Numérique et médias

La médiation numérique au service d'un numérique inclusif

Tribune Fonda N°247 - Perspectives pour le "monde d'après" - Septembre 2020
Emma Ghariani
Emma Ghariani
Et Caroline Span, La MedNum
Le numérique a été un allié indispensable lors de la crise sanitaire pour la poursuite de nombreuses activités. Il est néanmoins l’objet de nombreuses inégalités, tant en termes d’équipement que de maîtrise des usages, que la crise n’a fait que d'avantage souligner. La médiation numérique joue ainsi un rôle indispensable pour rapprocher les outils numériques de leurs utilisateurs, en tenant compte de leurs besoins.
La médiation numérique au service d'un numérique inclusif
Personne utilisant un écran tactile © Timothy Muza

Le 30 mars, quinze jours à peine après l’annonce du confinement, le numéro du centre d’aide aux démarches en ligne, Solidarité numérique, accueille ses 1 500 premiers appels… en une journée. Dans un formidable élan de de solidarité, les acteurs de la médiation numérique et, en particulier, ses chevilles ouvrières – plus de 2 000 médiateurs numériques – ont répondu présent, accompagnant en urgence les Français dans leurs démarches essentielles.

Avec la fermeture des lieux d’accueil au public, les conséquences de la dématérialisation des services se montrent dans leur réalité crue : en l’absence de lieux, la vie quotidienne de milliers de personnes vire au casse-tête chinois. Plus de réunion sans visioconférence. Plus de courses alimentaires sans commande en ligne. Plus de médecine sans téléconsultation. Plus d’accès au droit sans maîtrise des procédures administratives en ligne.

Durant cette période, les métiers de la médiation numérique montrent plus que jamais qu’ils sont essentiels à la cohésion sociale, économique et territoriale dans la société numérique.

Aux confins du service à la personne et des métiers de la tech, souvent oubliés des grands panoramas des métiers de demain, ils sont pourtant essentiels pour permettre aux citoyens de saisir toutes les opportunités que le numérique peut apporter.

Bernard Stiegler, brutalement disparu dans la torpeur de l’été, nous disait qu’« il ne faut pas rejeter les techniques, il faut les critiquer, ce qui ne veut pas dire simplement les dénoncer mais les transformer ». Voilà la tâche des acteurs de la médiation numérique, nouveaux hussards noirs de la société numérique : permettre à chacun de faire des choix éclairés et de gérer au mieux sa vie numérique.

Deux mois plus tard, le projet Solidarité numérique, né de la volonté de quelques acteurs (Agence nationale de la cohésion des territoires, secrétariat d’État au numérique, Banque des territoires, pass numérique APTIC) et porté par la MedNum, a permis d’offrir un accompagnement à 20 000 personnes éloignées du numérique. C’est beaucoup mais c’est trop peu. Plus de 13 millions de personnes sont considérées comme exclues du numérique, dont 6,7 millions qui ne se connectent jamais à Internet et 7 millions d’internautes qui se sentent mal à l’aise dans leur utilisation d’Internet. C’est considérable.

Nous croyons que les cinq années à venir seront clés pour assurer que le numérique soit accessible à tous et partout.

Voilà donc quelques leçons, et solutions, que nous tirons de la crise sanitaire.

Connexion, équipement, maîtrise des usages : l'indispensable trépied numérique

Aujourd’hui, le numérique est essentiel à nos vies quotidiennes. Il est nécessaire pour acquérir des connaissances, trouver un emploi sans avoir à traverser la rue, et maintenir des liens sociaux.

Pourtant, nous ne sommes pas égaux face au numérique.

La crise sanitaire que nous avons subie a révélé et aggravé ces inégalités en rendant indispensable le fait d’avoir un équipement (smartphone, ordinateur) et de savoir l’utiliser pour accéder aux services essentiels (s’informer, faire ses démarches et ses courses en ligne, télé-consulter un médecin, faire l’école, etc.).

Bien que la couverture réseau de notre pays soit l’une des meilleures d’Europe et que des efforts considérables aient été menés par les différents opérateurs, il reste des zones dites « blanches » en France qui empêchent plus de 400 000 personnes d’avoir un accès à Internet ou à un simple réseau de téléphonie. Difficile de télédéclarer ses revenus quand il faut courir en haut d’une colline pour envoyer un texto !

Un autre problème lié à la connectivité, quand il ne s’agit pas de connexion, concerne le coût. Évidemment, la généralisation des forfaits illimités 4G a permis à un grand nombre d’entre nous de ne plus nous soucier de notre consommation d’Internet mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Imaginez une famille, deux adultes, deux enfants, chacun son téléphone et la box à la maison, le calcul est vite fait et l’addition, salée.

La solution « Partage ton Wifi » est née lors du confinement pour faciliter les partages de connexion entre voisins et limiter les coûts.

Ce genre d’initiatives doit perdurer et être encouragé pour permettre à chacun de bénéficier d’une connexion efficace.

Bien évidemment, avoir une bonne connexion sans équipement ne sert à pas grand-chose ! Là encore, les inégalités sont criantes. On l’a constaté lors du confinement, avoir un ordinateur par personne au sein d’un foyer est rare et coûteux. Certains élèves ont dû faire preuve d’ingéniosité pour pallier ces difficultés, en envoyant par exemple leurs devoirs par WhatsApp, faute d’ordinateur personnel.

La situation a également été dramatique dans les hôpitaux et les EHPAD où les patients étaient isolés et coupés de leurs familles. Heureusement, des initiatives comme Gardons le lien et Connexion d’urgence, ont permis la distribution de matériel informatique et redonné espoir à de nombreuses familles impuissantes face à la situation.

Les exclus du numérique ne sont pas toujours ceux que l'on croit

Notre expérience du projet Solidarité numérique nous a permis d’entrevoir qui se cache derrière le chiffre de 13 millions de Français exclus du numérique. Certains facteurs discriminants sont connus : l’âge, le diplôme, le revenu. Mais ce service a révélé de nouveaux besoins, comme par exemple l’école à la maison. De nombreux professeurs et élèves ont dû apprendre et s’adapter très vite, alors que l’apprentissage en ligne est assez éloigné des pratiques de l'Éducation nationale.

Les publics se sont révélés plus divers qu’à l’accoutumée, et les exclus du numérique ne sont pas forcément ceux auxquels on pense.

Les jeunes maîtrisent les réseaux sociaux et le gaming à la perfection mais ne savent pas forcément faire une candidature pour un emploi. Des dirigeant d’entreprises ne savent pas gérer leur marketing digital et ne peuvent pas informer leur clientèle de la réouverture de leur commerce, etc.

Le numérique est un nouveau langage qui requiert un apprentissage, certains sont tombés dedans quand ils étaient petits, d’autres doivent apprendre sur le tas. Sans même s’en rendre compte, dire à quelqu’un qui ne maîtrise pas les codes d’« ouvrir la fenêtre » ou de « chercher dans la barre d’adresse » est excluant.

L’apprentissage des usages est spécifique à chacun.

Certains ont besoin d’être accompagné de A à Z, d’autres ont besoin d’être réassurés. Dans tous les cas, il y a toujours un sentiment de fierté lors de la réalisation d’une démarche en ligne !

L’écosystème de la médiation numérique œuvre depuis des années à rendre les gens autonomes, capables d’apprendre par eux-mêmes, quels que soient les outils et les logiciels utilisés. Cet apprentissage tout au long de la vie nous concerne toutes et tous et il est important de mettre en place des parcours de prise en charge à 360°, qui prennent en compte la connexion, le matériel et la maîtrise des usages numériques.

Pas de numérique inclusif sans confiance et coopération

La crise sanitaire a révélé l’importance d’un numérique inclusif, accessible et éthique. Les services les plus essentiels lors de cette période auront été low tech, frugaux, basés sur l’humain et sur des coopérations distribuées. La coordination spontanée du mouvement des makers a été d’une résilience incroyable. En quelques jours, des milliers de personnes à travers la France se sont mobilisées pour créer des visières à partir d’imprimantes 3D pour protéger les soignants et les « premiers de corvée ».

À l’heure des scandales de Cambridge Analytica1 , l’éthique est aussi une valeur montante. En 2019, pour la première fois depuis sa création, le baromètre du numérique enregistrait un recul dans la confiance qu’ont les Français dans le numérique. La crainte de mal faire, de se faire pirater ses données, d’avoir un virus sur son ordinateur reste bien là.

Pourtant, un autre numérique est possible dans le monde d’après.

Ensemble, nous pouvons le faire advenir, si nous travaillons autour de trois axes :

  1. Penser les usages inclusifs des services numériques dès leur conception pour qu’ils soient « inclusifs by design » et que chacun puisse y accéder facilement et simplement
  2. Consolider la chaîne de valeur de l’inclusion numérique autour des actions de détection des publics, de création de services permettant de mieux toucher plus de publics, et d’évaluation de l’impact des actions mises en œuvre.
  3. Créer des alliances public/privé. Notre gouvernance coopérative rassemble des acteurs de secteurs et sensibilités différents autour de l’enjeu de l’inclusion numérique. Cette alliance d’acteurs publics et privés, nationaux et locaux, dans un cadre d’intérêt général, est la condition sine qua non pour répondre en urgence, avec efficacité et de manière soutenable, aux besoins des Français, car elle permet de mobiliser une pluralité de savoir-faire et de capacités.

Face au défi de l’inclusion numérique, nous avons le devoir d’apporter des solutions toujours plus efficaces, diverses et adaptées aux attentes et réalités des Français exclus du numérique. Et cela de manière collective. Nous portons tous avec énergie une partie de la solution, acteurs de l’ESS, acteurs publics et entreprises : c’est en nouant des alliances et des collaborations de projets au service des Français que nous réussirons.

  • 1En 2018, l'entreprise Cambridge Analytica s'est retrouvée au coeur d'un scandale, suite à la révélation de l'usage qu'elle avait fait de données personnelles, aspirées depuis Facebook, pour cibler des messages favorables au Brexit et à l'élection de Donald Trump.
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