Modèles socio-économiques

Les chaînes de valeur de l'animation de la vie sociale

Tribune Fonda N°248 - Penser la valeur pour défendre nos valeurs - Décembre 2020
Hugo Barthalay
Hugo Barthalay
Et Chrystelle Vereecke, Sandrine Dumesnil, Fédération des Centres sociaux et socioculturels de France (FCSF)
Les centres sociaux expérimentent actuellement une évaluation fondée sur l'analyse de leurs chaînes de valeur, accompagnés par la Fonda. Cette approche permet une réflexion sur le sens de l'action commune, en impliquant tous les publics dans les questions d'évaluation et en accordant autant d'importance aux façons de faire qu'aux résultats. Retours sur cette expérimentation au niveau de la fédération ainsi que de deux centres sociaux.
Les chaînes de valeur de l'animation de la vie sociale
Photo par Louis Mornaud

Depuis 2018, la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) est engagée dans l’expérimentation conduite par La Fonda autour de l’évaluation de l’animation de la vie sociale par la méthode des chaînes de valeur.

Une implication qui s’inscrit au cœur de plusieurs priorités politiques pour notre réseau : faire influence, reconnaître le rôle des centres sociaux et de l’animation globale et accompagner l’évolution des modèles socio-économiques des centres sociaux dont le renforcement de nos alliances avec les partenaires publics et privés.
 

À PROPOS DE VALEUR

Si la notion de chaîne de valeur est a priori éloignée des préoccupations quotidiennes des centres sociaux, son actualisation dans le cadre de l’accompagnement méthodologique proposé par la Fonda répond à plusieurs enjeux.

D’une part, il s’agit de pouvoir sortir de l’écueil d’une croissance exogène des structures uniquement par l’activité et par la reconnaissance de la valeur produite car il y a financement en face1

D’autre part, la démarche méthodologique proposée permet justement de décortiquer nos activités pour comprendre celles qui sont créatrices de valeur (au sens large) et les autres. Il s’agit bien là pour nous d’outiller le réseau pour valoriser nos apports spécifiques au développement des personnes, des territoires et des réseaux d’acteurs.


À PROPOS D'ÉVALUATION

La démarche initiée avec la Fonda s’inscrit dans le panel des expériences pilotes au sein du réseau des centres sociaux autour des enjeux de l’évaluation de l’utilité sociale/impact social. Cela vient nous interroger sur quel nouveau regard, quelle nouvelle analyse, quelle nouvelle comptabilité (au sens large) nous devons construire. Au sein de la FCSF, nous avons posé 4 repères clefs dans lesquels l’expérimentation en cours s’inscrit pleinement :

  • Un contexte de concurrence, de tension des financements publics et de restructurations, dont l’expérimentation se fait écho à travers sa prise en compte de l’ensemble des parties prenantes.
  • Des défis de société qui interrogent et viennent faire évoluer nos pratiques avec un mode de faire qui confère à nos maisons une nature hybride : maisons d’activités et de services, maison de la citoyenneté, maison-couveuse de projets. L’expérimentation met ainsi en valeur les processus qui permettent la mise en œuvre de ces activités et révèle le « comment » du processus de l’animation globale. 
  • Notre implication dans la politique publique de l’animation de la vie sociale (AVS) aux côtés de la CNAF et des CAF est également pleinement intégrée à notre ambition autour de l’évaluation. Une ambition qui s’inscrit dans les engagements de la CNAF pour 2021, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion avec l’État, d’évaluer les actions de l’animation de la vie sociale dans une démarche construite avec les habitants.
  • Un enjeu démocratique et de projet politique, car ouvrir l’évaluation des centres sociaux à l’ensemble des parties prenantes et en premier lieu aux habitants, c’est faire coïncider l’exigence démocratique que nous portons sur la société à l’exigence d’exemplarité sur nos structures.
  • Le défi est de taille mais vient là aussi confronter la façon dont nous associons chacun·e à l’évaluation.

Sortir de l'écueil d’une croissance exogène des structures uniquement par l’activité.

La démarche en cours avec la Fonda passe aujourd’hui d’une phase exploratoire – un premier commun méthodologique ayant été stabilisé – à une phase d’expérimentation. Il s’agit désormais pour nous de regarder, analyser et confronter comment ce nouveau regard est en écho avec nos priorités politiques, avec nos façons de faire pour mieux rendre lisible et visible l’animation globale et son rôle au service de la cohésion sociale et de la transformation des territoires.


REGARDS CROISÉS DES CENTRES SOCIAUX IMPLIQUÉS

Entretien avec Chrystelle Veerecke et Sandrine Dumesnil, respectivement directrice de l'association Oxygène située à Neuville-lès-Dieppe (76) et directrice du centre social AMISC situé à Montivilliers (76).

Comment avez-vous mis en place la démarche ESS et création de valeur dans le centre social que vous dirigez ?

Chrystelle Veerecke La première étape a été d'identifier le projet, qui devait à la fois être pertinent comme support de recherche et servir notre développement interne. Il a été décidé de travailler sur la valeur générée par l’intégration d’un multi-accueil à un centre social détenteur d’un agrément enfance-famille en quartier politique de la ville.

Face à la difficulté à laquelle nous avons été confrontés au moment de créer des indicateurs, il a été décidé de procéder autrement, en réalisant les outils de collecte pour ensuite en déduire les critères d'évaluation.

La passation des questionnaires auprès des familles du centre social est intervenue pendant le premier confinement et, malheureusement, les outils développés n’ont pas pu être exploités, tout comme certaines grilles d’observation des familles.

Le temps a ensuite manqué pour la passation des questionnaires auprès des usagers du multi-accueil, d’autant qu’au déconfinement bon nombre de familles avaient mis fin aux contrats. Les questionnaires destinés aux professionnels, quant à eux, ont été traités comme prévu initialement.

Sandrine Dumesnil Au préalable de cette recherche action, deux réflexions étaient en cours au sein de l’AMISC. Le souhait de faire reconnaître l’intérêt d’un centre social sur son territoire auprès des financeurs locaux et une demande des adhérents de développer un système d’échange de services.

À partir de notre stratégie d’animation de la vie sociale sur le territoire, notamment en accompagnant l’implication des habitants dans des collectifs thématiques, nous voulions :

  • faire le point sur ces dynamiques pour vérifier qui sont les habitants impliqués, comment, et ce que l’on doit faire évoluer pour mobiliser d’autres habitants ;
  • nous interroger sur la pertinence de faire évoluer les dynamiques d’implication des habitants en intégrant des logiques contributives.

Quelles ont été les étapes suivantes pour mettre en place cette démarche d'évaluation ?

S. D. Dans un deuxième temps, nous avons créé un groupe de travail composé de quinze personnes (représentants du CA, bénévoles issus de ces collectifs et salariés de l’association) pour accompagner ce travail d’évaluation. Ce groupe a construit un questionnaire pour interroger les bénévoles sur leur parcours . Ce travail d’enquête a permis de récolter 37 questionnaires et d’en tirer une analyse sur les motifs et modalités d’implication des bénévoles, sur les impacts pour eux, pour le centre social et pour le territoire ainsi que sur les pistes de travail à envisager dans les années à venir.

Comment les différents acteurs qui font vivre votre centre social se sont-ils investis dans cette démarche ?

C.V. Le niveau de conceptualisation développé par la Fonda était inaccessible à la grande majorité de nos administrateurs, qui sont des bénévoles du quartier.

La mesure de la valeur créée par des relations humaines a constitué un véritable casse-tête pour les intervenants : comment rendre compte en termes de valeur d’une relation animatrice-habitant instaurée depuis vingt ans ? Comment qualifier la place qu’occupe une professionnelle dans la vie de l’habitant ? Quel en est l’impact social ?

Autant de questions devant être traduites en indicateurs d’évaluation objectivables. Un travail de vulgarisation a été réalisé auprès des administrateurs pour leur permettre de saisir les principaux enjeux liés au concept de « création de valeur », ainsi que le déroulé de l’expérimentation. Les instances de gouvernance ont donc validé notre entrée dans la démarche puis ont suivi la recherche-action de loin.

En revanche, le projet étudié (le rapprochement entre le centre social et le multi-accueil) mobilisait l’ensemble du CA soucieux de vérifier si l’articulation entre les deux équipements était opérationnelle et efficiente. Les habitants sollicités pour répondre à l’étude ont été accompagnés dans la démarche mais les détails de la recherche prenaient difficilement sens.

Malgré nos efforts d’explication, la grande majorité d’entre eux a vécu la consultation comme une évaluation classique. Nous avons pris soin de réaliser et de leur remettre un document synthétique une fois la démarche aboutie.

Et comment les salariés, bénévoles et habitants se sont-ils appropriés cette démarche à Montivilliers ?

S. D. Les membres du groupe de travail se sont impliqués dans toutes les étapes de l’évaluation, même si ce travail était difficile pour eux du fait de la méthode, du vocabulaire et des concepts utilisés, nouveaux et pas toujours compréhensibles pour l’ensemble des usagers de nos structures.

Avec l’aide de la Fonda, le groupe de travail a pu collectivement définir le sujet de l’évaluation, choisir la méthode d’enquête avec la réalisation du questionnaire et assurer sa diffusion auprès des autres bénévoles du centre social et dans la co-animation de groupes. Présenter la démarche a aidé à la complétude du questionnaire souvent jugé difficile dans sa compréhension.

Cette notion de valeur a été réfléchie avec eux au regard de ce que cette implication leur apporte, ce qu’ils pensent apporter au centre social et au territoire.

Quels ont été les effets de cette démarche d'évaluation participative pour l'association Oxygène ?

C. V. Cette démarche a particulièrement permis de souder l’équipe professionnelle autour des enjeux de mesure d’impact social, voie dans laquelle l’association s’était engagée l’année précédente à travers la recherche-action « La fabrique d’initiatives citoyennes, une méthodologie au service de l’impact social ».

Sur le plan du management, cette démarche a placé la recherche d’impact ou de valeur comme une donnée essentielle dans la construction de projet. Il est aujourd’hui fréquent d’entendre les équipes exprimer les objectifs opérationnels d’un projet sous l’angle de la recherche du plus grand impact.

La démarche d’évaluation participative menée a–t-elle renforcé la compréhension de vos activités ?
S. D. Un des enjeux était de partager une culture commune sur l’implication au sein du centre social, sur l’engagement bénévole et de faire prendre conscience des besoins et attentes différents selon les personnes.

Ce travail a permis à une partie des bénévoles de prendre conscience que deux types de bénévoles avec des besoins différents cohabitaient dans le centre social, de jeunes mamans ayant besoin de valorisation, de soutien et d’accompagnement et des bénévoles plus âgés, retraités, disposant de temps et souhaitant partager leurs compétences.

À partir du travail réalisé et de ces échanges, les projets entre groupes et entre générations se sont développés.

Cette démarche vous a-t-elle conduit à transformer vos activités ?

C. V. Sur le plan de l’articulation recherchée entre multi-accueil et centre social, la démarche a eu un effet positif en soutenant la motivation des équipes, en stimulant l’attention du CA et en offrant à la direction un cadre de réflexion qualitatif.

Cette démarche a permis de conforter la place des activités d’ingénierie et des fonctions support dans un centre social ainsi que la nécessité de les voir financièrement soutenues à leur juste coût. Cette question est régulièrement abordée, notamment lors du renouvellement des projets sociaux, mais a trouvé un écho bien plus fort grâce à cette étude, auprès de la CAF par exemple.

En décortiquant les missions du centre social comme nous a amené à le faire la Fonda, puis en repositionnant l’équipement dans son environnement territorial, économique et social, cette démarche nous permet aujourd’hui d’affirmer davantage - ou avec moins de scrupules - la valeur générée par le centre social auprès des partenaires et pouvoirs publics.

Quel a été l'impact de cette démarche sur votre stratégie d’animation dans le centre social AMISC ?

S. D. Plusieurs pistes de travail ont été identifiées lors de la dernière rencontre du groupe en octobre :

  • la valorisation et la structuration du statut de bénévole ;
  • l’accompagnement et l’implication, notamment comment mobiliser d’autres publics ;
  • la question de la contrepartie, avec une expérience en cours à travers une bourse aux projets collectifs et le projet d’un système d’échange de services ;
  • la communication sur la démarche auprès des financeurs et sur les besoins des centres sociaux de renforcer le financement de ces fonctions supports, notamment l’accompagnement des projets d’habitants ;
  • le recrutement d’un développeur de projet social pour accompagner et développer ces initiatives collectives ;
  • le lien avec le renouvellement de projet social de territoire que nous redémarrons en 2021.
  • 1Cf. les travaux de la FCSF « Modèles socio- économiques – point étape d’une priorité politique », 2020.
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