
L’Agenda 2030 innove également au niveau de sa méthode de réalisation : l’adoption d’objectifs par l’ensemble des chefs d’État de la planète, associée à un accord commun pour le suivi, public et en toute transparence, de leur mise en œuvre dans les différents pays.
L’élaboration de la feuille de route nationale
En France, l’action des administrations et établissements publics de l’État pour le développement durable est animée depuis 2004 par la Déléguée interministérielle au développement durable, dont la mission s’est logiquement étendue aux ODD en 2016. Elle prépare les délibérations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement durable (CICID), présidé par le Premier Ministre, et en rend compte devant le Parlement et à la société civile2 .
Sur le fond, la mise en œuvre des ODD s’inscrit dans le prolongement de la troisième Stratégie nationale de développement durable (SNTEDD) 2015-2020, élaborée à partir de 2013 par le Ministère chargé de l’environnement et adoptée en Conseil des Ministres3 . Le dernier et récent CICID4 a ainsi annoncé la mise en chantier d’une « feuille de route sur la mise en oeuvre des ODD », dans un cadre interministériel et avec la « mobilisation des acteurs de la société française », qui préparera la future Stratégie nationale de développement durable 2020-2030.
Le Parlement s’est jusqu’ici peu impliqué dans l’Agenda 2030. Son action est pourtant essentielle pour l’appropriation politique et collective des ODD, indispensable également comme courroie de transmission avec les collectivités territoriales.
La troisième assemblée, le Conseil économique, social et environnemental, doit aussi jouer ce rôle dynamique, surtout s’il devient la « Chambre du futur », souhaitée par le Président de la République.
L’exercice de rapportage
« Nos gouvernements sont les principaux responsables du suivi et de l’examen, aux niveaux national, régional et mondial, des progrès accomplis dans la mise en œuvre des objectifs et des cibles au cours des quinze prochaines années »5 . Cette évaluation est en cours depuis 2016 aux niveaux international et national.
Au niveau international, un « Forum politique de haut niveau » (FPHN) se tient à l’ONU en juillet de chaque année. Il permet aux différents États de rendre compte de leurs efforts devant les autres pays et les représentants de la société civile. Concrètement, il donne lieu à des réunions thématiques et à des séances de présentation par différents pays de leur stratégie de mise en œuvre des ODD6 .
Tous les quatre ans, l’ONU doit effectuer un bilan de l’avancement de l’Agenda 2030. Quinze experts indépendants ont été chargés par le Secrétaire général de l’ONU de rédiger ce rapport quadriennal en 2019, dont le PDG français de l’Institut pour la recherche et le développement (IRD). Le FPHN est au cœur du mécanisme de suivi des ODD au niveau global. Il constitue pour la France, comptable de ses engagements internationaux devant la communauté planétaire, encore auréolée du succès de la COP 21, un enjeu politique et diplomatique important.
Au niveau national, la France a présenté dès juillet 2016 un premier rapport sur la mise en œuvre des ODD, coordonné par le Commissariat général au développement durable (CGDD)7 . L’universalité thématique qui les caractérise a amené ce rapport à présenter la plupart des politiques nationales liées directement ou indirectement aux différents ODD.
Pour 2017 et les années suivantes, l’ONU a proposé que chaque Forum soit consacré à l’examen d’un groupe d’ODD différents et des liens qui les unissent, et à chaque fois de l’ODD 17. La France a ainsi présenté un deuxième rapport en juillet 20178 . Ce rapport fait un point plus précis de six objectifs et aborde pour la première fois leurs interrelations. La France s’est aussi penchée sur la question des indicateurs. L’Insee a publié une première liste de 110 indicateurs, à partir des 232 établis par l’ONU pour le suivi des ODD. Un groupe de travail a été mis en place afin de sélectionner les indicateurs les plus pertinents, et une consultation publique lancée, l’ensemble visant à produire un « tableau de bord français des ODD ».
Pour contribuer à mobiliser les acteurs non-étatiques, au-delà de la participation institutionnelle du CNDSI, du CNTE et du CESE, l’État, via le CGDD, a réuni de nombreux acteurs à l’occasion d’ateliers participatifs, en juin 2016 et avril et septembre 2017, permettant la valorisation d’un certain nombre de bonnes pratiques en la matière. D’autres actions de sensibilisation ont été menées : événements thématiques, élaboration d’un MOOC, lettre d’information dédiée aux ODD, lancement d’un concours de « data-visualisation »... Dans l’optique de l’élaboration de la feuille de route précitée, ces initiatives participatives vont se poursuivre.
Cependant, la connaissance des ODD et leur appropriation restent limitées et superficielles, comme le souligne un rapport récent du Comité 219 , constat partagé par d’autres associations et organismes de recherche10 . Destinée à mettre en lumière les nombreuses actions concrètes des acteurs non-étatiques, cette initiative vise à amorcer leur mobilisation pour travailler ensemble et préparer les partenariats et les coalitions permettant la massification progressive des bonnes pratiques et des comportements, mais surtout favoriser l’acculturation des ODD dans la société française.
Au niveau européen, l’Union, qui, par le passé, avait été très volontariste sur les questions environnementales, puis climatiques, se révèle ne guère l’être sur le développement durable en général, les ODD en particulier. Cependant, en juin 2017, la Commission a décidé de créer une plateforme pluripartite chargée de favoriser le suivi et l’échange des bonnes pratiques liées à la mise en œuvre des ODD et un Conseil européen a finalement demandé à la Commission d’élaborer, d’ici mi-2018, une « stratégie de mise en œuvre de l’Agenda 2030 ».
La France se situe au 10e rang sur 157 pays étudiés quant à sa performance actuelle dans la mise en œuvre des 17 ODD.
Dans les autres pays, il s’avère très difficile d’évaluer et de comparer aujourd’hui le contenu des politiques et des moyens, compte tenu du caractère récent de l’exercice et de l’hétérogénéité des contextes spécifiques à chaque pays. De plus, les indicateurs, même partagés grâce aux travaux onusiens, doivent être adaptés dans chacun des pays, ce qui est loin d’être encore finalisé, alors que ces travaux constituent le préalable à la mesure des progrès. Il n’en demeure pas moins le constat d’une réelle volonté politique d’un grand nombre de pays de tenter l’exercice.
Malgré le caractère récent de la mise en œuvre des ODD et les difficultés d’évaluation, un certain nombre d’acteurs, notamment non-étatiques, se sont quand même essayé à des comparaisons, voire à un classement, entre les États : ainsi, selon deux organismes reconnus au plan international11 , la France se situe au 10e rang sur 157 pays étudiés quant à sa performance actuelle dans la mise en œuvre des 17 ODD, et on retrouve dans cette expertise les points forts (protection sociale, transition énergétique, santé ...) et les faiblesses (emploi des jeunes, équité éducationnelle, pressions sur la biodiversité …), régulièrement mis en avant dans d’autres contextes et par d’autres études.
De toute façon, l’étendue des ODD est telle qu’aucun pays ne peut se prévaloir meilleur qu’un autre, en tout cas pour l’instant, et que tous se heurtent à de réelles difficultés de positionnement et de mise en œuvre, à la hauteur des défis posés par certaines cibles.
Dans la pratique : initiatives et engagement
Depuis de nombreuses années et avant même l’avènement des ODD, tout ou partie d’entre eux pris séparément, ont été, et sont toujours, mis en œuvre par l’État et par les acteurs non-étatiques français : entreprises, collectivités territoriales, associations, monde académique, etc., au travers de multiples démarches qu’on peut, ou pourrait, qualifier, directement ou indirectement, de développement durable : politiques publiques, Agenda 21, PCAET, stratégies de RSE et RSO, actions de lutte contre le changement climatique, économie sociale et solidaire, coopération internationale…. On a ainsi pu dire que les différents acteurs « font déjà des ODD sans le savoir ».
On pourrait donc en induire que l’ensemble des politiques publiques, sur la croissance et l’emploi, sur l’insertion sociale, sur la parité, sur la santé, sur l’environnement, pour ne prendre que quelques enjeux, déclinent déjà les ODD et qu’on pourrait s’en satisfaire. Et, par similitude, que les actions des acteurs privés qui répondent déjà à certains enjeux de durabilité suffisent à y répondre. Ce n’est pas entièrement faux, mais trop limitatif eu égard aux exigences d’interrelations et de partenariats que proposent les ODD, et considérant surtout que ces politiques publiques et privées n’ont pas réussi, telles quelles, à résoudre les crises et les impasses socio-économiques et environnementales.
Malgré le fait que ces objectifs sont relativement récents et encore réservés aux initiés, mais aussi parce que leur déclinaison peut sembler difficile, du fait de leur universalité, du nombre des cibles visées et de leurs interrelations, on peut quand même noter une sensibilisation des acteurs en réelle augmentation et une pleine conscience que les ODD représentent une véritable opportunité pour adapter et repenser notre modèle socio-économique. Ainsi la plupart des grandes entreprises pensent qu’elles doivent s’emparer des ODD comme d’une référence pour progresser et rendre compte12 .
Discerner ce qu’on peut attendre des ODD par rapport aux politiques traditionnelles constitue aujourd’hui l’enjeu principal de leur mise en œuvre. Quelle gouvernance interministérielle la plus adaptée ? Quelle participation multi-acteurs, dont celle des territoires ? Quelle gestion des biens communs planétaires mise en lumière par les ODD ? Quelles interactions entre eux pour révéler leur spécificité ? Quelle valeur ajoutée peuvent-ils apporter ? En quoi l’Agenda 2030 renouvelle-t-il l’exercice politique ? Quel récit politique propose-t-il aux Français ?
Sans doute l’Université de la prospective de la Fonda des 22 et 23 mars 2018, puis ensuite les ateliers du Faire ensemble pourront-ils apporter quelques réponses à ces questions.
- 1Article 28 de la Résolution des Nations unies adoptée le 25 septembre 2015.
- 2Notamment au Conseil national pour le développement et la solidarité internationale, au Conseil national de la transition écologique et au Conseil économique, social et environnemental.
- 3. Voir le rapport au Parlement 2016 « Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable 2015-2020 »
- 4Le 8 février 2018, sous la présidence du Premier ministre
- 5Article 47 de la résolution des Nations Unies adoptée le 25 septembre 2015.
- 6En 2017, près de 50 pays ont présenté un rapport.
- 7Rapport gouvernemental sur la mise en œuvre des ODD, presenté lors du FPHN sur le developpement durable en juillet 2016 à New York.
- 8Point d’étape dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable à l’occasion du Forum politique de haut niveau sur le développement durable, juillet 2017.
- 9 « Quelle appropriation des ODD par les acteurs non étatiques français ? », Comité 21, juin 2017.
- 10Notamment : IDDRI, Global Compact France, FNH, WWF, Coordination Sud, RAC, 4D, Together 2030.
- 11 Le Bertelsmann Stiftung et le Sustainable Development Solutions Network.
- 12« Plus d’un tiers des entreprises du SBF 120 se mobilisent aujourd’hui sur les ODD » - B&L Évolution, sept. 2017.