Cet article est issu de l'ancien site du collectif Pouvoir d'agir
Depuis quarante ans, les élus privilégient, sans succès, la rénovation urbaine à l’aspect économique et social. Comment sortir de cet échec? Il faudrait notamment changer de regard sur les minorités, explique le sociologue. Thomas Kirszbaum Sociologue, chercheur associé à l’Institut des sciences sociales du politique (ENS de Cachan et Université Paris Ouest, CNRS). Spécialiste des politiques urbaines et de lutte contre les discriminations, le sociologue Thomas Kirszbaum estime que le plus urgent pour améliorer la vie des habitants dans les quartiers serait de progresser dans «la redistribution sociale»et changer les représentations.
Après quarante ans de politique de la ville, comment expliquer que la situation des quartiers n’ait pas vraiment évolué ?
Le facteur principal est le suivant : les populations bougent, mais les quartiers restent. D’un recensement décennal à l’autre, environ la moitié de la population adulte d’un quartier n’est plus la même. C’est le paradoxe fondamental de la politique de la ville. Si l’on regarde de manière statique les indicateurs relatifs aux populations, alors, oui, ces quartiers vont mal et le mal tend à s’aggraver dans les périodes de récession économique. Mais si l’on regarde la dynamique, en prenant en compte les flux d’entrée et de sortie, alors on voit que ces quartiers jouent tout à la fois un rôle d’accueil résidentiel et de promotion sociale – même s’il ne faut pas minimiser les phénomènes d’enfermement. Déplorer la permanence des quartiers après quarante ans de politique de la ville, c’est aussi et surtout s’empêcher de voir le caractère structurel de la concentration de la pauvreté et des minorités dans certains espaces. Des phénomènes qui ne sont pas une spécificité contemporaine ou française. La particularité de la France, c’est une surenchère du discours politique, de droite comme de gauche, qui assigne un horizon impossible à la politique de la ville, celui de faire disparaître le problème des banlieues.
En promettant d’en faire des quartiers «comme les autres», de revenir à une situation «normale», ces discours entretiennent une nostalgie mortifère, elle aussi très française : celle du «c’était mieux avant», qui suggère que «c’était mieux avant que les immigrés entrent dans les HLM».