Bouchra Aliouat répond aux questions d’Anna Maheu, La Fonda.
Comment KPMG, avec sa fondation, a-t-il commencé à développer des projets culturels ?
Historiquement, la Fondation KPMG travaillait sur l’insertion professionnelle des jeunes issus des Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et notamment dans les lycées professionnels.
La demande de programmes pédagogiques culturels est venue des établissements eux-mêmes, qui considéraient que l’offre culturelle était trop souvent éloignée des territoires les plus en difficulté et de leurs publics.
Nous avons donc décidé d’intégrer la question culturelle à nos axes d’intervention et d’expérimenter une forme de culture inclusive en partenariat avec des établissements scolaires et des institutions culturelles volontaires pour mener des projets ensembles.
Que qualifiez-vous de « culture inclusive » ?
Nous sommes allés à la rencontre d’institutions culturelles pour leur proposer notre soutien à la mise en œuvre des programmes sur mesure pour ces jeunes, et pas uniquement de la billetterie pour aller voir des œuvres ou des spectacles.
La culture est un excellent levier d’épanouissement et d’ouverture sur le monde qui nous entoure. Cependant, elle se transmet trop souvent par filiation.
Si des parents sont initiés au théâtre ou à la musique classique, ils vont plus naturellement faire découvrir à leurs enfants cet univers culturel. Pour des personnes plus éloignées de cet univers, elles n’auront pas connaissance ou accès à cette diversité d’offres et n’en comprendront pas forcément les usages ou la pratique.
Nous avons donc décidé d’utiliser la culture comme un levier d’insertion sociale et professionnelle.
Nous ne nous considérons pas comme un mécène culturel traditionnel mais plutôt éducatif.
Nous favorisons une culture qui inclut et s’adapte à toutes les diversités, une culture inclusive qui encourage tout le monde à se sentir intégré au sein cet environnement.
Dans ces programmes, les jeunes ne sont pas en posture de public, mais plutôt en posture active. Avec le musée des Confluences par exemple, nous soutenons un programme autour du récit d’œuvre.
Les élèves travaillent en groupe sur le récit d’une œuvre du musée. Ils développent leur curiosité, leurs capacités de recherche et leur plume évidemment. Certains peuvent même la soumettre comme leur « chef d’œuvre », une nouvelle épreuve pour l’obtention du baccalauréat professionnel.
Quels ont été les premiers projets culturels que vous avez soutenus ?
Nous avons commencé il y a plus de dix ans avec des expérimentations auprès de plusieurs institutions culturelles, dont le Musée Jacquemart-André qui avait déjà un programme sur mesure pour les jeunes. Ensuite, nous avons soutenu le lancement d’un programme plus expérimental avec la Philharmonie de Paris, puis le théâtre du Châtelet et d’autres institutions culturelles en région comme le musée des Confluences.
Nous proposons à ces grandes institutions culturelles de travailler ensemble et de co-construire des programmes sur-mesure pour les jeunes que nous accompagnons dans les classes. Ces programmes construits par ces professionnels de la culture sont un véritable travail d’orfèvre. Ils ont pour objectif de développer la cohésion de classe et les compétences interpersonnelles, ce qu’on appelle les soft skills comme la prise de parole, la confiance en soi, la curiosité et le goût pour la culture bien sûr.
Pour vous, la culture serait donc plus un moyen qu’une finalité ?
En effet, la culture a une formidable force de frappe, notamment comme vecteur de cohésion sociale. Avec près d’une dizaine d’ateliers par an pour chaque groupe classe, nous pouvons observer des effets positifs sur les jeunes, on les voit évoluer entre le début et la fin d’année scolaire. Les élèves développent leur curiosité et leur esprit critique, on a pu également constater une meilleure cohésion de groupe dans la classe.
Ils développent aussi leur confiance en eux : confiez un violon à un jeune, donnez-lui l’occasion d’être sur une scène en présence de ses parents ou invitez-le à assister à une représentation à la Philharmonie de Paris, évidement que son estime de soi est renforcée. Même s’il ne jouera pas comme un professionnel, réussir à produire un son d’une trompette ou d’un violon et faire tout un concert en seulement quinze séances, c’est une réussite en soi !
Nous leur montrons que ce monde qu’ils imaginaient inaccessible ne l’est pas. Ils ont leur place dans cette culture-là, ils peuvent l’explorer, y participer, émettre des opinions, des critiques, quel que soit le milieu social auquel ils appartiennent.
Comment les équipes pédagogiques intègrent-elles ces programmes ?
Sans professeur engagé, nous n’y arriverions pas. Les professeurs sont des parties prenantes à part entière du projet : ils accompagnent les élèves tout au long de ces programmes, dans les ateliers et aux représentations qui ont lieu souvent le soir.
Leurs retours sont souvent similaires : ces programmes sont l’occasion de nouer une relation différente avec les élèves. Ce ne sont pas des activités pédagogiques classiques en classe, cela crée vraiment une relation de proximité.
Ces programmes permettent aussi d’ouvrir des débats qui peuvent être complexes sur des enjeux de société, du mieux vivre ensemble. Par exemple, des élèves d’un des lycées ne voulaient pas participer à un programme sur la musique classique pour des raisons personnelles. L’enseignant a alors ouvert le dialogue avec eux pour mieux comprendre les freins, dont certains relevaient de croyances religieuses. Des échanges très constructifs ont pu être menés. Les élèves avaient ainsi toutes les informations pour prendre une décision éclairée.
Dans ce cas, la culture a permis d’amorcer un dialogue interculturel bienveillant, dans le respect des uns et des autres et de mieux comprendre un univers qu’ils ne connaissaient pas. Ils développent un esprit critique et s'éveillent aux apports positifs de la culture.
Comment pérenniser ces projets ?
C’est une vraie difficulté, le programme avec la Philharmonie a été arrêté à cause de son coût. La culture a un prix, mais il y a un vrai enjeu de financement. Sans nouveaux modèles de financement, ce type de programmes ne pourra pas se généraliser.
Le théâtre du Châtelet avait développé un modèle intéressant en ce sens. Monia Triki dirige le développement du théâtre du Chatelet et est, par ailleurs, une véritable militante de la culture inclusive. Elle avait lancé l’opération « Robins des Bois » qui proposait au public du théâtre de faire des dons de billets à des structures associatives et scolaires. Les spectateurs pouvaient acheter des billets qui étaient offerts à des publics cibles éloignés de l’offre culturelle. C’est un bon exemple de financement hybride qui fait participer le public.
Ils pourraient être intégrés dans chaque institution culturelle. Certains le font naturellement comme l’Opéra-comique par exemple qui a une programmation inclusive avec des spectacles en audio description ou des concerts en chant-signe. Cela reste des exemples isolés ou expérimentaux.
La diversification du public est un enjeu de taille et mettre en place des programmes qui s’adaptent à la diversité des publics est une partie de la solution. Les populations qui sont éloignées des centres culturels ont tout autant besoin d’une offre culturelle. Nous devons collectivement soutenir la mise en place de véritables programmes d’égalité des chances et d’inclusion dans la culture.