Enjeux sociétaux

L’avenir de la santé

Tribune Fonda N°209 - Faire ensemble (2) - Juin 2011
Étienne Caniard
Étienne Caniard
Synthèse des échanges avec Etienne Caniard, président de la Mutualité Française, sur les mutations du monde mutualiste afin de répondre aux défis de demain.
L’avenir de la santé

La Fonda a eu le plaisir d’accueillir Etienne Caniard lors du petit-déjeuner débat le 9 mars 2011 à la Maison de l’Europe à Paris.

 

Alors que la Mutualité française vient de rendre publiques ses propositions de réorganisation de la chaîne sécuritaire du médicament, Etienne Caniard1 s’est prêté à notre exercice de prospective en présentant à travers quelques exemples (le circuit sécuritaire du médicament, l’avenir de l’hôpital, la dépendance, le financement de la santé...) les évolutions qui vont nous imposer des mutations profondes et quelques-unes des grandes logiques à l’œuvre dans l’organisation des politiques de santé.

Soit autant de questions que la Mutualité en particulier et l’initiative citoyenne en général vont devoir affronter avec comme atouts une richesse humaine et technique qui les rendent incontournables, et comme handicap la difficulté à faire partager leurs analyses. Comment réorienter des débats mal posés en l’absence de concertation avec les acteurs, de pédagogie publique et même de lieux de débat... ?

Les questions de santé se présentent donc pour la Mutualité comme un enjeu de transformation sociale avec des défis de cohésion et de communication : comment faire partager la nécessité d’un changement de modèle ?

 

Bientôt d’importantes mutations

Les données de base

La santé est un sujet brûlant pour les individus et pour la société. Le système de santé et de protection sociale français a connu une mutation rapide depuis la création de la Sécurité sociale. Il doit se préparer à une nouvelle mutation très rapide. Conçue comme une caisse d’indemnisation des actifs confrontés à un problème de santé, la Sécurité sociale est devenue en très peu d’années (dans les années 50) principalement un organisme de remboursement des frais de santé.

 

Les évolutions attendues

Très rapidement, dans les dix ans à venir, les questions de santé publique vont connaître une mutation, en particulier sous l’effet de l’évolution des technologies et du vieillissement de la population. Nous devrions ainsi passer très rapidement d’une médecine essentiellement curative à une médecine essentiellement préventive.

 

Un système de santé mal préparé à ces évolutions

Le système de santé français aborde toutes ces évolutions avec un ensemble de handicaps : – les mécanismes de décision politique n’accordent pas assez de place aux acteurs et à la remontée des expériences de terrain. – les logiques à l’œuvre, en particulier celles de la décision politique pour adapter notre système aux mutations en cours, en particulier le recours à des mises en œuvre sectorielles, menées avec une faible concertation sous l’impulsion de spécialistes, « les sachants », ne paraissent pas adaptées à la réalité ; – la compréhension même des enjeux de base par le politique semble parfois très problématique (notamment au niveau européen).

 

Des défis pour la société civile

La Mutualité a des atouts irremplaçables, en particulier des outils techniques et des acteurs. Mais d’une manière générale, elle peine à se faire entendre et à faire partager des analyses qui devraient faire consensus. Les principaux freins à son action semblent être : – l’absence de lieux de débats, et son corollaire ; – le manque de pédagogie de la connaissance ; – des décisions prises d’en-haut avec des logiques sectorielles. Alors qu’à l’inverse il faudrait une approche globale sur ces questions ; – ainsi qu’une approche transversale qui permette la prise en compte des savoirs de l’ensemble des acteurs.

 

Quatre exemples, quatre défis pour la société civile

Les façons dont sont pensées les politiques de santé ne sont pas adaptées aux enjeux et à la réalité

Le circuit du médicament et le défi sécuritaire L’absence de lieux de débat comme de pédagogie autour de la complexité nous place entre des peurs irraisonnées et des décisions arbitraires, au risque de favoriser des décisions allant à l’encontre des enjeux de santé publique.

On doit au progrès du médicament les bénéfices majeurs de ces 60 dernières années en termes de santé publique. Le médicament est prépondérant dans notre culture de santé (en France 98 % des consultations se terminent par une ordonnance, 40 % aux Pays-Bas par exemple).

Pourtant le circuit du médicament se distingue par ses incohérences et ses contradictions. La mise sur le marché dépend de la seule réussite de tests assez théoriques (menés sur une population en bonne santé, qui n’ont pas de poly-pathologies).

Paradoxe, on admet la banalisation totale de la prescription de médicaments en dehors de l’usage pour lequel ils ont été autorisés.

Aujourd’hui, on ne s’interroge pas sur le sens que doit avoir une autorisation de mise sur le marché. Alors que le bon sens devrait conduire à ne mettre sur le marché qu’un médicament qui apporte un réel progrès thérapeutique. Seuls 5 % des médicaments arrivant sur le marché présentent ce caractère.

Le débat actuel sur le Médiator (un médicament dont le bénéfice est minime, mais les risques difficilement perceptibles à l’époque de sa mise sur le marché) met en lumière l’absence d’un système fiable qui permette de détecter un signal qui aurait pu conduire à s’interroger sur la nécessité ou non de laisser ce médicament sur le marché.

Le danger après le Médiator, c’est une suspicion généralisée sur les médicaments, qui risque de nous conduire à appliquer des règles sécuritaires sans discernement, ce qui aurait un effet catastrophique de frein sur l’innovation.

Il ne devrait pas y avoir d’approche de ces questions sans une pédagogie de la complexité et des lieux de débats, ce qui fait cruellement défaut aujourd’hui.

 

L’hôpital, un défi d’organisation

L’hôpital concentre énormément d’enjeux, notamment culturels. Il connaît des difficultés d’adaptation, mais il y a aussi un choix à faire sur le type de mission et de réponse sanitaire que l’on attend de lui. C’est la question la plus importante que l’on aura à régler dans les vingt ans qui viennent si l’on veut réduire le déficit de la Sécurité sociale, car c’est là, et uniquement là, que des économies sont possibles.

« Si on tirait les conséquences des progrès techniques en matière d’organisation hospitalière, on garderait 10 % de nos capacités hospitalières actuelles. »

En trente ans, se sont succédées trois modalités d’allocation de ressource : on est passé d’une logique d’accueil (prix de journée) à une logique de mission (budget total), puis à une logique de production (tarification à l’activité). Le rôle social de l’hôpital est à revoir complètement. Pour un certain nombre de prises en charge, l’hôpital est inadapté. Les choix qui ont été faits ne sont pas sans inconvénients : – 85 % des actes pourraient être réalisés en ambulatoire à l’extérieur de l’hôpital. Ce qui réduirait les maladies nosocomiales (responsables de 10 000 décès par an). La France a pris un retard considérable dans ce domaine ; – l’hôpital n’est pas la bonne réponse aux enjeux du vieillissement. L’hospitalisation est un des facteurs déclencheurs de la dépendance. Par exemple, nombre de personnes âgées sont sous psychotropes au moment de leur hospitalisation. Sevrées brutalement, faute de transmission des informations à l’hôpital, c’est l’une des causes majeures des chutes et des accidents.

L’enjeu considérable, c’est de modifier le système d’organisation des soins, de mettre l’expertise à disposition, de tirer les conséquences de l’extrême spécialisation de la médecine, pour réintroduire un fonctionnement collectif qui fait aujourd’hui défaut.

Il faut que tout ce qui touche à la mission sociale de l’hôpital soit incarné ailleurs par d’autres acteurs. Si l’on continue à répondre au problème d’accueil, de difficulté sociale avec l’outil hospitalier, le système court à la faillite.

On demande au système médical de porter les problèmes sociaux. C’est l’inverse qu’il faut faire, socialiser les questions médicales, notamment poser la question de l’accompagnement des personnes.

 

Le progrès médical

L’explosion des nouvelles technologies de diagnostic (en particulier la généralisation du décryptage du génome humain), devance de beaucoup l’évolution des outils de soins. Cet accès démocratisé à une information incomplète peut être anxiogène et susciter une demande de soin irrationnelle. Ce décalage risque de générer une demande importante de soins préventifs et de coûts importants générés pour des personnes qui auront pris connaissance d’un risque réel ou mal estimé.

C’est l’exemple du cancer de la prostate. à 80 ans, 80 % des hommes ont des cellules cancéreuses dans la prostate. Mais, compte tenu, notamment de leur espérance de vie, extrêmement peu développeront le cancer. On se retrouve face à un décalage entre le besoin réel de soin et sa perception.

Cette inadéquation de l’offre et de la demande, outre une insatisfaction sociale, peut provoquer une anxiété aux conséquences difficilement mesurables.

On peut craindre un renforcement des inégalités devant la santé. Les populations les plus fragiles économiquement n’ayant pas les mêmes moyens pour avoir une vision préventive de leur santé que les personnes plus aisées.

Par ailleurs, contrairement à l’idée reçue, une meilleure prévention n’est pas un facteur d’économie, c’est un facteur d’amélioration de la santé. Cela réduit les dépenses sur la pathologie concernée, mais augmente l’espérance de vie et donc les autres risques.

 

Le financement de la solidarité ou comment reposer des débats qui ont été pris par le mauvais bout ?

On ne traitera ici que d’un seul exemple, celui de la dépendance : on se trompe d’enjeu !

Le défi du financement de la solidarité et, en conséquence, celui de l’avenir du rôle de la mutualité sont bien illustrés par le débat sur la dépendance. On aborde actuellement cette question que sous l’angle unique de la solvabilisation. Mais c’est en fait l’organisation du système qui est l’enjeu fondamental (comme le montre l’exemple allemand).

Alors que le débat de la dépendance doit se faire en lien avec les questions de retraite et de santé, le débat est traité par les pouvoirs publiques sur la mise en concurrence des politiques sociales sans approche transversale. Et dans le même temps, on évacue toutes ces questions de dépenses sociales quand il est question de réglementer les successions, par exemple.

La prévention dépendance est sujet très peu abordé. La durée moyenne de dépendance est d’environ trois ans. C’est extrêmement facile de gagner quelques mois sur l’entrée en dépendance avec des tests simples (qui se font dans certaines associations). Cela a des conséquences considérables. Cette approche est occultée dans l’approche actuelle.

Le rôle des aidants. La dépendance a souvent été un domaine où l’on a opposé les solidarités familiales aux dispositifs collectifs. Alors que là encore c’est l’inverse. Les pays qui ont misé sur les solidarités collectives ont vu les solidarités familiales se renforcer. à l’inverse, elles se délitent là où elles ne sont pas assez soutenues. Le problème de coordination des acteurs est majeur. Il émerge sur la dépendance. La coordination est absente sur la santé alors que les problématiques sont les mêmes. Les solutions doivent se trouver avec tous les acteurs de santé, les acteurs locaux et permettre l’intégration des acteurs de chaque situation singulière.

Le défi est aujourd’hui de dépasser les questions de financement et de mettre au cœur du débat les questions d’organisation de la réponse.

Bruno Coste, directeur de l’Uriopss Ile-de-France, souligne que la chirurgie ambulatoire est en cours de développement en Ile-de-France grâce à l’Agence régionale de santé. Le rôle des médecins libéraux, celui des aidants et des associations d’usagers n’a pas été évoqué. Le secteur associatif étant un lieu de débat collectif : comment travailler sur ce sujet et comment améliorer la coordination des acteurs, aujourd’hui très mauvaise ?

 

Débat

Daniel Le Scornet : Alors que la mutualisation est au cœur des discours et des besoins de notre société, pourquoi la Mutualité n’est-elle pas plus active sur ces questions ? Le mouvement mutualiste devrait se donner comme ambition d’être un axe fort du débat philosophique, conceptuel et politique. Pour cela il devrait prendre l’initiative sociétale.

Jean-Pierre Duport : Quelle peut-être l’influence de la judiciarisation des questions de sécurité sanitaire ?

Thierry Guillois : Les défis pour le monde mutualiste est aussi de mener à bien ses missions de solidarité dans un contexte réglementaire de plus en plus défavorable.

Pierre Zemor : La médecine ambulatoire pourrait relever d’un nouveau rôle du mouvement mutualiste.

Étienne Caniard : Les réponses apportées par la mutualité doivent être économiquement viables et durables (ce qui ne veut pas dire rentable), elles doivent permettre à chacun d’ajouter la réponse qui est la sienne.

On a énormément de mal à faire passer des messages, à convaincre qu’il faut faire preuve d’imagination et avoir une logique qui permette à la fois de garantir la sécurité de l’adhérent et avoir des règles prudentielles solides, mais qui permettent également de s’appuyer sur ces règles prudentielles comme leviers de développement sur d’autres actions. Il faut qu’on reparte de beaucoup plus loin.

Le rôle sociétal de la mutualité ne se décrète pas. Il nous faut des relais. Il faut absolument arriver à doter les acteurs d’outils de lecture critique. Nous devons repenser notre apport à la réflexion et la progression collective. C’est une invitation à la coordination des acteurs de l’économie sociale et solidaire. L’économie sociale et solidaire est la seule à pouvoir aider à gérer la complexité donc en faire la pédagogie.

 

Synthèse réalisée par David Langlois-Mallet (Fonda). Les éventuelles erreurs d’interprétation n’engagent que lui et non les communiquants qui se sont exprimés lors de cette rencontre.

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