Une nouvelle norme de travail
La transformation numérique modifie fondamentalement l’organisation du travail. Nul ne peut ignorer les changements radicaux provoqués par le télétravail et son pendant désintéressé, le télébénévolat1 : modification des rapports interpersonnels, évolution de la charge mentale, porosité de la frontière entre la vie personnelle et familiale et la vie professionnelle entre autres2 .
La crise liée au COVID-19 est venue imposer ce mode de travail à l’ensemble des organisations, dont les associations et leurs salariés3 . Alors que le fonctionnement des structures associatives repose sur l’engagement, ce basculement pose certaines difficultés.
Les responsables associatifs doivent maintenir un lien permanent avec l’ensemble des parties prenantes autour d’un projet commun pour réussir à les fédérer. Or, il est admis que l’activité à distance a une incidence « potentiellement négative sur les cultures organisationnelles existantes […] dans des structures associatives »4 .
Des obstacles technologiques et communicationnels
Les principales difficultés soulevées dans le cadre du télétravail et du télébénévolat sont des obstacles technologiques et communicationnels5 . Les obstacles technologiques correspondent principalement à des problèmes de connexion, d’outils mal adaptés et ceux inhérents à leur maintenance.
Les obstacles communicationnels dans le monde associatif se traduisent quant à eux par « des problèmes liés aux hiérarchies de pouvoir, d’organisation et de charge de travail »6 . Sur ce point, le travail collectif en ligne peut être synonyme d’appauvrissement du processus démocratique.
Pour les salariés des quelque 170 000 associations employeuses7 , le contenu du travail est modifié de manière substantielle et c’est même leur identité qui peut être atteinte8 . Rester engager et maintenir le lien social dans un monde qui prône les rapports virtuels est à l’évidence source de dégradation des conditions de travail pouvant avoir des effets délétères sur la santé : stress, épuisement professionnel, syndrome dépressif, etc.
Enjeux en matière de santé au travail
Le télétravail s’est imposé comme nouvelle norme de travail. Les salariés associatifs, comme ceux des autres organisations, ont été plongés dans un environnement numérisé, impliquant un recours accru aux nouvelles technologies9 .
Il était, certes, indispensable de mettre en œuvre ce mode d’organisation du travail pour protéger la santé de la population lors de la pandémie, néanmoins, il est désormais crucial de replacer le télétravail au cœur d’une politique de santé au travail dans les associations afin de pérenniser ce modèle.
La protection de la santé, notamment mentale, au travail est un enjeu sociétal majeur. Le parlement européen a rappelé dans un communiqué de presse l’urgence de mettre en œuvre des actions concrètes pour protéger les travailleurs.
Les députés y relèvent judicieusement les effets du télétravail sur la santé et la vie privée10 . Ils n’hésitent pas à évoquer le « techno-stress » issu d’un contrôle et d’une surveillance accrue de l’activité des salariés avec les nouvelles technologies. Partant, comment protéger les salariés associatifs des risques intrinsèques au télétravail ?
L'obligation de prévention
L’obligation de prévention incombe à tout employeur, qu’il s’agisse d’une entreprise privée, d’une association ou d’une institution publique. Celle-ci se traduit par une exigence de prévention prévue aux termes des articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail imposant de mettre en place des actions d’information et de formation à destination des salariés pour éviter la survenance de risques pour leur santé.
La doctrine constate que « dans le secteur associatif, le virage numérique a souvent été pris de manière empirique, dans l’urgence, sans que les associations aient eu le temps et/ou les compétences internes pour anticiper les risques à court, moyen et long terme »11 . Il est donc capital d’intégrer le sujet de la santé des salariés associatifs dans une approche structurelle de la santé au travail.
Des mesures telles que la mise à disposition d’outils adaptés au salarié, des évaluations régulières sur la charge de travail et des formations sur le travail sur écran seront décisives pour mesurer l’efficacité de la démarche de prévention poursuivie.
Bien sûr certaines associations commencent à comprendre l’importance de « prendre le temps de sensibiliser et de former les parties prenantes »12 et se saisissent du sujet. Néanmoins les associations ne sont pas égales face aux fractures numériques en fonction de leur taille et des moyens humains, matériels, temporels et financiers dont elles disposent.
C’est donc une réflexion globale du secteur qui doit s’engager. La force du monde associatif résulte de sa capacité à fédérer. C’est précisément en associant l’ensemble des parties prenantes et en engageant un dialogue entre elles qu’une politique de prévention de la santé des salariés pourra répondre aux maux actuels.
- 1Cécile Bazin, « Télétravail version bénévole : le télébénévolat », Juris Associations n° 638, mai 2021.
- 2Charlotte Debray, « Accompagner la transition numérique des associations », Juris Associations n° 666, octobre 2022, [en ligne].
- 3Erwan Royer, « À la une — Gestion de crise — Les associations, les collectivités et le COVID-19 », Juris Associations n° 616, avril 2020.
- 4Comité économique et social européen (CESE), « Défis du télétravail : organisation du temps de travail, équilibre entre vie professionnelle et vie privée et droit à la déconnexion », Avis SOC/660, mars 2021.
- 5Claire Dubien et Cécile Bazin, « La place du numérique dans le projet associatif : nouvel état des lieux », Juris Associations n° 666, octobre 2022, [en ligne].
- 6Jessica Feldman et Noémie Oxley, « Utiliser les outils digitaux durant la crise sanitaire: stratégies et limites de la vie associative en ligne », Juris Associations n° 631, janvier 2021.
- 7Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), Les chiffres clés de la vie associative 2023, mars 2023, [en ligne].
- 8Le concept d’identité est ici utilisé en référence aux travaux du philosophe Paul Ricœur selon lequel l’identité se décline selon deux pôles : l’idem ou la mêmeté et l’ipséité que le récit articule.
- 9Jessica Feldman et Noémie Oxley, Ibid.
- 10Parlement européen, Protéger la santé mentale dans l’espace de travail numérique, 5 juillet 2022.
- 11Fabienne Duboscq-Bollon, « Quelles pratiques numériques entériner en sortie de crise sanitaire ? », Juris Associations n° 642, juin 2021.
- 12Claire Dubien et Cécile Bazin, Ibid.