Numérique et médias Engagement

La médiation numérique en tension

Tribune Fonda N°236 - Le fait associatif au cœur des nouveaux métiers - Décembre 2017
Vincent Bernard
Vincent Bernard
Médiation numérique, de quoi parle-t-on ? Tentative de définition au regard de son évolution, des lieux où elle se pratique, de ses différents acteurs et de ses enjeux.
La médiation numérique en tension

Selon le Réseau national de la médiation numérique (mednum), la médiation numérique « désigne la mise en capacité de comprendre et de maîtriser les technologies numériques, leurs enjeux et leurs usages, c’est-à-dire développer la culture numérique de tous, pour pouvoir agir dans la société numérique.

Elle procède par un accompagnement qualifié et de proximité des individus et des groupes (habitants, associations, entreprises, élèves, étudiants, parents, professionnels...) dans des situations de formation tout au long de la vie facilitant à la fois l’appropriation des techniques d’usage des outils numériques et la dissémination des connaissances ainsi acquises.

Elle est donc au service, notamment, de l’inclusion numérique et favorise les coopérations utiles aux réalisations et aux innovations en faveur du bien commun ». Le site insiste également sur la méthode qui consiste à , « apprendre par le faire » et « apprendre par les pairs ».
 

Les lieux de médiation numérique


Les lieux où elle se pratique est une autre manière de l’appréhender. Ils se retrouvent sous l'appellation espace public numérique (EPN). Selon le portail Net Public un EPN est « ouvert à tous, et permet d’accéder, de découvrir, de s’informer, d’échanger, de créer et de s’initier aux outils, aux services et aux innovations liés au numérique dans le cadre d’actions diversifiées : rencontres, débats,  ateliers collectifs d’initiation ou de production, médiations individuelles,  libre consultation, etc. ». Selon le site toujours, « Les EPN sont des lieux d’expérimentation et de diffusion des nouveaux services et des nouveaux usages liés au numérique, ainsi que des lieux d’animation de projets collaboratifs de proximité ».

Cependant l’extension et la diversification des pratiques numériques permettent d’entrevoir une spécialisation des lieux.

Si, dans les années 2000, la mednum s’occupait essentiellement des compétences informatiques de base, on pense alors au Passeport de compétence informatique européen (PCIE), c’est-à-dire l'initiation aux outils rudimentaires que sont  le mail, les outils bureautiques, les navigateurs web, avec aux mieux une initiation aux logiciels de retouche d’image ou au développement de sites internet, l’apparition des nouvelles technologies 2.0 a opéré une spécialisation.

Ainsi sont apparues les appellations de « tiers-lieux » ou encore celle de « fablabs ».

Les premiers mettent davantage l’accent sur la temporalité et la socialisation. Sur le site Eduscol nous pouvons trouver la définition suivante : « Le tiers-lieu ou troisième place est un terme traduit de l’anglais The Third Place. Cette notion a été introduite par le sociologue américain Ray Oldenburg pour désigner des lieux distincts du domicile et du travail qui permettent des rencontres et du travail collaboratif entre plusieurs personnes ou des groupes de personnes ».

Le Fab Lab quant à lui, sans que la méthode ne diffère radicalement, est davantage dédiée à la conception et à la fabrication. Sur le wiki1 de « Carrefour Numérique² », le Fab Lab de la Cité des Sciences nous en trouvons la définition suivante : « Un fablab (contraction de l'anglais fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication ») est un lieu ouvert au public où il est mis à sa disposition toutes sortes d'outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d'objets ».

En visitant le site nous pouvons comprendre les activités proposées : makers (par exemple impression 3D), co-réparation de matériel électronique, initiation à la programmation, robotique, etc.
 

La médiation sociale numérique


Cependant le déploiement du numérique dans la société et la spécialisation des acteurs n’a pas pour autant effacé les anciens besoins, et la nécessité de résorber la fracture numérique est toujours présente, toujours plus même, au fur et à mesure que les services publics se dématérialisent.

L’enquête d'Emmaüs Connect Les travailleurs sociaux médiateurs numérique malgré eux montre que « la problématique numérique demeure encore aujourd’hui le parent pauvre des politiques d’établissements au sein de l’action sociale.

Cela se traduit concrètement par l’absence de procédure systématique de détection des problèmes numériques des usagers (équipements et connexion), l’absence de formation initiale des futurs intervenants sociaux à ces enjeux, la difficulté à établir des ponts avec les acteurs du numérique et à proposer des solutions innovantes et pérennes d’accompagnement au numérique des usagers ».

Ainsi, il semble que si l’on constate une ludification de la médiation numérique vis-à-vis du grand public, les difficultés s'ajoutent aux difficultés existantes vis-à-vis des publics empêchés : « Alors que le numérique percute de plein fouet la pratique quotidienne des professionnels, ceux-ci ne l’identifient que rarement comme une part intégrale de leur métier, mais davantage comme une problématique encore moindre au regard d’autres urgences (se nourrir, se loger, se vêtir) ».

La question qui se pose alors est de déterminer si la médiation numérique doit être intégrée aux compétences des travailleurs sociaux ou déléguées aux acteurs de la mednum.

D’après l’enquête d’Emmaüs Connect la question semble déjà tranchée du côté des acteurs sociaux : « la principale attente exprimée par les personnes interrogées n’est pas de se former soi-même à l’accompagnement numérique des usagers. Elles souhaitent, au contraire, une prise en charge massive par des structures dédiées à la formation des usagers, et manifestent leur intérêt pour que les ateliers d’accompagnement au numérique puissent être effectués directement au sein de leur structure ».
 

La présence éducative en ligne


Cependant tous les acteurs de terrain ne semblent pas aussi réticents. En témoigne le dispositif des Promeneurs du net, piloté par la Caisse d’allocations familiales.

Le constat à l’initiative du projet est que « 80 % des jeunes âgés entre 11 et 17 ans sont présents sur le Net une fois par jour, et plus de 48 % d’entre eux se connectent aux réseaux sociaux plusieurs fois par jour ». Il soulève les questions suivantes : « Qui pour les accompagner sur Internet ? Qui pour répondre à leurs sollicitations ? Qui pour leur inculquer les bonnes pratiques ? Qui, enfin,  pour les sensibiliser aux risques ? ».

Le dispositif expérimental initialement déployé par la CAF de la Manche en 2012 s’inspire du concept suédois de « Nätvandrarna », et vise  à assurer une présence éducative en ligne : “Animateur, éducateur, professionnel exerçant en centre social, en foyer de jeunes travailleurs ou en maison des jeunes, le Promeneur écoute, informe, accompagne, conseille et prévient.

Et pour mieux accomplir sa mission, il entre en contact et crée des liens avec les jeunes sur les réseaux sociaux. Son but n’est jamais la surveillance, mais bien l’accompagnement des jeunes et la recherche de réponses à leurs interrogations.

De la simple information à donner, au projet complet à soutenir, de la prise en charge de difficultés, à la détection d’une situation préoccupante, le Promeneur est un  professionnel présent sur un territoire digital très vaste et peu encadré. Il communique et interagit via les blogs, les tchats, les forums.

En dialoguant avec chacun, le Promeneur renforce le lien social et cultive un esprit critique face à l’information et à l’image ». Ici l’idée est bien de permettre à chaque promeneur du net, généralement un par structure, de consacrer une part de son activité au numérique. Elle se concrétise par une permanence hebdomadaire sur les réseaux sociaux. On parle également de “rue virtuelle ».
 

La médiation numérique symptôme de la disruptivité ?


Il semblerait donc, à la vue de ces éléments, que la médiation numérique soit hétérogène. Tout d’abord elle s’effectue dans différents lieux, des tiers lieux pour le partage des savoirs, des fablabs pour la production collaborative, ou tout simplement en ligne. Il semblerait aussi qu’ayant pris le train de l’innovation, elle ait préféré le développement des compétences de demain à la réduction de la fracture numérique d’aujourd’hui.

Et pour finir, il semblerait qu’elle hésite sur son modèle professionnel, entre la création de métiers spécifiques et la spécialisation des métiers existants. Cela tient sans doute au fait que, dans la société, le numérique se déploie plus rapidement que l’élaboration de la réponse institutionnelle. Favoriser l’inclusion numérique tout en formant les citoyens de demain n’est pas chose aisée.

Il faut travailler de concert les littératies numériques et les compétences sociales ; intégrer les nouvelles technologies et comprendre les nouveaux usages ; saisir la modification des rapports sociaux qu’elle induit et l’évolution des subjectivités qu’elle produit ; tout en prévenant bien entendu les risques éventuels.

Par son essence, le numérique est un secteur hautement spéculatif et peine à se penser en dehors de l’esprit start-up. Comment allons-nous intégrer tout ce qui va s’inventer et que nous ne maîtrisons pas ?

Par sa capacité à accompagner la société civile, ce dont il a toujours su faire preuve, gageons que le monde associatif saura relever le défi, si toutefois on lui en donne les moyens, et si l’on cesse de mélanger objectifs éducatifs et business model.
 

  • 1Un wiki est une application permettant d’agir collaborativement sur un site web.
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