Marylise Léon répond aux questions de Gabriela Martin, La Fonda.
En quoi consiste le Pacte du pouvoir de vivre (PPV) et quel rôle y jouent les différents acteurs à l’origine de sa création, parmi lesquels la CFDT ?
Le Pacte est un collectif qui compte aujourd’hui 66 organisations, aux formes (syndicats, fondations, associations, mutualité…) et aux domaines d’expertises variés (environnement, lutte contre la pauvreté, travail, éducation, jeunesse, immigration, solidarité, santé, économie sociale et solidaire…). S’y ajoutent plus de 30 groupes locaux, répartis sur tout le territoire métropolitain.
Ces organisations se sont rassemblées il y a près de trois ans autour de valeurs communes et d’un projet de convergence des questions environnementales, sociales, démocratiques et économiques. C’est un projet collectif qui propose un nouveau modèle de société.
Cette alliance inédite est un extraordinaire enrichissement mutuel. Chacune des organisations membres apporte son expertise, souvent issue d’une proximité, d’une prise directe avec les réalités vécues par les citoyens en France. Ces expertises nous ont permis de construire et de porter collectivement 90 propositions.
Nous partageons la vision d’un modèle de société que nous souhaitons pour aujourd’hui, mais aussi pour demain. Chaque organisation porte un message commun : nous prenons en compte la complexité des solutions et la nécessité de ne pas rester chacun dans son couloir si nous souhaitons apporter des propositions réalistes et concrètes pour une transition écologique socialement juste.
C’est inédit dans notre histoire que des organisations aussi diverses parviennent à s’unir de façon pérenne autour d’un projet commun aussi complet.
UNE MÉTHODE COLLECTIVE AU SERVICE D’UNE VISION COMMUNE
Comment les propositions ont- elles été construites?
Avant d’aborder le « comment », revenons sur le « pourquoi ». Depuis deux ans, nous vivons une crise sanitaire d’une ampleur inédite avec un fort accroissement des inégalités, des difficultés ou ruptures de parcours qui touchent particulièrement la jeunesse.
Nous vivons aussi une accélération des catastrophes écologiques, l’accentuation des défiances démocratiques, l’exacerbation des tensions et des replis identitaires…
Dans le même temps et depuis son lancement, le Pacte du pouvoir de vivre est passé de 19 à 66 organisations et compte aujourd'hui 35 groupes locaux.
Depuis 2019, nous n’avons cessé de travailler ensemble, nous avons publié des tribunes collectives, des contributions dans le cadre des élections — européennes, municipales, régionales — mais aussi lors des débats budgétaires au Parlement.
En bref, nous nous sommes nourris d’expertises communes.
Si les 66 propositions initiales du Pacte présentées le 5 mars 2019 n’étaient pas caduques, elles devaient être revisitées et approfondies. Nous nous sommes donc engagés dans un vaste chantier d’actualisation de notre projet commun en vue notamment de peser dans la campagne des élections nationales avec un socle solide de propositions à verser au débat public.
Nous avons pour cela organisé quatre groupes de travail, composés de représentants d’organisations du Pacte et d’experts volontaires se reconnaissant dans ses valeurs, et débuté les travaux en janvier 2021.
Chaque groupe avait pour objectif de faire des propositions concrètes sur les 4 enjeux suivants :
— Aller plus vite vers ce qui est souhaitable : comment faire advenir plus rapidement les transitions écologiques ?
— 1 emploi, 1 revenu juste, 1 logement digne pour tous, c’est possible
— Comment financer notre ambition dans la justice ?
— Comment régénérer notre démocratie ?
Un autre groupe « Éducation/Jeunesse » a été mis en place plus tard et des webinaires intermédiaires ont été organisés avec les groupes locaux.
Ces groupes de travail nous ont permis de confronter nos idées, nos propositions respectives, de discuter de ce qui faisait consensus ou non, et de décider de propositions que nous considérions comme suffisamment partagées et essentielles dans le changement de modèle que nous appelons de nos vœux.
Les propositions issues de chacun des groupes ont été envoyées progressivement à toutes les organisations, puis nous avons organisé quatre webinaires conclusifs à la rentrée 2021. Le consensus a été simple à trouver, car tout au long des travaux c’est la co-construction et la possibilité pour chacun de s’exprimer qui ont prévalu.
Quel fil directeur relie les 90 propositions ?
Nos propositions visent à concilier la nécessaire transition écologique et la justice sociale : ce que certains appellent concilier « fin du mois et fin du monde », avec en toile de fond la question démocratique. Nous ne ferons pas face aux défis colossaux devant nous en matière écologique si nous ne sommes pas guidés par cette nécessité de justice sociale et sans y associer les principaux intéressés.
Et plutôt que d’expliquer ce qu’il faudrait faire thème par thème, nous nous sommes prêtés à l’exercice de la grande complexité des réponses en les articulant les unes avec les autres.
Notre projet de société ne laisse personne au bord de la route, prend en compte la diversité et la complexité des situations vécues par chacun de nous, et offre un avenir plus désirable.
La plupart des propositions embarquent à la fois l’ambition, mais aussi les moyens : montrer qu’il est possible de concilier les enjeux environnementaux avec des propositions à hauteur de femmes et d’hommes.
Nous savons que les premières victimes de la crise climatique sont les personnes en situation de précarité. Mais nous savons aussi que les réponses à la crise climatique peuvent être vécues comme injustes.
Nous devons veiller à ce que ce ne soit pas le cas : c’est la richesse du Pacte.
QUELLE PLACE POUR LA PAROLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE ?
Avez-vous le sentiment d’une meilleure prise en compte de la société civile organisée depuis mars 2019 ?
Nous faisons le constat d’un exercice du pouvoir encore très vertical : cela n’a pas beaucoup changé depuis trois ans, hormis dans les premiers mois de la crise sanitaire où le gouvernement s’est souvenu qu’il avait besoin de nous pour prendre puis rendre effectives des mesures opérationnelles.
Mais nous constatons aujourd’hui que l’association des acteurs de la société civile organisée est à géométrie variable. Les errements autour des protocoles dans l’Éducation nationale en début d’année en sont la dernière illustration.
Avez-vous le sentiment que les partis politiques sont attentifs à vos propositions ?
Il est encore un peu tôt pour le dire puisque nous ne disposons pas aujourd’hui de tous les projets. Le Pacte devrait être considéré comme une source d’inspiration pour les candidats. Il est surprenant que ce ne soit pas toujours le cas !
En effet, nous nous appuyons sur une multitude de capteurs de la société pour bâtir des propositions concrètes et réalistes, qui répondent aux aspirations d’un grand nombre de citoyens.
Nous observons toutefois que nos thèmes sont davantage au cœur des débats que dans les premiers mois. Le Pacte rencontre tous les candidats et les équipes de campagne, se montre disponible pour creuser des propositions, débattre de points de divergence.
Les corps intermédiaires font l’objet d’une défiance croissante, palpable dans des mouvements tels que les Gilets jaunes, et dans une moindre mesure de collectifs citoyens plus informels. Quelle est la légitimité du Pacte ?
Nos organisations peuvent être jugées comme trop complexes, où l’on peut estimer qu’il serait trop difficile d’y trouver une place pour la cause défendue. Ce n’est pas toujours faux : nous avons fait ce constat au niveau de la CFDT.
Mais si certains peuvent considérer qu’il vaut mieux mener son action en dehors de nos organisations, ils sont très peu à nous faire le procès d’illégitimité. Beaucoup des organisations du Pacte sont en lien direct avec des personnes en situation de précarité, des migrants, des travailleurs en situation de précarité, des personnes en situation de handicap.
Nous sommes un relais, un porte-voix des millions de personnes qui n’ont pas la possibilité de se faire entendre autrement.
Le Pacte ne représente toutefois pas des populations spécifiques, mais porte un projet de société qui vise à ce que chacune et chacun trouve sa place.