Associations et démocratie

Les conseils citoyens sont une offre institutionnelle de participation

Collectif Pouvoir d'agir
Libération a publié un entretien avec Thomas Kirszbaum sur son analyse des conseils citoyens et des échecs de la politique de la ville.
Les conseils citoyens sont une offre institutionnelle de participation

Pour le sociologue de l'urbain Thomas Kirszbaum, les futurs conseils citoyens sont dans la continuité des dispositifs de démocratie participative instaurés depuis 30 ans.

La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, adoptée en février 2014, reconnaît le principe fondamental d'une «co-construction» avec les habitants. Elle prévoit dans ce but la mise en place de conseils citoyens, associés à l'élaboration et à l'évaluation de la nouvelle politique de la ville. Thomas Kirszbaum, sociologue de l'urbain, apporte son éclairage et ses doutes sur ces nouvelles instances. La culture politique française a tendance à privilégier l'encadrement plutôt que des formes autonomes de participation. Pensez-vous qu'il en va de même avec les conseils citoyens? Le conseil citoyen se situe à certains égards dans la continuité des dispositifs de démocratie participative instaurés depuis trente ans en France. C'est une offre institutionnelle de participation, octroyée d'en haut. La formule du conseil citoyen est le fruit d'un compromis avec les présidents d'exécutiflocaux, très représentés au Parlement, qui ont voulu affirmer par ce choix qu'ils gardaient la maîtrise des processus participatifs. Il revient en effet aux partenaires institutionnels de piloter la mise en place des conseils, lesquels feront l'objet d'une autorisation préfectorale, après consultation du maire et du président de l'intercommunalité. Surtout, les parlementaires ont écarté la notion de «co-décision» qui était au coeur du rapport de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache (Pour une réforme radicale de la politique de la ville, juillet 2013) commandé par l'ex-ministre délégué à la Ville, François Lamy. Le conseil citoyen est la principale, sinon la seule, concrétisation de ce rapport qui contenait pourtant de nombreuses propositions audacieuses pour répondre à une crise très aiguë de la représentation démocratique dans les quartiers populaires. Loin d'y répondre, la politique de la ville s'est bureaucratisée et municipalisée, marquant une différence importante avec d'autres systèmes, en Amérique du Nord ou en Europe, plus ouverts à la société civile, y compris dans les processus de décision. Le point positif de la réforme, c'est la reconnaissance officielle, dans la loi de février 2014, que la politique de la ville doit être participative. Ce n'était pas le cas jusqu'à présent. Mais le fait de devoir en passer par la loi montre à quel point l'ouverture à la société civile est peu naturelle en France.

Le cadre de référence pour la mise en place des conseils citoyens vous paraît-il cohérent?
Ce cadre de référence est cohérent avec la volonté de maîtrise publique de la participation puisqu'il précise dans le détailles missions et la composition des conseils citoyens, même s'il ne s'agit que d'un guide à l'usage des institutions locales, sans valeur normative. On y trouve des principes intéressants, comme le tirage au sort d'habitants dans un souci de diversification des publics participants, des actions de formation à destination des membres du conseil et d'autres acteurs, ou encore la possibilité de recourir à au mécénat privé pour ne pas dépendre uniquement des financements publics. Mais il subsiste des zones d'ombre. L'une d'elles concerne la vérification de conformité, par le préfet, entre la composition du conseil et les principes mis en avant dans le cadre de référence, notamment celui de laïcité. Une autre concerne les liens entre les conseils citoyens et les autres dispositifs institutionnels, comme les conseils de quartier ou les nouvelles «maisons du projet» dans les quartiers en rénovation urbaine. Mais l'interrogation essentielle porte sur le pouvoir qui sera effectivement conféré aux nouveaux dispositifs. Des représentants des conseils vont siéger dans les instances de pilotage des contrats de ville, mais on ne dit pas précisément dans quelles instances, à quelle échelle, ni pour quoi faire. On note aussi une incohérence de calendrier. Les conseils citoyens devaient manifester la «coconstruction» des contrats de ville avec les institutions. Or ils seront mis en place en janvier 2015, alors que l'élaboration des contrats de ville aura été largement amorcée, voire finalisée. C'est plutôt dans quatre ou cinq ans, aux termes des contrats de ville, qu'il faudra regarder quelles dynamiques locales cela aura produit.

Selon vous, de quelle manière la problématique de la participation citoyenne doit-elle être traitée?
La question de la participation citoyenne doit être posée de deux façons. Soit elle s'inscrit dans les rouages des politiques publiques, en tant que contribution de la société civile à l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation de projets dans les territoires. Il faut alors un processus suffisamment inclusif pour que la diversité des intérêts puisse s'exprimer et peser sur le contenu des politiques publiques. Soit il s'agit d'une participation extérieure aux cadres institutionnels qui revendique, conteste et interpelle les politiques. Les conseils citoyens se placent clairement dans le premier registre, avec de sérieuses interrogations quant à leur capacité à influencer la décision publique. Sandie VADIMON pour le journal Libération publié le 22 octobre 2014

Vous pouvez retrouver cette article, publié le 22 octobre 2014 par Libération, en cliquant sur ce lien Interview de Thomas Kirszbaum

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