Cet article a été initialement publié sous la forme d'une tribune au sein du journal Le Monde, le 10 mai 2019.
Le financement de l’intérêt général relève naturellement des pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’action régalienne ou des politiques économiques, sociales et environnementales. Mais l’intérêt général n’appartient pas seulement à l’Etat, les citoyens ont aussi la capacité juridique reconnue pour le mettre en œuvre. C’est l’action quotidienne menée par les associations et les fondations dans tous les secteurs aussi bien social, sportif que culturel, au service de l’enfance, de la jeunesse ou de la vieillesse, ainsi que la défense de tous les droits, la défense de l’environnement et la coopération internationale.
Or ces actions légitimes ont besoin d’être autant financées que celles menées par les pouvoirs publics. Les actions de l’Etat, des collectivités locales et des associations qui accomplissent une mission de service public sont financées exclusivement par l’impôt et la Sécurité sociale. Quant au secteur associatif, il doit compter d’abord sur le mécénat des citoyens. Mais c’est insuffisant.
L’Etat a choisi une autre manière féconde de financer les associations et les fondations qui servent l’intérêt général. C’est le sens de la déduction fiscale à la française. Je donne 100 euros à une association et l’Etat m’autorise à réduire 66 euros de mon impôt sur le revenu (IRPP1
). Le solde reste à ma charge. En tant que contribuable, l’Etat me laisse le choix d’orienter une petite partie de mes impôts vers une cause d’intérêt général mise en œuvre par un organisme privé reconnu par les pouvoirs publics comme un acteur de l’intérêt général.
Le changement après 1981
Seule condition que l’Etat exige : que chacun mette de sa poche une partie de cette somme. La procédure fiscale utilisée pour acter cette magnifique liberté accordée aux contribuables prête cependant à confusion. Elle se présente dans la déclaration d’IRPP avec les autres déductions fiscales qui sont, elles, des niches fiscales qui enrichissent leurs bénéficiaires. Cette procédure nous vient de l’histoire.
Avant 1981, la déduction fiscale concernant le mécénat était ridicule, limitée à 1 % des revenus. Nous nous sommes battus, dans le cadre de l’Association pour le développement des associations de progrès (ADAP) puis de La Fonda naissante, alors Fondation pour le développement de la vie associative avec François Bloch-Lainé, grand serviteur de l’Etat, et Philippe Viannay, un des responsables de la Résistance et créateur de l’école de voile des Glénans, pour passer le plafond de cette déduction de 1 % à 5 % du revenu.
Ce fut impossible avec le gouvernement de Raymond Barre, bien que ce type de politique soit plutôt porté par les libéraux. Ce fut un gouvernement de gauche, en 1981, qui fit le premier pas. Depuis, les gouvernements successifs de droite et de gauche ont passé le plafond de la déduction de 5 % à 20 %. Si on en était resté à ce stade, cette déduction aurait profité aux tranches supérieures de l’IRPP et aurait été profondément injuste.
Servir l’intérêt général
C’est l’amendement Coluche de 1989 qui a apporté une juste et formidable impulsion au mécénat. Dès les années 1970, ceux qui préconisaient une grande politique de mécénat afin de permettre l’éclosion d’une nouvelle vie associative de progrès voulaient que ce mécénat soit populaire. Ceci signifiait que les contribuables pauvres ou riches devaient avoir le même poids fiscal à travers leurs dons.
En accordant le même pourcentage, aujourd’hui 66 %, à tout contribuable, quelle que soit sa tranche d’impôt, dans la limite de 20 % du revenu du ménage, cet objectif de mécénat populaire est réalisé2 . Comment tordre le cou à cette fausse interprétation de niche fiscale concernant cette liberté de donner une partie de ses impôts à un organisme qui sert l’intérêt général ?
On peut imaginer mettre fin aux déclarations individuelles avec son cortège de reçus fiscaux. Toutes les associations ou les fondations habilitées à recevoir du mécénat devraient pouvoir présenter chaque année une déclaration certifiée par un commissaire aux comptes du montant des dons ainsi que la liste des donateurs. Au vu de cette déclaration, l’administration fiscale virerait alors automatiquement 66 % du montant à chaque donateur grâce au prélèvement à la source.
Vigilance et esprit combatif de la société civile
Afin d’éviter un problème de liquidités, un acompte pourrait être envoyé à chaque donateur en janvier sur la base de la déclaration de l’année précédente. J’entends les craintes justifiées du monde associatif devant un tel dispositif. Le manque de confiance dans les vertus de la direction du budget est réel. Elle cherchera par tous les moyens à réduire ce pourcentage en fonction des conjonctures budgétaires.
De telles attaques ont toujours existé, et si par malheur un gouvernement ou une majorité le décidait, ce pourcentage serait réduit. Seule la vigilance et l’esprit combatif de la société civile ont permis de maintenir ce niveau de financement. Cette liberté chèrement acquise, celle de disposer d’une partie de son impôt pour contribuer personnellement aux différentes politiques d’intérêt général, n’est jamais acquise. Il faut demeurer vigilant.
Les critiques entendues ces derniers temps sont déplacées. C’est tout à fait normal que les contribuables veuillent rebâtir Notre-Dame et décident de lui affecter une partie de leurs impôts. Pourquoi ne pas lier à cette émotion un autre noble sentiment, celui de l’éradication du scandale des sans-abri en cinq ans ? On pourrait alors chanter un double Te Deum au moment de la réouverture de la cathédrale…
Le mécénat est une manière pour la société civile de donner des signaux forts au monde politique afin d’orienter les dépenses publiques vers des causes jugées par elle comme essentielles. C’est en quelque sorte un référendum d’initiative citoyenne de la majorité silencieuse.
- 1Impôt sur le revenu des personnes physiques.
- 2Pour les sociétés, la déduction fiscale s’élève à 60 % du montant du don, plafonnée à 0,5 % du chiffre d’affaires. Le plafonnement de la déduction fiscale, qu’il concerne les ménages ou les sociétés, apporte une garantie supplémentaire contre un usage de la générosité comme « niche fiscale ».