Ce document conclut la publication des principaux résultats du travail coproduit par Chorum et la Fonda avec le soutien de la Fondation du Crédit coopératif sur l’attractivité de l’économie sociale.
Propos liminaire
La journée d’échanges du 16 novembre 2006 s’inscrit dans le cadre d’un processus d’études conduit conjointement par Chorum et la Fonda, avec le soutien de la fondation du Crédit coopératif. Elle fait suite à une étude qualitative réalisée par le biais d’une trentaine d’entretiens avec des bénévoles, administrateurs et salariés d’entreprise de l’économie sociale (associations, coopératives et mutuelles) et d’auditions d’une dizaine d’experts (représentants de réseaux, chercheurs et syndicalistes). Compte tenu des limites de ce type d’approche, il avait été décidé de compléter ce travail d’interviews par deux rencontres, afin d’affiner collectivement les analyses et constats et de dégager des axes structurants et des pistes de préconisations plus précises. Un premier séminaire a réuni, le 3 octobre 2006, le comité de pilotage et certains acteurs de terrain interviewés.
La seconde rencontre s’est donc déroulée le 16 novembre 2006 ; cette synthèse présente les principaux éléments des débats et échanges auxquels ont participé une soixantaine de personnes invitées du fait de leur investissement et de leur expertise sur les sujets traités. Les travaux de cette journée d’étude ont été structurés autour de cinq temps successifs (une introduction, trois tables rondes et une conclusion) qui déterminent la forme ce compte rendu. Compte tenu de la qualité des apports, de larges extraits de la transcription intégrale des échanges seront intégrés dans le rapport final de l’étude.
Une introduction pour rappeler les enjeux de l’étude et ses premières conclusions
Brigitte Lesot, directrice générale adjointe, Cpm Chorum
Frédéric Tiberghien, délégué interministériel - Diieses
Alain Chanard, consultant
L’étude vise à clarifier les enjeux pour l’économie sociale des questions de management, d’autant plus importantes que les entreprises de ce secteur vont être confrontées dans les prochaines années à de profonds changements. Ainsi, Brigitte Lesot et Frédéric Tiberghien ont explicité les principaux éléments structurants de ce nouveau contexte de l’emploi, en partant respectivement du point de vue de l’économie sociale, analysé par Chorum au travers de ses différents métiers, et d’une vision plus large du marché du travail et de son évolution à l’horizon 2050. En contrepoint, Alain Chanard a présenté les principales conclusions du travail d’auditions et d’interviews.
Dans les prochaines années, deux phénomènes vont se superposer. Une forte proportion de salariés, sans doute plus importante dans certains champs de l’économie sociale que dans l’ensemble de l’activité économique, va partir à la retraite, imposant un fort renouvellement. Concomitamment, nous assisterons à un phénomène de vieillissement de la population active, déjà en cours dans certains secteurs, sous l’effet du recul de l’âge de départ à la retraite et de la fin du système des préretraites. Il faudra aux entreprises de l’économie sociale tout à la fois gérer l’embauche de nouveaux salariés et s’intéresser aux conséquences de l’allongement de la vie professionnelle. Dès lors transmettre les codes, projets et valeurs de l’économie sociale constitue un enjeu fondamental.
Nous pourrions imaginer que ces évolutions démographiques créeront de fortes tensions et concurrences entre les employeurs pour recruter. Il semble difficile d’avoir un avis définitif sur ce point, compte tenu de trois éléments. Premièrement, il existe d’importantes réserves du fait d’un chômage massif et du faible taux d’activité de certaines catégories de la population. Deuxièmement, l’apport des nouvelles technologies rend plus fluide et profond le marché du travail, permettant aux entreprises qui souhaitent recruter d’avoir un vivier plus large de candidats potentiels, et notamment parmi les salariés en poste. Enfin, les comportements des salariés restent stables et ceux-ci sont encore largement fidèles à leur employeur (en moyenne 10,5 années). Globalement, nous pouvons aisément admettre qu’il n’y aura pas de problème général de main d’œuvre à l’horizon 2050.
Néanmoins, il existe plusieurs éléments qui imposent à l’économie sociale de réfléchir collectivement à la question de son attractivité. Tout d’abord, il y aura certainement une forte concurrence pour recruter des jeunes, au moment même où le secteur des services relationnels (santé, services aux particuliers…), cœur de métier de l’économie sociale, deviendra progressivement le premier secteur d’activité économique. Des tensions ponctuelles seront donc très importantes pour un secteur qui devra mettre en avant des arguments différents de ses concurrents (sécurité de l’emploi pour les uns, fort niveau de rémunération pour les autres). Dans le même ordre d’idées, il faut prendre en compte le fait que l’allongement de la vie professionnelle peut avoir des répercussions sur le recrutement de bénévoles.
L’économie sociale devra aussi faire face à une responsabilité en matière de développement de l’emploi, compte tenu des valeurs qu’elle promeut. Alors qu’elle voit et verra davantage encore ses modes de financement et son modèle économique profondément chahutés, elle devra s’interroger sur les questions d’insertion et de discrimination. La proposition d’emploi qu’elle formule a un impact sur la structuration de l’emploi et les parcours des personnes. Ainsi, nous assistons aujourd’hui à la coexistence de deux types de marché du travail : l’un caractérisé par un emploi stable et durable, et l’autre défini par la précarité. La question sera de savoir si l’économie sociale pourra être un tremplin vers l’emploi durable pour les personnes en difficulté, ou bien un secteur où la précarité de l’emploi s’inscrit durablement dans le parcours de certains salariés.
Au niveau des entreprises, les entretiens réalisés ont mis en évidence de nombreux atouts mais aussi de nombreuses fragilités. Tout d’abord, chacun constate la force que représente la proposition d’engagement des activités et projets de l’économie sociale. En contrepoint, il existe une forte attente des salariés et bénévoles, y compris des jeunes, pour concrétiser des aspirations personnelles par un investissement professionnel ou bénévole. Mais elle peut aboutir à une forme de désillusion due à un décalage entre le discours et les faits, et à un manque de prise en compte du souhait des acteurs de participer à la définition et à la conduite du projet, notamment pour les salariés. Ceci apparaît comme un frein à la transmission du projet, au passage de témoin entre générations.
Un des éléments intéressants à pointer est la difficulté des acteurs de terrain à saisir la référence globale à un secteur d’« économie sociale ». Ils appréhendent davantage la réalité de leur secteur en le définissant par le territoire, le type d’activité ou le statut de leur structure (association, coopérative ou mutuelle).
En définitive, ces trois propos introductifs font percevoir des enjeux importants de transmission et de développement de l’économie sociale, auxquels répondent de grands atouts, dont une présomption d’attractivité et cette capacité unique à considérer les salariés comme un capital humain et non une charge. Mais ils révèlent indubitablement des faiblesses et la nécessité de travailler sur plusieurs objets. Tout d’abord, il est indispensable que l’économie sociale puisse se projeter et développer une gestion des ressources humaines à long terme, comportement plus naturel dans ce secteur que dans le secteur lucratif. Le secteur doit aussi veiller à la cohérence entre son action et son discours, ce qui impose le développement de l’évaluation de ses pratiques et la réactualisation périodique des projets. Enfin, il apparaît indispensable qu’elle puisse développer une capacité collective pour adapter ses méthodes à la fluidité nouvelle du marché du travail et pour imaginer les passerelles et parcours qui permettront de répondre aux nouveaux enjeux. Réussir ce défi implique de développer la participation de tous les acteurs et notamment renforcer le dialogue avec les syndicats de salariés. Il faut aussi imaginer les conditions de co-construction du projet qui donne sens à la production collective de l’utilité sociale. C’est dans ce contexte que la question d’un management spécifique peut et doit être posée.
Nouveaux bénévoles, nouveaux salariés, nouveaux enjeux : re-convoquer le projet de l’économie sociale
Hubert Allier, directeur général, Uniopss
Gérard Quenel, responsable confédéral de l’économie sociale, Cgt
Hugues Sibille, adjoint au président, Crédit coopératif
Table ronde animée par Michelle Boulègue, administratrice, Fonda
L’environnement des entreprises de l’économie sociale est en pleine mutation sous l’impact de multiples évolutions. Dans le même temps, ces entreprises sont confrontées à court et moyen termes à des départs importants de salariés et de responsables bénévoles. Il convient donc de réfléchir aux modalités de transmission d’un projet qui doit dans le même temps s’adapter. Il s’agit à l’évidence d’un débat complexe qui ne pourra être conduit que si un consensus se dégage sur le constat. Mais quel est-il ?
L’économie sociale développe son action dans un ensemble de tensions et de contraintes qu’elle doit prendre en compte. Entre les statuts qui les définissent, les valeurs qui les fondent et les pratiques qui les légitiment, les entreprises doivent construire et faire évoluer leur projet. L’enjeu primaire devient alors de le faire partager et d’en garantir la cohérence, notamment entre l’action et le discours. Cette exigence est d’autant plus forte que les attentes des différents acteurs sont importantes.
Il est apparu clairement à tous que la solidarité constitue la pierre de touche de l’économie sociale, dans la mesure où les associations, mutuelles et coopératives essayent de la traduire au travers de leur projet. Il est donc normal qu’un grand nombre de tensions s’exprime sur cette valeur alors que notre société est confrontée à une crise sociale et économique. Le projet, qui sert de point de fuite à l’action des organisations, cherche à concilier les contraintes économiques avec un objectif de solidarité. Or, le développement de la concurrence, l’accroissement des contraintes réglementaires et législatives, la technicisation des métiers réduisent les marges de manœuvre et contribuent progressivement à rendre plus difficile la recherche de cet équilibre, voire à créer des oppositions et tensions.
Cette question de la solidarité prend aussi une coloration différente selon que sont envisagées les solidarités internes (entre les membres de la mutuelle, de l’association…) qui caractérisent l’action d’un collectif pour ses membres, ou externes, ce qui définit l’économie solidaire tournée vers l’extérieur. La question est de savoir comment articuler les deux dans la mesure où, bien évidemment, il n’y a pas d’opposition. Plus concrètement, cela se traduit dans la définition de ce qu’est un bénéficiaire et dans le mode d’identification des besoins et de construction des réponses. Sur ce point, nous pouvons pointer le rôle central des syndicats de salariés, qui représentent non seulement les salariés de l’économie sociale, acteurs centraux de l’action, mais aussi l’ensemble des salariés qui peuvent être des usagers.
Cette question est déterminante, face à la crise de notre modèle social et un État-providence qui peine de plus en plus à prendre en charge les nouveaux risques et à répondre aux nouvelles exclusions. C’est d’autant plus vrai que le poids croissant du professionnalisme et de la technicité tend à banaliser l’action de proximité entre les individus qui caractérise l’économie sociale (idée de fraternité).
D’autres tensions spécifiques se manifestent dans l’économie sociale : celles entre les bénévoles et les salariés, ou autour des enjeux de démocratie (participative et représentative).
Tous les participants ont exprimé la même conviction que dans ce contexte le projet de l’économie sociale, pour peu qu’on le re-convoque, a tout son intérêt et sa pertinence : c’est ainsi que l’on peut dire que le « non lucratif » a encore un avenir devant lui. Dire son projet n’est pas uniquement un enjeu technique, mais devient surtout une ambition sociale et politique. Face à un marché qui ne répond pas à tous les besoins et notamment ceux de publics fragilisés, exclus ou souffrant de handicap, il existe un vaste champ de développement. Dans ce débat, une clarification des concepts semble nécessaire notamment pour tout ce qui concerne la distinction entre les termes : marchand, lucratif.
Bénévoles et salariés affirment une aspiration de plus en plus marquée à s’accomplir au travers de leur investissement. Cela se traduit par l’exigence d’une lisibilité des projets (« on veut savoir où on met les pieds »). La conséquence naturelle est donc de pouvoir expliciter son projet de manière à être compris, notamment pour les « nouveaux », par le biais de procédures d’accueil ou de formation, ou une gestion spécifique des ressources humaines (ne serait-ce que du fait de la présence de bénévoles).
Une fois encore, il faut constater que le discours ne suffit pas : il est nécessaire de pouvoir également démontrer le sens de l’action. Pour décliner ce qui doit être un objectif, il est important de garder à l’esprit que la notion de sens est non seulement polysémique mais qu’aussi chacun peut lui donner un sens propre. C’est pourquoi un travail avec les différentes parties prenantes doit être conduit, tout comme il convient d’évaluer la contribution du projet à l’intérêt général et/ou la production de capital social. Il s’agit donc de construire un mode de gouvernance qui permette à chacun de partager le projet en exprimant sa vision de celui-ci et des besoins sociaux, en proposant sa contribution et en participant à l’évaluation.
Un consensus s’est exprimé pour approfondir ce concept de gouvernance, moyen de concilier le projet et la pratique, le discours politique avec les contraintes techniques, ou encore de permettre la participation de toutes les parties prenantes, dont notamment les pouvoirs publics. Dans ce chantier encore ouvert, l’idée de réfléchir sur les enjeux de formes juridiques a émergé (par exemple Scic, nouveaux statuts). Globalement, il est aussi évident qu’il faut pouvoir mieux s’approprier les outils existants pour examiner ces questions (L’ambition associative de l’Uniopss, le bilan sociétal du Cjdes…).
À partir de ce travail, il sera sans doute possible d’avancer sur la nécessaire clarification des rôles entre bénévoles (de terrain ou dirigeants) et salariés, pour réduire la tension entre ces deux types d’acteurs, qui peut devenir paralysante dans certains cas. En dépassant l’idée des statuts personnels, de nouvelles articulations entre l’action individuelle et l’action collective sont à construire. Alors que les processus d’individuation sont évidents, l’économie sociale peine encore à reconnaître et valoriser l’idée d’un entreprenariat individuel. Le leadership comme moyen de mobiliser et d’agréger les énergies a été progressivement délaissé.
Enfin, il devient nécessaire pour l’économie sociale, qui a de fortes opportunités de développement, mais est aussi confrontée à d’importants risques, de construire des alliances. Ces alliances passent d’abord par l’élaboration de stratégies sectorielles globales, y compris pour conquérir des marchés. Mais elles doivent aussi pouvoir permettre de passer des accords avec d’autres types d’acteurs, dont les entreprises, à l’image de l’insertion par l’activité économique, ou le mouvement social (exemple du Québec). Parmi ceux-ci, les syndicats représentent un axe prioritaire pour travailler par exemple sur les modes de régulation des activités comme le service aux personnes, ou réfléchir sur la création d’un statut du travailleur de l’économie sociale, notamment par le biais de garanties collectives, ou sur d’autres sujets d’intérêt commun comme par exemple les coopératives de logements (cf. Espagne).
Les conditions d’une co-production du projet par les bénévoles et les salariés
François Rousseau, chercheur en gestion
Dominique Thierry, vice-président, France Bénévolat
Hugues Vidor, délégué général du Snaecso
Table ronde animée par Dominique Picard, Caisse des dépôts
La principale force de l’économie sociale est de pouvoir combiner l’engagement de bénévoles avec l’apport de compétences professionnelles salariées. C’est dans le délicat équilibre entre ces deux types d’acteurs que se crée aussi l’utilité sociale qui légitime l’action et l’existence des organisations d’économie sociale. Or, la professionnalisation croissante de nombreuses activités, qui ont pu se banaliser par une concurrence accrue avec le secteur lucratif, met à mal cette collaboration. L’enjeu est donc de déterminer comment nous pouvons redéfinir les conditions d’une co-production du projet.
La table ronde précédente a permis d’introduire ce débat en pointant comme stratégique la collaboration entre les salariés et les bénévoles. Mais il faut constater que ce « couple fondateur » se décompose en une multitude de situations ou de cas. Ainsi, des salariés, forts de leur maîtrise technique, ont pu prendre le pouvoir et instrumentaliser les bénévoles qui deviennent des supplétifs, au risque de progressivement moins ou plus du tout s’investir. Autre cas, des bénévoles se sentent propriétaires du projet et ne considèrent les salariés que via le lien de subordination, niant leur capacité à exprimer un avis sur le projet et son évolution.
Si les cas de « divorce » sont nombreux, chacun garde la conviction que c’est dans leur collaboration que se construit la continuité du sens et qu’il s’agit d’une spécificité de l’économie sociale qu’il faut préserver. Mais pour avancer il faut pouvoir définir les conditions de co-production du projet.
Au préalable, il faut admettre qu’il n’existe pas de modèle unique, mais bien plusieurs modes d’organisation qui peuvent satisfaire les objectifs du projet, sans pour autant faire l’économie de la réflexion sur ce sujet. En effet, de nombreuses organisations, accaparées par l’action et les nécessités du quotidien, ne prennent pas le temps de débattre de la place des élus et des salariés. Ce d’autant plus que les responsables bénévoles sont rarement motivés par l’idée de devenir un employeur, mais bien davantage par le projet et l’action à conduire. Il s’agit d’un problème culturel sur lequel il faut travailler, ce qui peut être rendu difficile notamment quand les pouvoirs publics ne veulent pas voir les difficultés et se satisfont de certaines situations.
L’enjeu est de déterminer les équilibres qui permettent à chacun de s’exprimer et de trouver sa place. C’est éviter la survalorisation du projet politique comme instrument de légitimité globale, permettant des abus en matière de gestion des ressources humaines. Inversement, c’est aussi éviter de survaloriser la gestion qui confie au seul gestionnaire la responsabilité de conduire le projet, pour peu qu’il remplisse ses objectifs chiffrés. Dans cette recherche d’équilibre, le dialogue social est un élément déterminant et peut être le moteur d’innovation (sur la Vae, sur la reconnaissance du bénévolat…). Des progrès restent à réaliser.
Il semble aussi nécessaire d’éviter d’appliquer sans discernement les concepts, termes et méthodes de l’entreprise lucrative. Par exemple, l’accompagnement d’un bénévole ne peut se résumer à une simple gestion des ressources humaines traditionnelles. Son rapport à l’idée de reconnaissance, de fidélité ou de mobilité diffère. Dans le même ordre d’idées, des salariés investis et porteurs du projet sont fréquents, peut-être de plus en plus d’ailleurs. Ceci soulève la question de la reconnaissance à construire, par exemple au moyen de la validation des acquis de l’expérience, qui concerne aussi bien les salariés que les bénévoles. Pour ces derniers, il s’agit souvent d’un moyen de valoriser professionnellement leur engagement gratuit.
Dans ce travail, il faut surtout récuser les oppositions de statuts qui peuvent ne pas avoir de sens, mais plutôt partir du rôle de chacun. C’est alors admettre qu’un salarié peut être aussi un militant, et un bénévole un professionnel. Pour avancer, il est impératif d’accéder à la complexité des investissements personnels et/ou professionnels. Sommes-nous face à des « Janus » ? Les catégories binaires sont stériles, pour en sortir il pourrait être intéressant d’explorer l’idée de travail associatif ou associé…
Cela montre aussi la nécessité de clarifier davantage les mandats et les délégations entre les individus et avec l’organisme. Peut-être la création d’outils (fiche de poste, référentiel…) pourrait-elle aider les organisations d’économie sociale à progresser. Si la formalisation est utile, elle impose néanmoins de maîtriser ses éventuelles conséquences sur le projet. Pour conduire ce travail, le projet doit rester le point de référence, ce qui implique, comme l’a montré la première table ronde, de réfléchir sur les valeurs et le rapport au sens. Ici encore, les outils (Ambition associative, bilan sociétal…) pourraient permettre à tous et à chacun de se poser les bonnes questions autour du projet et de le co-produire. Ceci signifie que chacun apporte quelque chose et est reconnu pour cela, y compris les usagers qui ont une compétence pratique à apporter. Une fois de plus nous retrouvons l’idée de gouvernance.
Ce processus ne peut naître que de la conviction que c’est autour d’un projet que l’on se rassemble. Ceci ouvre donc nécessairement le débat sur les modalités de constructions collectives du sens, plutôt que sur celles de la construction d’un sens collectif. Nous retrouvons alors les questions d’équilibre entre la production sociale des organisations militantes et les enjeux économiques et de gestion. Sur ce chemin difficile, il faut pouvoir définir des règles et des normes (écrites ou non) à chaque niveau, en permettant à chacun de se les approprier. La plus-value sociale, attendue par les acteurs qui s’investissent, passe par le chaînage qui se construit entre les différents niveaux. Mais attention, il faut aussi du « jeu » pour ne pas générer de nouvelles tensions. Cela pose à nouveau la question de l’évaluation.
En conclusion, évoquons quelques éléments et pistes ayant émergé des débats : les enjeux éthiques pour les employeurs, notamment par rapport à la place des stagiaires, le fait que le secteur lucratif s’approprie les valeurs de l’économie sociale…
L’ancrage de l’économie sociale sur les territoires : enjeux et modalités
Chantal Chomel, Coop de France
Jacqueline Mengin, vice-présidente, Fonda
Jacques Moignard, président, Santévie
Table ronde animée par Alain Chanard, consultant
Les activités d’économie sociale restent fortement inscrites dans les réalités territoriales. Leur finalité première étant de répondre aux besoins et aux attentes de ceux qui les ont créées, la plupart d’entre elles ne sont pas délocalisables. Mais pour répondre aux nouveaux enjeux, être plus visibles, plus fortes et lisibles, il est indispensable que les entreprises de l’économie sociale ancrent encore davantage leur projet dans une coopération locale.
Les entreprises de l’économie sociale développent un projet territorialisé, notamment du fait que les usagers sont inscrits dans ce territoire. La question se pose d’évaluer la possibilité de développer des synergies à ce niveau et les conditions de construction des alliances. Un premier écueil apparaît alors : quelle définition (notamment en termes de dimension) du territoire avons-nous ? Cette question est d’autant plus difficile à appréhender que nous assistons pour les mutuelles et les coopératives, mais aussi pour certaines associations du secteur social et médico-social, à des regroupements, des fusions ou des rapprochements. La dimension du territoire qui est pris en compte par l’organisme peut alors s’élargir, notamment dans le souci de construire une réponse de meilleure qualité (en réalisant des économies d’échelle).
Toutefois, dans ces processus, nous retrouvons constamment le souci de préserver les acquis que représente l’ancrage territorial, tout en y apportant les avantages d’économies d’échelle. Cela explique l’émergence de modalités diversifiées de supports juridiques pour ces opérations (Gie, accord de partenariat…), mais aussi de types de gouvernance. Ainsi, des mutuelles ont construit de nouvelles répartitions des responsabilités complexes afin de conserver la richesse de l’ancrage territorial de chaque entité constitutive, qu’une rationalisation pure et simple (dont par exemple la réduction du nombre d’administrateurs) aurait mise à mal. Pour les mutuelles, les délégués locaux constituent dans ce processus une ressource de plus en plus importante. L’usage d’outils peut aider à construire une gouvernance qui prend en compte les ressources d’un territoire.
Face à ce processus, la territorialisation croissante de l’action publique fait que les régions et les collectivités locales prennent de plus en plus de place. Les conditions d’activité des organismes d’économie sociale sont alors de plus en plus déterminées par les réalités du territoire sur lequel elles agissent.
De plus, nous pouvons constater que ces organisations se connaissent mal et échangent peu entre elles. Ceci constitue un véritable handicap si on veut peser sur la stratégie d’un territoire et agir pour la cohésion sociale sur celui-ci, ou construire des alliances pour se développer. De même, malgré des évolutions positives, les élus locaux connaissent mal l’économie sociale et ses composantes ; ils ont pourtant un rôle important en tant que donneurs d’ordres.
Rapidement se fait jour néanmoins la nécessité de développer des appuis territoriaux diversifiés pour répondre à des problématiques communes et complexes (accueil de jeunes, formation des administrateurs, développement durable…). Il semble indispensable de croiser dans la réflexion les approches territoriales et réseaux : les réseaux, fédérations et unions permettent d’acquérir les compétences difficiles à obtenir sur un territoire.
Leurs actions permettent en effet de réaliser des économies d’échelle, de mutualiser les compétences et les approches, de prendre de la distance par rapport aux seules réalités territoriales, et de donner une ouverture sur des enjeux plus globaux. Mais il faut constater qu’ils peinent à se repositionner avec la décentralisation. Actuellement on assiste à un émiettement des outils, dans la mesure où chaque région développe ses observatoires, ses référentiels… Il faut sans doute là aussi réfléchir aux moyens d’éviter le gaspillage d’énergie, y compris en s’interrogeant sur des rapprochements entre différents réseaux. Il faut donc pouvoir construire des articulations entre les réseaux territoriaux (qui restent à développer) et les réseaux verticaux (qui semblent peiner à se repositionner). Pour y arriver, il faut investir sur la formation des responsables bénévoles et travailler sur le « brassage » des compétences. Il faut aussi apprendre à mieux se connaître notamment entre les familles, ce qui nécessite de créer l’opportunité de le faire par le biais de rencontres mais aussi et surtout en construisant ensemble des réponses.
Dans ce paysage, il ne faut pas oublier les enjeux de démocratie participative, comme par exemple les questions de pouvoir qui se jouent dans les conseils de développement. Une fois encore, l’évaluation est un outil essentiel. Il serait intéressant de l’appliquer à un niveau territorial pour identifier des avantages comparatifs.
En conclusion se dégage un consensus sur le fait que les spécificités de l’économie sociale sont liées à l’ancrage territorial des actions.
Quelles suites pour nos travaux et échanges ?
Propositions et modalités
Brigitte Lesot, directrice générale adjointe, Cpm Chorum
Jean-Pierre Worms, président, Fonda
La journée a été riche d’enseignements et permet d’envisager des suites politiques et pratiques, qui restent à définir. Il semble intéressant de pouvoir poursuivre la réflexion sur la base des consensus issus des travaux, en veillant à s’inscrire dans les dynamiques existantes. Ces consensus concernent notamment la spécificité des problématiques de management dans l’économie sociale. Mais il faut aussi travailler pour clarifier le principe autour duquel s’organise cette spécificité et qui structure les activités et l’apport des différentes parties prenantes : la valorisation de l’apport des personnes.
Parmi les pistes de travail, la question des solidarités est centrale, notamment sur la problématique de l’articulation des mécanismes internes et externes. Il faut sans doute aussi avancer sur l’évaluation et les outils qui permettent de construire des indicateurs de l’utilité sociale produite. Pour favoriser les évolutions des personnes, il faut valoriser les apports de la mobilité et réfléchir aux moyens de sécuriser les parcours. Enfin, il faudrait pouvoir travailler sur l’atout que représente la proximité sans pour autant accentuer le repli sur soi. Des centres ressources pourraient y aider.