Associations et démocratie

Le CICA : pour le débat entre associations et élu

Tribune Fonda N°223 - Territoires et réseaux : vers de nouvelles structurations - Septembre 2014
Jacques Remond
Jacques Remond
Le Cica est un outil unique à la disposition des associations pour débattre et agir avec leur assemblée politique locale et pourtant largement méconnu par elles.

Vers une démocratisation du fonctionnement des grandes municipalités

Avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, des Parisiens et des associations parisiennes, choqués de constater qu’ils étaient les seuls Français à ne pas élire leur maire, purent convaincre le nouveau président de la République de l’impossibilité de conserver cette anomalie institutionnelle. La loi de 1975 ramena donc Paris dans les lignes de la gestion démocratique française des communes, avec quelques exceptions liées à sa situation de capitale. Ces Parisiens et associations parisiennes souhaitèrent en profiter pour prendre une place dans le fonctionnement municipal, afin de faire progresser la participation des Parisiens à la vie de leur ville. C’est ainsi que cette loi institua dans chacun des vingt arrondissements une Commission d’arrondissement composée de trois tiers : celui des élus municipaux, celui des fonctionnaires municipaux et celui de personnes nommées par le maire, en vertu de leur intérêt et de leur compétence supposés pour l’arrondissement. Présidée par le maire d’arrondissement, elle avait un rôle consultatif et joua un rôle d’élargissement de la gestion municipale dans les arrondissements où le maire jouait le jeu d’une vraie consultation et où sa composition ne lui était pas trop inféodée du fait du troisième tiers nommé par lui.

Lorsqu’au début du premier septennat de François Mitterrand, le gouvernement Mauroy reposa la question d’un alignement définitif de l’organisation municipale de Paris sur les autres villes, il voulut tenir compte des problèmes posés par sa taille et étendit cette réorganisation aux deux autres grandes villes françaises, elles aussi divisées en arrondissement, Lyon et Marseille. Les Parisiens et leurs associations, tenant compte de l’expérience des Commissions d’arrondissement, se mobilisèrent pour que ce dispositif indirect de participation des habitants ne soit pas perdu mais amélioré, tant dans sa conception que dans son architecture et dans son fonctionnement. Ils prirent donc contact avec les deux rapporteurs de ce projet de loi, Paul Quilès député du XIIIe arrondissement de Paris et Gérard Collomb, député du Rhône, aujourd’hui député-maire de Lyon.

Cette action aboutit à l’article 16 de la loi Pml du 31 décembre 1982, créant le Comité d’initiative et de consultation d’arrondissement (Cica). L’idée de base de ce dispositif législatif, mis à la disposition des associations d’un arrondissement, était de permettre à chacune de celles qui avait fait la démarche de s’y inscrire ; de pouvoir venir devant le Conseil d’arrondissement ; de lui présenter son analyse sur tel ou tel sujet concernant l’arrondissement ainsi que ses propositions et éventuellement de lui demander une délibération officielle sur celles-ci. C’est pourquoi cet article 16 est d’une rédaction courte et son décret d’application plus court encore, l’essentiel de la démarche étant laissé aux mains des associations inscrites au Cica.


Le droit des associations de participer à la vie municipale


L’article 16 commence ainsi, dans son premier alinéa, par une affirmation de principe fort importante indiquant que les associations participent à la vie municipale et par l’annonce de la création d’un Cica dans chaque arrondissement.

Le deuxième alinéa précise quelles associations ce Cica réunit : les associations locales ou les membres de fédérations ou confédérations nationales qui en font la demande et exercent leur activité dans l’arrondissement.

Le troisième alinéa précise le mode d’intervention de ces associations au Conseil d’arrondissement : une fois par trimestre au moins, les représentants de ces associations participent aux débats du Conseil d’arrondissement avec voix consultative, y exposent toute question intéressant leur domaine d’activité, et lui font toute proposition à cet égard.

Le quatrième alinéa indique comment doit réagir le Conseil d’arrondissement à cet exposé : il délibère en présence des représentants des associations qui ont présenté leur questions et leur propositions.

Les cinquième et sixième alinéas précisent les modalités d’organisation de cette intervention des représentants des associations inscrites au Cica devant leur Conseil d’arrondissement :
– elles doivent notifier au préalable au maire de l’arrondissement le ou les sujets sur lesquels elles souhaitent débattre ;
– le calendrier des débats est défini par le Conseil d’arrondissement en liaison avec le Cica, et le Conseil d’arrondissement met à la disposition du Cica toute information nécessaire au débat.
Quant au décret d’application il indique :
– dans son premier alinéa, que le maire est tenu d’enregistrer la demande d’inscription au Cica si l’association remplit bien les conditions (voir alinéa 2 de l’article 16)
– dans son deuxième alinéa, que le maire fait connaître au Conseil d’arrondissement ces demandes d’inscription ainsi que la suite qu’il leur a réservée, et que la liste des associations enregistrées est tenue à la disposition du public.

Ce dispositif législatif, mis entre les mains des associations des trois grandes villes françaises, Paris, Lyon et Marseille, a ainsi été rédigé simplement et laisse aux associations bénéficiaires toute la latitude possible pour s’en emparer. On peut en effet brièvement résumer ce dispositif en en décrivant les actions possibles du côté des bénéficiaires – les associations – et du côté des destinataires – le conseil et le maire d’arrondissement.

– Du côté de l’association, et dès lors qu’elle est bien enregistrée par la mairie, elle peut se mettre en rapport avec les autres associations enregistrées pour leur présenter ses domaines de compétence, ses projets d’études et de participation aux débats du Conseil d’arrondissement et donc les sujets qu’elle veut notifier au maire d’arrondissement pour y débattre. Elle doit aussi se tenir au courant de la manière dont son Cica organise avec le Conseil d’arrondissement le calendrier des débats demandés par elle et d’autres associations, de même que de la manière de récupérer les informations que doit transmettre le Conseil d’arrondissement sur le/les sujet(s) qu’elles veulent traiter.

– Du côté des destinataires, le maire doit enregistrer la demande de l’association et prendre les dispositions pour que la liste des associations enregistrées soit tenue à la disposition du public. Il doit ensuite recevoir les demandes des associations de participer à une séance du Conseil d’arrondissement et les sujets dont elles souhaitent y débattre. Il doit alors les présenter au Conseil d’arrondissement pour que ce dernier organise le calendrier des débats avec le Cica et qu’il mette à sa disposition toute information nécessaire aux débats prévus.

Quel bilan provisoire pour le Cica ?

Voilà donc présenté ce Comité d’initiative et de consultation d’arrondissement créé il y a maintenant trente-deux ans. Si pour une personne cet âge est celui de la maturité tout en étant encore celui de la jeunesse, qu’en est-il pour le Cica ?

À l’occasion de cet anniversaire, un travail a été effectué en 2013 par l’association Mémoires et Racines sur les trois villes concernées, pour faire un bilan partagé de ce dispositif et en tirer ensuite quelques conclusions.

Si l’on prend le bilan effectué sur Paris, à travers les réponses à un questionnaire envoyé à des associations inscrites dans les Cica, on constate une série de mauvais fonctionnements.

Le premier concerne le fait que l’analyse de ce questionnaire n’a pu porter que sur quatorze des vingt arrondissements de Paris, pour deux raisons. La première, parce que dans certains de ces six arrondissements, la liste des associations membres du Cica, normalement mise à la disposition du public par la mairie concernée, n’a pu être obtenue. La deuxième, parce que dans certains autres, ou les mêmes, le Cica ne fonctionne plus, voire n’a jamais fonctionné.

Le second concerne la très mauvaise connaissance que les associations ont du Cica et donc la mauvaise appropriation qu’elles en ont faites, alors qu’il leur permet pourtant de dialoguer directement avec leur Conseil d’arrondissement, de lui faire des propositions et d’obtenir une réponse immédiate par sa délibération en leur présence. Pour la plupart d’entre elles, le Cica est un dispositif proposé par le maire de l’arrondissement.

Le troisième est lié au second : dès lors que la plupart des associations pensent que ce dispositif doit être animé par la mairie, celle-ci, à la fois pour répondre à cette attente et pour sans doute en contrôler elle-même ce fonctionnement, abonde dans leur sens. Et c’est ainsi qu’elle propose ou suggère souvent elle-même les sujets, et prend en mains la séance de débats du Conseil d’arrondissement, au point que cette séance devient une réunion publique ouverte à tous, y compris aux associations qui ne sont pas membres du Cica. Et c’est ainsi que le Cica est devenu, dans l’esprit de la majorité des Parisiens et de leurs associations, une réunion organisée pour elles, par le maire, sur un sujet choisi par lui !

On est ainsi très loin du texte de la loi, qui prévoit que les représentants des associations qui ont demandé à être entendus « exposent leur question et peuvent faire toute proposition à cet égard, le conseil d’arrondissement en délibérant en leur présence ». Et la situation à Lyon et Marseille n’est pas très différente, avec leurs caractéristiques particulières, tenant à leur histoire associative et institutionnelle locale.

 

Trois pistes pour un nouvel élan du Cica et la démocratie municipale

_ La première concerne une bonne connaissance de l’article 16 instituant le Cica et de son décret d’application. Plus grand monde n’a vraiment aujourd’hui ce dispositif, pourtant simple, en tête, tant parmi les associations et les élus, qu’au sein des services administratifs des villes concernées. Il est donc déjà nécessaire que chaque partie reprenne les textes et y réfléchisse. C’est l’objet du Guide pour agir dans un Cica, édité au printemps de cette année par Mémoires et Racines, qui analyse le texte, en explique le sens et rappelle les compétences du Conseil d’arrondissement.

_ La deuxième concerne l’appropriation par les associations du dispositif. Dès lors qu’il est compris, les associations qui y sont enregistrées doivent avoir un minimum de contacts entre elles pour se concerter sur les sujets qu’elles souhaitent présenter au Conseil d’arrondissement, pour organiser le calendrier avec celui-ci ainsi que pour demander et recevoir les informations nécessaires à une bonne présentation de leurs sujets. Cela consiste vraisemblablement à mettre en place une organisation minimale de ce groupement de fait qu’est le Cica, ce qui existe ici et là sous diverses formes et qui est parfaitement possible grâce à la simplicité du décret d’application.

_ Le troisième concerne le maire et le conseil d’arrondissement. Ils ont des obligations de réponse aux associations : enregistrer leur demande d’inscription au Cica et tenir la liste des associations enregistrées à la disposition du public ; recevoir la notification des sujets dont elles veulent débattre et définir avec le Conseil d’arrondissement et le Cica le calendrier des débats, avec une séance au moins par trimestre et donc plus d’une si c’est nécessaire ; donner aux associations toutes les informations utiles sur les sujets qu’elles veulent traiter. Mais ils n’ont aucune obligation d’organiser eux-mêmes un débat. Autrement dit, ils attendent que les associations se manifestent. Ils peuvent toutefois proposer aux associations du Cica quelques aides matérielles, qui les aideraient à fonctionner ensemble comme il est dit plus haut : secrétariat, site Internet, salles de réunion…


Et si l’on pense que ce bon dispositif a une limite, celle des compétences de l’arrondissement, une solution pourrait être de constituer un Cica au niveau de la ville elle-même, auquel s’inscriraient les associations dont l’action porte sur toute la ville et non sur un ou plusieurs arrondissements. Ce serait pour Paris le 21e Cica que proposait un rapport de 2006 de l’Observatoire parisien de la démocratie locale (Opdl) et qui permettrait donc à ces associations parisiennes de présenter directement au Conseil de Paris les sujets et les propositions le concernant. Une assemblée générale des Comités d’initiative et de consultation d’arrondissement des vingt arrondissements de Paris, instituant un Cica parisien qui se réunirait une fois par an avec les conseillers de Paris, tel qu’il est prévu dans le projet pour Paris d’Anne Hidalgo – « Paris qui ose » – ne paraît pas répondre à cet objet, quand on sait qu’il pourrait réunir plusieurs milliers d’associations et qu’il rencontrerait une seule fois par an les conseillers de Paris et non le Conseil de Paris.

Comment donc redonner une nouvelle jeunesse à cet adulte de 32 ans, si méconnu par sa propre famille ? Déjà sans doute en le faisant mieux connaître, grâce en particulier au Guide pour agir dans un Cica qui explicite le dispositif et le mode d’emploi. Ensuite, en rappelant aux associations de ces trois villes qu’elles disposent d’un outil unique, qui leur permet de dialoguer sans subordination avec l’assemblée des élus de leur territoire et qu’il leur faut donc s’en emparer ensemble, tout en respectant et même en promouvant les spécificités et les priorités de chacune d’entre elles. Enfin, en sachant dire aux élus qui n’ont pas saisi la caractéristique de cet outil qu’ils ont seulement le rôle de répondre aux bénéficiaires et non d’en prendre la direction et le nom !

Et au moment où une nouvelle loi de décentralisation est en cours d’examen, n’y a-t-il pas lieu de promouvoir un tel dispositif au-delà de Paris, Lyon et Marseille sur de nouveaux grands territoires urbains ?
 

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