Bénédicte Hermelin répond aux questions d’Anna Maheu de la Fonda.
Arnaud Schwartz avait pris la plume dans nos colonnes en septembre 2021 pour dénoncer le contrat d’engagement républicain (CER)1 , alors à l’étude, comme une « mise sous surveillance généralisée de la liberté associative »2 .
Depuis le 1er janvier 2022, le CER s’est inscrit dans le quotidien des associations3 , dont les 6 209 associations affiliées à France Nature Environnement. Quelles conséquences observez-vous pour les membres de votre fédération ?
Bénédicte Hermelin : Le contrat d’engagement s’inscrit dans la fameuse loi Séparatisme, renommée depuis. À ce jour, les structures qui ont été accusées de « non-respect du contrat d’engagement républicain » protègent presque toutes l’environnement, à l’exception notable du Planning familial à Chalon-sur-Saône4 . Alternatiba est particulièrement dans le viseur, à Poitiers5 , mais aussi dans trois autres villes. Le motif est toujours le même : cette association encouragerait la désobéissance civique et ne respecterait donc pas les termes du contrat d’engagement républicain. Or la désobéissance civile est légale ! Cela va au-delà d’une structure.
Un préfet a demandé à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de sa région de scruter toute association de protection de l’environnement demandant ou ayant reçu des subventions pour vérifier son respect de contrat d’engagement républicain6 .
Aujourd’hui, toutes les associations de protection de l’environnement sont présumées coupables.
Exemple plus récent : l’Association de protection d’information et d’études de l’eau et de son environnement (APIEEE), membre du mouvement France Nature Environnement, s’est vue retirer une subvention FONJEP7 qui finançait un poste d’animateur nature. Elle a aussi été exclue de toutes les instances de concertation liées à l’eau du département dans lesquelles elle siégeait. Ces sanctions ont été justifiées par un soutien supposé à la manifestation de Sainte-Soline fin octobre 2022, bien que l’APIEEE n’ait ni organisé cette manifestation, ni appelé à y participer8 .
Depuis, l’association se bat pour faire rétablir ses droits, avec un premier recours auprès du préfet, une demande d’explication, un recours au tribunal administratif et un recours hiérarchique au ministre de tutelle. Nous sommes le 22 juin et l’association est toujours dans l’impossibilité de faire son travail. Elle utilise son énergie et son temps en actions juridiques plutôt qu’à protéger les rivières et leurs habitants.
Au-delà du CER, la loi dite Séparatisme a également étendu la responsabilité des dirigeants associatifs.
Oui et cela inquiète à raison des présidents d’associations membres de FNE. Le président est à présent responsable de ce qui est fait par n’importe quel membre de son association à partir du moment où il était au courant et n’a rien fait pour l’interdire. Cette responsabilité des dirigeants bénévoles et salariés s’étend aux actions au nom de l’association, mais aussi dans le champ d’intervention de l’association.
Mais ça va jusqu’où ? Si un de mes collègues participe à la manifestation de Sainte-Soline un week-end, hors de son temps de travail donc, et que je le sais, je devrais donc l’en empêcher ? Nous sommes tombés dans une suspicion généralisée, qui met une responsabilité démesurée sur les dirigeants et freine leur engagement.
La loi Séparatisme serait donc un frein à l’engagement pour la cause écologique ?
Elle n’est qu’une partie du problème.
Parlons de la cellule Déméter. Créée en partenariat avec le ministre de l’Agriculture, cette cellule spécialisée de la gendarmerie devait lutter contre la délinquance envers le milieu agricole, les vols de tracteurs ou le siphonnage de l’essence entre autres. Sauf que la cellule Déméter a étendu ses missions à la lutte contre les personnes qui font de l’agribashing, un concept qui, je le précise, n’existe pas dans la loi.
Aujourd’hui dès qu’on commence à critiquer un certain modèle agricole, on est suspecté de faire de l’agribashing. Le président de l’association Alerte Pesticides de Haute-Gironde, Henri Plandé, a reçu une visite de gendarmes à son domicile. Le motif ? L’association avait organisé un débat citoyen sur les dangers liés aux pesticides et autres produits phytosanitaires qui sont répandus dans les vignes à Blaye. Les gendarmes l’ont interrogé sur le contenu de la réunion et ses participants, ils lui ont même demandé qu’elle n’ait pas lieu.
Les bénévoles de FNE sont pacifistes, ce sont pour certains de paisibles retraités. Ils ne veulent plus s’engager si c’est pour être traités d’écoterroristes9 . Plus globalement, les citoyens ne veulent plus aller manifester, se réunir ou s’informer parce qu’ils ont peur. La peur instaurée dissuade l’engagement. Les démonstrations de force démesurées lors des manifestations de Sainte-Soline, le contrôle des associations avec le CER et le dénigrement de l’engagement en faveur de l’environnement avec des termes comme l’écoterrorisme sont liés.
C’est ce qu’a rappelé récemment un groupe de rapporteurs des Nations Unies : la France ne respecte plus ses obligations internationales en matière de droit à manifester pacifiquement et de liberté d’association10 . Ils ont même dénoncé le recours à une rhétorique criminalisant les défenseurs des droits humains et de l’environnement de la part du gouvernement !
De quoi avons-nous besoin pour retrouver un climat plus apaisé ?
D’une volonté politique au sommet de l’État. Nous ne pouvons continuer à vivre un « deux poids deux mesures » en matière d’environnement. Les associations du mouvement FNE sont victimes depuis de trop nombreuses années de violences et d’intimidations de la part d’une partie du monde agricole.
Au mois de mai 2023, la propriété du vice-président de Nature Environnement 17 a été saccagée par des agriculteurs de la FNSEA. Personne ne parle pourtant de dissoudre ce puissant syndicat. L’État doit cesser de traiter les personnes qui défendent l’environnement d’écoterroristes et faire appliquer la loi pour que les situations ne s’enveniment pas. Nous avons en ce sens écrit une lettre au ministre de l’Intérieur le 14 juin dernier11 .
- 1Ce contrat, imposé par la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, est défini par le décret n°2021-1947 du 31 décembre 2021.
- 2Voir à ce sujet : Le Mouvement Associatif, « Associations, présumées coupables ? », janvier 2023, [en ligne].
- 3Arnaud Schwartz (France Nature Environnement), « Loi séparatisme : conséquences pour un responsable associatif », Tribune Fonda n° 251, septembre 2021.
- 4Le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, a interdit une manifestation prévue le 12 mars 2022 par le Planning Famillial 71 sur la place de l’hôtel de ville, car l’affiche de l’événement représentait, entre autres, une femme voilée. L’édile a été débouté par le tribunal administratif de Dijon le 4 mars 2022, puis par le Conseil d’État dans une ordonnance rendue le 10 mars 2022.
- 5Au mois de septembre 2022, le préfet de la Vienne Jean-Marie Girier a demandé à la municipalité de Poitiers et à la communauté d’agglomération d’exiger le remboursement d’une partie des subventions versées à l’association écologiste Alternatiba, qui avait organisé des « ateliers de désobéissance civile » dans le cadre d’un festival.
- 6La Maison régionale de l’environnement et des solidarités (MRES) a par ailleurs été convoquée à la préfecture à la demande du président de région Xavier Bertrand le 9 décembre 2022 pour un rappel à l’ordre. Voir Le Mouvement Associatif, « Associations, présumées coupables. », janvier 2023, [en ligne].
- 7Les postes Fonjep sont des aides de 7 000 € à 8 000 € versées par l’intermédiaire du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (Fonjep) pour le compte de l’État à des associations loi 1901 de jeunesse et d’éducation populaire. Ces aides viennent soutenir un projet qui nécessite l’emploi d’un salarié qualifié.
- 8France nature environnement (FNE), « Combat contre les mégas-bassines : quand l’État instrumentalise les événements de Sainte-Soline pour étouffer le débat démocratique », 15 mars 2023, [en ligne].
- 9Le terme d’écoterrorisme a été utilisé le 30 octobre 2022 par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour qualifier les modes opératoires d’une partie des participants à la manifestation interdite à Sainte-Soline le 29 octobre 2022.
- 10Le groupe d’experts de l’ONU composé de Clément Voulé, Pedro Arrojo-Agudo, David R. Boyd, Michael Fakhri, Mary Lawlor, Irene Khan et Michel Forst a publié un communiqué de presse « La France doit respecter et promouvoir le droit de réunion pacifique, déclarent des experts de l’ONU », le 15 juin 2023.
- 11Lettre à retrouver dans le média en ligne Reporterre. France Nature Environnement, « L’État doit stopper les violences et intimidations envers FNE », Reporterre, 22 juin 2023, [en ligne].