Engagement

Club de lecture sur l'engagement #11 - Synthèse

La Fonda
Et Nadège Rodrigues, Emmanuelle Duez, Hannah Olivetti
Dans le cadre de l’exercice de prospective « Vers une société de l’engagement ? », la Fonda a souhaité ouvrir un espace de réflexions sur l’engagement : un club de lecture ! Il se réunit le premier lundi de chaque mois, pendant une heure (de 18 h à 19 h) pour partager et discuter ensemble de ressources (livres, rapports, enquêtes, interventions, podcasts, films, etc.) abordant le thème de l’engagement. Pour cette onzième rencontre, Nadège Rodrigues et Emmanuelle Duez nous ont présenté respectivement un éclairage sur le générosité des particuliers et l'engagement au travail.
Club de lecture sur l'engagement #11 - Synthèse

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LES ENSEIGNEMENTS CLÉS DE CETTE RENCONTRE

  1. Le don des particuliers est déterminé par leur niveau de ressources, leur confiance et leurs valeurs
  2. Une corrélation existe entre les comportements électoraux et les causes soutenues par le don
  3. La quête de sens au travail d’une partie des jeunes générations
  4. La nécessité de créer des ponts entre l’entreprise et le reste de la société pour agir face aux crises systémiques
  5. L’engagement au travail a profondément évolué au cours des dernières décennies

Ressource #19 – État de l’art des études sur la générosité des particuliers., par Nadège Rodrigues. 

Présentation faite par Nadège Rodrigues,  directrice études et communication à France générosités.

Mots clés #Don #Systèmes de valeurs #Générosité 

Présentation de l'intervenante 

Nadège Rodrigues est directrice études et communication à France Générosités. Il s'agit du syndicat professionnel des associations et fondations qui font appel à la générosité du public. Cette association représente, défend et promeut les générosités en France. 

Contexte sur la générosité des particuliers français 

Nadège Rodrigues partage quelques constats par rapport à la générosité des particuliers, hors legs, au profit des organisations et causes d’intérêt général. 

Une augmentation annuelle du montant de la collecte de don s'observe sauf en 2018 et avec un grand ralentissement en 2022 et début 2023, deux années marquées par une très forte inflation. 

La croissance du montant des dons  est portée par l’augmentation du montant des dons moyens par donateur. Cependant, on observe une baisse des nouveaux donateurs par organisation (-11,2% entre 2012 et 2022) et une baisse des foyers fiscaux donateurs1

La collecte du don ponctuel en ligne augmente (60% en 3 ans), tout particulièrement lors d’urgences, montrant une montée en puissance du volet numérique pour la collecte de dons.  

Les donateurs français sont en règle générale des seniors. Il existe une concentration générationnelle, avec un âge médian de 62 ans et un pic à 75 ans2 . Les donateurs sont pour la plupart des multi-donateurs. 

Nadège Rodrigues ajoute qu’une concentration économique est à l’œuvre, où les 1% les plus généreux représentent 22% de la collecte, ainsi qu’une concentration géographique avec une surreprésentation des grands centres urbains et des littoraux aisés.

Fort de ces constats, le secteur de la générosité œuvre pour élargir et diversifier la base de la générosité, afin de créer les conditions de sa croissance et renforcer son rôle de vecteur de lien social. D’ailleurs, en 20193  et en 20214 , des études ont été menées pour montrer ce que produit la générosité. Il en ressort que la générosité produit du lien social et d’importants impacts socio-économiques, par les actions qu’elle soutient et finance.

« On observe une concentration croissante de la générosité parmi les foyers fiscaux les plus aisés » indique Nadège Rodrigues.

A partir de ces constats, France générosités et Destin Commun se sont posés deux questions : « Dans quelle mesure la générosité contribue à faire société ? L’engagement par le don est-il vecteur de citoyenneté ? ». 

C’est pour documenter le lien entre générosité et cohésion sociale que Destin Commun et France générosités ont coproduit une étude « La générosité est-elle un vecteur de cohésion sociale ? Les donateurs au prisme des systèmes de valeurs »5  en 2022 pour dépasser les critères socio-démographiques habituels.

Les déterminants du don 

Il existe trois déterminants du don : les ressources économiques, qui sont déjà bien documentées, la confiance interpersonnelle et collective et enfin les valeurs. 

Les ressources économiques comme déterminant du don 

« On observe une concentration croissante de la générosité parmi les foyers fiscaux les plus aisés » indique Nadège Rodrigues. En 2013, les foyers fiscaux aux revenus inférieurs à 39k€ étaient majoritaires au sein des donateurs (51%). Cette tendance s'est nettement inversée depuis. Il existe également une corrélation positive entre générosité et niveau d’éducation et statut social.

 Selon Nadège Rodrigues, les ressources économiques n’expliquent cependant pas tout, car l’augmentation des dons n’est pas proportionnelle à celle des revenus, et ce malgré la hausse du don moyen. Le niveau de revenu n’explique pas à lui seul le niveau de générosité. 

La confiance interpersonnelle et collective comme déterminant du don 

Nadège Rodrigues rappelle que la confiance est liée au développement d’un sentiment d’interdépendance avec les autres, la perception de faire partie d’un collectif. Il existe une corrélation entre le degré de confiance en autrui et le don. 35% des personnes qui donnent à une association caritative ont confiance en autrui, contre 27% pour celles qui ne donnent pas. 

En matière de lien social de proximité, les donateurs ont tendance à être davantage impliqués dans le tissu social. 63% des personnes qui donnent à une association ont aussi l’habitude d’aider leur voisin, contre 45% des personnes qui ne donnent pas. Les donateurs sont également plus enclins que les non-donateurs à boire un verre avec leurs voisins. 

A l’échelle collective, les donateurs ont aussi tendance à avoir un niveau de confiance plus élevé, notamment dans les associations de proximité (67% des donateurs ont confiance, contre 49% des non-donateurs) ou bien encore dans les scientifiques (74% des donateurs ont confiance, contre 63% des non-donateurs).

Les valeurs comme déterminant du don 

Les donateurs sont attentifs aux valeurs défendues par les organisations, indépendamment de la cause soutenue. Il s’agit du 4ème critère d’incitation au don pour 21% des donateurs, après la transparence financière, l’efficacité des actions et la cause soutenue par l’association, indique Nadège Rodrigues. 

Les comportements électoraux influent également sur les dons. Ainsi, les électeurs de gauche et du centre-droit déclarent plus que les autres donner aux associations. Par ailleurs, s’agissant des électorats du Rassemblement national et de Reconquête, il existe une faible proportion de donateurs en leur sein, alors même qu’il s’agit de personnes aux ressources et âges variés. Quant aux abstentionnistes, le désengagement dans les urnes est corrélé au désengagement en matière de générosité. 

D’ailleurs, les causes soutenues par les donateurs varient en fonction des comportements électoraux. Les donateurs électeurs de gauche soutiennent des causes ayant trait à la justice sociale et climatique, comme la lutte contre l’exclusion et la pauvreté ou bien encore la protection de l’enfance. Les donateurs électeurs du centre, quant à eux, choisissent des causes de type « humanisme universalité », comme le soutien à la recherche médicale et l’aide aux victimes de conflits. Les dons des électeurs de droite portent sur la santé, la recherche et l’éducation, comme la protection de l’enfance. Enfin, les électeurs de droite radicale préfèrent donner à des causes liées à la protection des animaux, à l’aide aux personnes âgées et aux personnes handicapées. 

Les donateurs au prisme des valeurs 

L’étude La France en quête, réconcilier une nation divisée de Destin Commun identifie six familles de français, qui ne sont   pas constituées selon des critères économiques (niveau de revenus) ou démographiques (âge), mais en fonction des systèmes de valeurs. 

En matière de don, il existe d’importants écarts entre les familles de valeurs. Cela illustre le fait que les systèmes de valeurs sont des déterminants de la générosité, souligne Nadège Rodrigues. Pour chaque famille de valeurs, des leviers d’engagement ont été identifiés. 

En conclusion, la générosité produit du lien social par les actions sociales qu’elle soutient. Il y a tout un enjeu à diversifier le profil des donateurs afin de renforcer le caractère démocratique de la philanthropie et donc sa légitimité. En outre, l’engagement individuel nourrit un cercle vertueux, qui renforce la confiance à l’échelle individuelle et collective. 

Nadège Rodrigues observe que les pays où le don est très valorisé socialement, comme en Suède ou aux Pays-Bas, sont ceux où le don est généralisé. La normalisation du don contribue à lui conférer une image positive, et à faire progresser son potentiel. « Élargir et diversifier la base de la générosité, c’est donc créer les conditions de sa croissance, tout en renforçant la cohésion de nos sociétés » conclut-elle.

 

Ressource #20 –  Éclairage sur l’engagement au travail, par Emmanuelle Duez. 

Présentation faite par Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project, Youth Forever et Bugali.

 Mots clés : #Travail #Quêtedesens #Engagement

Présentation d'Emmanuelle Duez 

Emmanuelle Duez a fondé The Boson Project en 2012, avec la conviction forte qu’aucune transformation durable ne fonctionnera sans embarquer l’humain et engager le corps social. L’ambition est grande : accompagner   les dirigeants désireux d’enclencher une transition au sein de leur entreprise. Pour tenir cette promesse, les Bosons s’appuient sur l’expertise d’un pôle conseil qui adresse les enjeux d’organisation, de culture, d’espace de travail, de management et de leadership ; d’un observatoire, qui décrypte les évolutions de société et ses conséquences sur le travail, permettant d’avoir un temps d’avance sur ces sujets ; d’un réseau de maisons privatives pour séminaires, les Maisons Boson.

En parallèle, Emmanuelle Duez a créé Youth forever, une association qui engage les entreprises à l’égard de la jeunesse pour en faire un véritable levier de transformation, et Bugali, qui réinvente l'expérience de lecture pour les enfants. 

Engagement et travail en France

Le travail occupe toujours une place particulière dans la vie des Français, malgré la pandémie, souligne Emmanuelle Duez. Alors qu’à l’étranger les individus ont un rapport transactionnel avec le travail, ils ont en France un rapport émotionnel. Ils accordent plus d’importance au travail (92% contre une moyenne de 84% dans l’UE6 ). En même temps, ils souhaitent réduire la place occupée par leur travail (65,8% contre une moyenne de 39% dans l’UE). 

Pourtant 93% des Français ne seraient pas engagés au travail, selon le rapport « State of the Global Workplace » de Gallup de 2023, ce qui caractérise une insatisfaction des collaborateurs français. A contrario, seulement 7% des Français se déclarent engagés au travail. Pour Emmanuelle Duez, cela illustre le fait qu’engagement et travail sont deux choses différentes : l’engagement au travail ne va donc pas de soi. 

Mutation rapide de l’engagement au travail 

Emmanuelle Duez note qu’en seulement une dizaine d’années, depuis la création de The Boson project, le rapport des individus à l’engagement au travail a profondément évolué. Au début des années 2010, les salariés avaient plutôt un rapport statutaire au travail, de type « je travaille donc je suis ». Ils s’identifiaient par rapport à leur profession. 

Un rapport plus communautaire s’est ensuite développé. En travaillant dans une entreprise, la personne montre quelque chose d’elle-même. Par exemple, « je travaille chez Google, je travaille dans le luxe, etc. » observe Emmanuelle Duez. Enfin un rapport revendicateur au travail s’est manifesté, du type « quand je travaille, je vote ». La personne s’engage dans une entreprise, comme Yuka, car elle a une éthique en cohérence avec la sienne. Mais dès lors qu’elle ne l’est pas ou plus, elle n’hésite pas à devenir lanceur d’alerte et à l’afficher publiquement.

Le travail occupe toujours une place particulière dans la vie des Français, malgré la pandémie.

Rupture avec la pandémie 

« La pandémie a cassé les repères traditionnels dans le travail. Le travail est rentré dans la vie, les maisons, les couples et les familles » remarque Emmanuelle Duez. Ainsi, le travail devient véritablement imbriqué dans la vie et vient parachever ce mouvement déjà à l’œuvre avec l’avènement du numérique. 

À l’issue de la pandémie, le rapport de l’engagement au travail change de paradigme avec le « comme je vis, je travaille ». Cela s'explique par le fait que les individus ne veulent plus porter de masque au travail, il n’y a plus de frontière entre les sphères personnelle et professionnelle. 

La personne vient au travail avec ses contraintes, tout ce qui la constitue, sans chercher à les cacher, ce qui n’est pas sans soulever des problématiques managériales. « Aujourd’hui, l’engagement, la vie et le travail sont une danse à trois » relève Emmanuelle Duez. Comment les entreprises se positionnent-elles dans un tel contexte ?

 Capital engagement des entreprises 

« Pendant de nombreuses années, le capital engagement d’une entreprise était un non-sujet » rappelle Emmanuelle Duez car « c’était un acquis, voire un dû pour les dirigeants et les ressources humaines ». Or, le contexte a radicalement changé et les amène à penser l’engagement comme un actif stratégique qui doit être managé : le désengagement au travail d’une majorité de Français avec une crise de sens, l’avènement de la génération des millenials, la guerre des talents, le plein emploi, le numérique, etc.

 Certaines entreprises en France développent toute une stratégie autour de leur capacité à amplifier l’engagement au sein de leur structure, alors considéré comme un avantage compétitif. Pour ce faire, elles s’appuient sur des modèles de management où l’on fait attention à l’humain et au capital engagement. 

Les dirigeants de Leroy Merlin ont par exemple déployé le full-drive, faisant ainsi confiance aux équipes locales sur les modes opératoires à mettre en œuvre. D’autres entreprises, comme EY, se sont dotées d’un shadow comex réservé aux moins de 35 ans pour permettre aux jeunes collaborateurs de faire remonter leurs idées. 

Urgence pour les entreprises de basculer 

Pour Emmanuelle Duez, cette notion d’engagement au sein des organisations est primordiale pour adresser les enjeux climatiques et enclencher une bascule du système. En effet, aujourd’hui, les entreprises ont un poids économique considérable par rapport aux Etats. « La capitalisation boursière des Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) avoisine les 9 000 milliards de dollars, somme comparable aux PIB annuels combinés de l’Allemagne et du Japon7 ». 

En parallèle, l’humanité surconsomme les ressources naturelles que la Terre peut renouveler sur une année. Ainsi, si l’humanité vivait comme la France, il serait nécessaire d’avoir 2,8 planètes8 . Dans un tel contexte, « il est urgent d’avoir un geyser d’engagement dans les entreprises pour entraîner une bascule de la société par un effet de masse et ainsi engendrer des transformations systémiques » insiste Emmanuelle Duez. 

Un pacte générationnel entreprises et jeunesse 

À l’heure des permacrises qui se superposent, les entreprises en quête de résilience doivent considérer la question des jeunes et de leur engagement au travail. 

Fait positif, une partie des jeunes générations aspire à avoir un emploi qui a du sens. 78% des 18-24 ans interrogés n’accepteraient pas un emploi qui n’a pas de sens pour eux9 . Emmanuelle Duez estime que cette génération Z a d’ailleurs un rapport beaucoup plus exigeant à l’engagement qu’on peut le croire. « L’utilité de son engagement n’est pas définie par le regard de la société, mais par soi-même qui par essence est un regard plus intransigeant » précise-t-elle. 

Les entreprises ont donc un rôle à jouer pour accueillir comme il se doit cette volonté de s’engager au sein de son travail. C’est pour cela qu’Emmanuelle Duez a créé l’association Youth Forever, qui crée des ponts entre l’entreprise et la jeunesse. Elle défend l’idée d’un pacte générationnel où les entreprises s’engagent en faveur de la jeunesse sur les aspects suivants, en adoptant leurs postures et modes opératoires : le care (le soin), l’enable (rendre capable) et l’impact.

Ressources pour aller plus loin

  • France générosité, Baromètre de la générosité 2022, mai 2023, [en ligne]. 
  • Recherches et solidarités, La générosité des Français face au Covid, 2021, [en ligne].
  • Emmanuelle Duez, « La mutation du Travail, cette onde de choc qui bouleverse l’Entreprise », La Tribune, 16 novembre 2022, [en ligne]. 
  • Youth forever, Livre blanc pour l’Oréal, Enquête sur la responsabilité des employeurs sur la jeunesse en période de pandémie, 2021, [en ligne]. 

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Merci à l’ensemble des participants : Diane Bonifas, Yves Le Bars, Michel Nung, Jean-Pierre Jaslin, Philippe Chabasse, Agathe Leblais, Nadège Rodrigues, Emmanuelle Duez et Christel Scheffmann. 

Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti, relu par Yannick Blanc, Nadège Rodrigues et Emmanuelle Duez et mis en page par Guillemette Martin pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.

  • 1Novos pour France générosités, Baromètre de la générosité vision collective 2022, novembre 2022, [en ligne].
  • 2 Novos pour France générosités, Ibid.
  • 3France générosités, avec l’appui du cabinet KPMG, Le rôle, la place et l’utilité de la générosité dans le contrat social français, octobre 2019, [en ligne]
  • 4France générosités et KOREIS, 9 études de cas sur l’impact de la générosité, 2021, [en ligne].
  • 5 Destin commun et France générosités, Les systèmes de valeurs des donateurs, 2022, [en ligne].
  • 6 Lucile Davoine et Dominique Méda (Centre d’études de l’emploi), Place et sens du travail en Europe : une singularité française ?, 2008, [en ligne].
  • 7 Sylvain Duranton (BCG), « États et Gafam, la fin de la candeur », Les Echos, 18 juillet 2023, [en ligne].
  • 8Benjamin Laurent, « Le “jour du dépassement”, symbole de la surconsommation humaine, tombe aujourd’hui », GEO, 1 août 2023 [en ligne].
  • 9Anne Rodier et Jules Thomas,« Le rapport des jeunes au travail, une révolution silencieuse », Le Monde, 23 janvier 2022, [en ligne].
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