Illustration par le cas de l’association Défi
Par la présentation d’un cas d’association innovante de Kabylie en Algérie, ce papier vise à faire voir par une réalité vivante l’innovation sociale d’une association, dans le domaine de l’éducation et de l’insertion des inadaptés mentaux. Pour ce faire, nous présenterons brièvement le contexte algérien avant d’évoquer le cas de l’Association pour la défense, l’éducation, la formation et l’insertion des inadaptés mentaux (Défi) d’Aokas, puis les liaisons heureuses qui permettent l’émergence d’une innovation sociale par les associations en Kabylie pour enfin évoquer les principales contraintes qui contrarient les activités d’innovation par les associations.
Le contexte algérien
En Algérie, malgré le cadre juridique très fourni en lois plaidant pour l’adaptation dans l’offre des services à la diversité des situations , par exemple lorsqu’apparaît un besoin d’enseignement spécifique, ni les structures publiques ni les structures privées ne peuvent le prendre en charge. Dans le premier cas, par des questions de coûts et moyens humains et matériels, ainsi que de rentabilité. Dans le deuxième cas, par manque de savoir-faire. Le besoin des parents d’enfants avec handicaps ne peut être assumé que par des structures d’enseignement spécialisées. Des structures publiques d’enseignement spécialisé implantées dans des points centraux à forte demande ont été incapables d’y répondre. À cela s’ajoute le fait qu’elles sont peu attractives vu le contexte socioculturel particulier (la majorité des parents n’ont ni l’envie ni les moyens pour faire déplacer leur enfant jusqu’à l’infrastructure la plus proche).
C’est ainsi que, face à une école algérienne qui « exclut les enfants en situation de handicap » (Safta D., 2016) , est née une innovation sociale par la création d’une association qui prend en charge l’enseignement à des enfants avec handicaps. Au départ, pour ces associations comme pour ces centres spécialisés, le besoin reste latent, parfois même inconnu, jusqu’à ce que des parents ayant une certaine influence permettent d’enclencher la dynamique de transformation sociale. Ces parents entament alors des démarches administratives en parallèle avec un travail de sensibilisation afin d’inciter les autres parents d’enfants avec handicaps à les imiter. Ainsi, la première association de prise en charge des enfants avec handicaps de la wilaya de Bejaïa, en l’occurrence l’Association d’aide aux inadaptés mentaux de Bejaïa (AAIMB), a été créée en 1983. L’Association pour la défense, l’éducation, la formation et l’insertion des inadaptés mentaux (Défi) d’Aokas, pour sa part, « a été créée avec un groupe de parents, une trentaine qu’on appelle d’ailleurs les “ trente mères ”, tous originaires de la région d’Aokas ».
Parmi ces fondateurs, il y avait un psychologue de formation qui avait fait du porte à porte pour à la fois recenser les enfants avec handicaps de la région et sensibiliser leurs parents. Il y a donc à l’origine de cette innovation sociale, la conjugaison d’une prise de conscience, d’un vécu personnel de l’initiateur et d’une conscience de pouvoir dupliquer l’expérience, qui permettent de voir le projet de transformation sociale se réaliser. Par la suite, la diffusion de l’instruction et le travail de conscientisation ont fait que, progressivement, plusieurs parents d’enfants avec handicaps travaillent conjointement dans le cadre d’une association spécialisée pour la prise en charge adaptée de ces enfants.
Par l’importance de ses projets et de ses moyens humains et matériels, l’association Défi d’Aokas constitue un exemple illustrant l’émergence et le développement des innovations sociales par le biais des structures associatives en Algérie.
L’expérience professionnelle de l’association Défi
L’association Défi capitalise une expérience de vingt années dans la prise en charge des élèves, filles et garçons, dès l’âge de six ans, souffrant de la trisomie 21, d’infirmité motrice cérébrale, d’épilepsie, de déficience congénitale et troubles associés (comportement, concentration, trouble de la personnalité) ainsi que quelques handicaps physiques. L’association Défi possède tout un savoir-faire et une expérience dans la prise en charge des personnes avec handicaps.
Après plusieurs années d’expérience et d’apprentissage, l’association Défi projette d’assurer à ses élèves un avenir professionnel après l’âge adulte. Pour ce faire, deux nouveaux projets ont vu le jour, partiellement testés avec succès. Le premier consiste à créer un Centre d’aide par le travail (CAT) et le deuxième à aménager une ferme pédagogique.
La finalité de l’enseignement dispensé par les centres de l’association Défi est double. D’abord développer chez les élèves la prise de conscience de soi, l’autonomie et la sociabilité, pour qu’ils puissent assurer par eux-mêmes leur insertion familiale et sociale. Ensuite inculquer aux élèves la notion du travail manuel et l’habitude de travail en groupes par l’apprentissage dans des ateliers spécifiques réalisant des activités aussi variées que possible, dans l’objectif d’arriver à insérer une partie de ces adultes dans un milieu de travail protégé.
L’association Défi dispose de deux centres équipés, situés l’un à Aokas et l’autre à Taskriout. Chacun de ces deux centres permet de recevoir et de prendre en charge jusqu’à quatre-vingts élèves en demi-pensionnat, enfants issus de la plupart des communes situées à l’est de la ville de Bejaïa.
Les partenariats, facteur de faisabilité des projets d’innovation sociale
Les organisations non gouvernementales internationales constituent un élément vital pour la mise en œuvre des innovations sociales des associations algériennes. Le principal apport de ces ONG est le financement. Ainsi, à titre d’exemple, l’association Défi d’Aokas a soumis des projets de création d’une serre horticole et d’édification d’ateliers pédagogiques aux programmes ONG I et ONG II, ce qui lui a permis d’en assurer le financement à hauteur de 80 %. Le deuxième apport de ces ONG est d’inciter les associations à lancer des projets innovants socialement utiles.
Les ONG jouent aussi un rôle déterminant dans l’expertise par un travail d’évaluation des projets durant leurs phases de conception et de finalisation. Le rôle positif des ONG est évident dans l’instillation de la confiance, confiance en soi (acteurs associatifs en projet) et confiance entre soi (association et partenaires publics locaux et nationaux). L’implication d’une ONG dans un projet associatif entraîne systématiquement l’adhésion des institutions locales qui se trouvent ainsi rassurées par rapport à l’utilité et à la faisabilité du projet.
Quant aux partenariats des associations avec les pouvoirs publics, ils sont fondamentaux pour la vie associative en Algérie. Ces partenariats, parfois, constituent par eux-mêmes des innovations sociales importantes, comme c’est le cas de la convention signée par l’association Défi avec la Cnas (Caisse nationale d’assurance sociale) et la Casnos (Caisse nationale de sécurité sociale des non salariés) pour le versement par ces dernières d’un revenu sous forme d’une allocation de 500,00 DA (dinars algériens) par enfant et par jour ouvrable pour l’association. D’autre part, grâce à la coopération avec la direction de l’Action sociale et sanitaire (Dass) et l’Agence nationale de l’emploi (Anem), l’association Défi a bénéficié jusqu’à ces dernières années, de dotations en personnels spécialisés issus de ces structures publiques.
Les bénéficiaires, source d’inspiration de nouveaux projets
Si la maturation des projets est le travail de l’ensemble du groupe associatif, c’est souvent le vécu des bénéficiaires des projets de l’association qui permet d’avoir des idées prometteuses en tant qu’innovations sociales. Ainsi, pour une militante-fonctionnaire de l’association Défi : « Le facteur déclencheur ce sont les jeunes déficients que nous prenons en charge dans nos centres.
Nous avons remarqué qu’ils se montrent épanouis au moment des activités dans les ateliers, par contre dans les classes pédagogiques, on les voyait tristes et désintéressés par les activités, ce qui est logique puisque à un certain âge, le coefficient intellectuel stagne. Puis petit à petit, l’idée est venue de créer quelques ateliers d’apprentissage et de ferme pédagogique. Par la suite, toute l’équipe, éducateurs, psychologues, orthophonistes, responsables, se sont mis à mûrir les idées puis à les concrétiser sous forme de projets. »
Le don
Les associations algériennes doivent faire face à l’administration et aux pouvoirs politiques en matière d’autorisations d’activités, de subventions, etc. Du coup, certaines se trouvent obligées de gérer de multiples contraintes qui, inévitablement, amoindrissent les résultats de leurs activités. Celles qui parviennent tant bien que mal à tenir sur le terrain le peuvent par le don.
À titre illustratif, l’association Défi a décroché, suite à un appel à concours, une convention de cofinancement de projets dans le cadre du programme de développement communautaire participatif. Signée le 15 juin 2015, cette convention devait permettre le financement du projet de mise en place d’ateliers pédagogiques. Afin de pouvoir bénéficier de cette subvention, l’association devait participer au financement du projet avec une quote-part de 400 000 DA, ce dont elle ne disposait pas. Cette somme a été généreusement octroyée par un donateur privé.
Les contraintes
Il y a une multitude de contraintes qui rendent les activités et les projets de l’association Défi difficilement réalisables. Ces contraintes résument l’essentiel des difficultés dont souffrent la plupart des associations algériennes actives dans le domaine de la prise en charge des personnes avec handicaps.
Le désengagement de la société et des parents
Le premier obstacle des associations de prise en charge des personnes avec handicaps est le désintérêt des parents et de la société civile. Cet obstacle est ressenti par les membres de l’association Défi au point que son président considère que l’association travaille d’abord pour que « le défi d’amener les parents des enfants avec handicaps et la société civile à s’impliquer activement et positivement soit relevé ».
Les lourdeurs administratives
Les associations algériennes doivent suivre un processus complexe pour pouvoir déposer un conséquent dossier de demande de subvention auprès des autorités locales (depuis la demande de subvention auprès d’un commissaire aux comptes, la certification des bilans, jusqu’au dépôt final du dossier en double exemplaire au niveau du service concerné).
La faible implication des autorités locales
Les autorités locales promeuvent dans la quasi-totalité des communes algériennes les associations sportives, notamment celles liées au football, accaparant l’essentiel des subventions des Assemblées populaires communales (APC). L’association Défi n’a pas reçu la moindre subvention, en dépit d’une prise en charge des handicapés issus de leur commune. Quoique sollicitées depuis une dizaine d’années pour l’octroi d’une parcelle de terrain en vue de l’installation d’une serre horticole et pour l’édification d’ateliers pédagogiques, les autorités locales n’ont versé aucune subvention à l’association Défi ce qui l’a obligée à se tourner vers le privé.
Conclusion
Les innovations sociales par les associations en Algérie sont en butte à la difficile convergence de facteurs liés aux ressources, aux compétences, à la compréhension des besoins, à l’expérience et à la coopération, nécessaires à la réalisation de solutions de satisfactions de besoins spécifiques. Les bonnes volontés font face à des obstacles de tous ordres et se battent pour parvenir à leurs fins.