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Vers un revenu universel d’ existence ?

Tribune Fonda N°235 - Revenu universel : cartographie d'une controverse - Septembre 2017
Hugues De Jouvenel
Hugues De Jouvenel
Au-delà du climat délétère qui a entaché la campagne présidentielle française 2017, quelques sujets de fond ont marqué les débats, parmi lesquels la mise en place d’un revenu universel. 
Vers un revenu universel d’ existence ?

Portée par le candidat socialiste à l’élection, Benoît Hamon, cette idée d’une allocation octroyée à tout citoyen sans condition ni contrepartie, afin de lui garantir un revenu minimal chaque mois, n’est pas nouvelle et la revue Futuribles s’en est fait l’écho à de nombreuses reprises depuis une trentaine d’années.


Histoire d’une idée

Benoît Hamon, candidat du parti socialiste à l’élection présidentielle en France, a inscrit à son programme la création d’un « revenu universel d’existence ».

Plus précisément, il a affirmé vouloir, dès 2018, augmenter de 10 %, à hauteur de 600 euros, le revenu de solidarité active (RSA) et, la même année, instaurer un revenu d’existence au profit de tous les jeunes de 18 à 25 ans, quel que soit leur niveau de ressources. Il a indiqué qu’une « grande conférence citoyenne permettra [ensuite] de fixer le périmètre de ce revenu universel […] qui devrait être étendu à l’ensemble de la population ».

Ainsi a resurgi une idée qui a fait depuis longtemps des apparitions furtives dans l’histoire intellectuelle de l’Occident. Encore plus que le socialiste utopique Charles Fourier, c’est sans doute Thomas Paine, l’un des grands auteurs classiques de la pensée libérale et l’un des principaux idéologues de la révolution américaine, qui peut prétendre au titre de précurseur de l’allocation universelle1 . Il plaide en effet, en 1796, pour le droit à un revenu absolument inconditionnel.

Comme l’explique fort bien Philippe Van Parijs2 , philosophe et économiste belge qui fait autorité sur le sujet depuis bien longtemps, l’idée sera ensuite reprise par de nombreux auteurs, depuis Herbert Spencer jusqu’à la proposition de « dividende social »  défendue pendant la Seconde Guerre mondiale par la libérale britannique Juliet Rhys-Williams, qui l’emprunta elle-même à un économiste polonais, Oskar Lange.

Il y aurait certes beaucoup à dire sur les fondements différents sur lesquels s’appuient alors les partisans de l’allocation universelle, du dividende social ou d’un revenu universel. Le sujet est très intéressant et se trouvera au cœur de la « First International Conference on Basic Income » organisée en septembre 1986 à Louvain-la-Neuve, à l’initiative du collectif Charles Fourier.

Pourquoi à ce moment là ? C’est l’année de sortie du livre Le Participat. Réconcilier l’économique et le social, dont les auteurs, Philippe Guilhaume et le professeur Yoland Bresson, animeront par la suite, avec l’économiste Henri Guitton, un groupe de travail (qui s’est longtemps réuni au sein de l’association Futuribles International) sur l’idée  l’une allocation universelle.

C’est aussi le moment où André Gorz, très attaché à l’allocation universelle sous réserve de bien souligner la différence entre « sa version de droite et sa version de gauche3  », fait un grand nombre d’émules.

Entre les différents partisans de l’allocation universelle, l’espace est très ouvert à une multitude de propositions, non seulement en France mais dans un grand nombre de pays européens.

Qu’il me soit permis à cet égard de reprendre le texte de mon éditorial de la revue Futuribles de février 1994 entièrement consacré à ce sujet.


Controverse sur le revenu minimum


La vieille idée de Thomas Paine d’octroyer à chaque citoyen un revenu minimum refait surface et semble séduire de plus en plus de personnes qui considèrent que l’adoption d’une telle mesure permettrait de remédier au développement de l’exclusion et de la pauvreté en partageant de manière plus équitable et efficace la richesse nationale.

Sous des termes différents (allocation universelle, revenu minimum, revenu de citoyenneté), il est ainsi proposé de verser à chacun, de la naissance à la mort,
sans condition ni contrepartie, un revenu de base qui, aux dires de ses partisans, le mettrait plus ou moins à l’abri du besoin.

Mesure qui s’impose d’autant plus, soulignent les uns, que le revenu national s’accroît tandis que le volume de travail diminue et qu’en l’absence de partage de l’emploi, le chômage ne peut qu’augmenter, entraînant un dramatique effet d’exclusion.

Mesure d’autant plus nécessaire, disent les autres, que la multiplication des allocations de toute sorte finit par rendre le système de protection sociale ingérable et que, d’une manière plus générale, les coûts salariaux – résultant du salaire minimum et des prélèvements obligatoires – font obstacle à la création d’emplois aussi bien traditionnels qu’au sein des services d’utilité collective qu’il serait utile de développer.

Au-delà de l’apparent consensus qui semble régner parmi les partisans du revenu minimum, les conceptions diffèrent.

Les plus radicaux invoquent l’équité pour prôner le partage de notre important patrimoine, pour partie hérité, pour partie produit par des hommes et par des machines qui, de plus en plus, tendraient à les supplanter. Les autres arguent de la complexité et du coût d’une législation sociale qui feraient obstacle à la création d’activités et d’emplois, pour suggérer que l’on substitue à des allocations trop nombreuses une prestation unique avec ou sans contrepartie de travail qui, à défaut d’être productif de plus-values monétaires, serait générateur d’aménités et donc de bien-être collectif.

Toute la question est alors de savoir comment estimer le patrimoine à partager, si l’allocation proposée viendrait compléter ou se substituer aux prestations existantes, quel pourrait être son montant et quelles conditions devraient remplir les bénéficiaires.

Les propositions en la matière sont finalement fort diverses, mais aucune n’est exempte de critiques : leurs détracteurs ne manquent pas ainsi de souligner que – indépendamment même des difficultés inhérentes à son mode de calcul – ledit revenu minimum, au pire risquerait de devenir un substitut au droit au travail, qui pourtant confère aux individus non seulement un salaire mais aussi une insertion sociale, bref qu’il conforterait l’exclusion sociale (nous donnant bonne conscience en raison de l’aide octroyée à ses victimes) ; au mieux susciterait la création d’un marché dual du travail en permettant la création de petits boulots correspondant à des emplois faiblement qualifiés que l’on sous-paierait et à des activités vernaculaires qui deviendraient l’objet d’échanges monétaires.

Sans même mentionner ici la simple substitution que l’on pourrait opérer entre les prestations actuelles et le revenu minimum, ce qui – dit en passant – impliquerait que l’on sache distinguer celles qui relèvent d’une logique redistributive de celles qui relèvent d’une logique assurantielle.

Pour l’essentiel cependant, le débat porte sur l’opportunité de dissocier l’octroi d’un revenu de l’exigence d’effectuer un travail, et sur le rôle même du travail, pierre angulaire de tout notre édifice social, instrument privilégié d’accomplissement personnel.

Si les critiques adressées au revenu minimum (ou de citoyenneté) ne peuvent manquer de frapper nos lecteurs, il n’en demeure pas moins saisissant de voir le chômage et l’exclusion sociale se développer à un niveau intolérable et potentiellement explosif.

Tout le monde s’accordera pour reconnaître qu’une croissance économique plus forte serait bienvenue, mais les options diffèrent sur son contenu en emplois et sur l’opportunité d’un nouveau partage en espèces (par exemple, au travers d’un revenu minimum) ou en nature (par exemple, le partage de l’emploi).



Cet article a été initialement publié dans la revue Futuribles n° 418, mai-juin 2017, pages 69 à 74.



Bibliographie de l'article

Les références correspondent à des articles publiés sur le site de Futuribles :
  • 1Paine Thomas, « Agrarian Justice Opposed to Agrarian Law and to Agrarian Monopoly; Being a Plan for Meliorating the Condition of Man, by Creating in Every Nation a National Fund », in Thomas Spence, William Ogilvie et Thomas Paine, The Pionners of Land Reform, Londres : Bell & Sons, 1920, p. 179-206.
  • 2Van Parijs Philippe, « Quel destin pour l’allocation universelle ? », Futuribles, n° 106, janvier 1987, p. 17-31.
  • 3 Gorz André, « L’allocation universelle : version de droite et version de gauche », La Revue Nouvelle, n° 81, avril 1985, p. 419-428 ; et « Qui ne travaille pas mangera quand même », Futuribles, n° 101, juillet-août 1986, p. 56-74.
Analyses et recherches