Propos recueillis par Anna Maheu, La Fonda.
Comment est né l’Archipel ?
Nous avons hérité d’une structure plus ancienne : Entre les mailles. Ce collectif de réalisateurs et de réalisatrices a vu le jour en 2009, nourri par une envie de se soute-nir dans leurs réalisations, se donner des conseils, se prêter du matériel, etc. Entre les mailles se développant, il a donné lieu à d’autres projets associatifs dont l’Archipel.
Des membres d’Entre les mailles, dont je faisais partie, se sont concentrés sur les activités d’éducation aux images. Nous souhaitions rendre la pratique audiovisuelle accessible au plus grand nombre, faire découvrir ce langage qui nous passionne et en transmettre la maîtrise à d’autres.
Aujourd’hui, les intervenants d’Archipel viennent-ils toujours de l’audiovisuel ?
En effet, c’est une particularité de notre association : nos intervenants sont des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel et aucun d’entre eux ne travaille exclusivement pour l’Archipel. L’activité de création personnelle des artistes nourrit leurs interventions et inversement, la rencontre avec le public enrichit leur œuvre.
Notre équipe est composée d’une dizaine de membres, avec des univers et des compétences diverses. Certains viennent plutôt de la fiction, d’autres nagent dans les eaux du documentaire ou du cinéma d’animation.
Leurs compétences varient également : un de nos documentaristes est ingénieur du son de formation, un de nos réalisateurs a été chef opérateur, un autre a un passé de monteur, etc. Cela nous permet aussi de faire connaître une diversité de métiers du cinéma à nos publics.
Quels sont les ingrédients pour qu’une médiation culturelle se passe bien ?
C’est une question que nous nous reposons régulièrement. Une des premières clés est de partir de ce que les participants ont envie de dire.
Le cinéma est un langage qui permet de s’exprimer autrement.
L’atelier est un espace recherché d’échanges, surtout pour des personnes qui ne sont pas écoutées habituellement. Nous travaillons beaucoup dans les Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
Leurs habitants souffrent des images médiatico-politiques, qui selon eux ne sont représentatives ni de leurs quartiers, ni de leurs vies. Les ateliers artistiques sont des occasions d’autant plus précieuses de monter ce qu’ils ont envie de faire voir, faire entendre.
Créer un engagement chez la personne est donc fondamental, mais d’autres facteurs vont jouer. La régularité est importante. Malheureusement des structures comme la nôtre n’ont que des financements sporadiques. Malgré les soutiens dont nous bénéficions, notamment de la Métropole de Lyon pour les interventions dans les collèges et de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour les lycées, nous n’allons dans les classes que ponctuellement, une à deux fois dans l’année.
Nous avons monté ces dernières années « Rencontre de genres ». Dans ce cadre, nous avons accompagné des collégiens chaque semaine, sur un mois et demi qui réfléchissent à la question de l’égalité homme-femme grâce au visionnage de court-métrages. Les modifications dans les manières de penser des élèves étaient impressionnantes, nous aimerions proposer cet atelier dans les lycées, mais nous n’avons pu le faire pour l’instant faute de moyens financiers.
Comment se passent vos interventions en milieu scolaire ?
Nous essayons d’instaurer un cadre différent, qui n’est pas académique. Par exemple, à la fin de nos interventions dans les classes, il n’y a pas d’évaluation notée. Certains élèves, qui pouvaient être en difficulté scolaire, se révèlent au sein de nos activités de création, parce que ce n’est pas la même chose qui est attendue d’eux. Le rapport qui s’instaure est forcément différent de celui de l’enseignant.
Un tournage est aussi une expérience extrêmement collaborative, où tout le monde a une fonction.
Créer un film fait appel à diverses sensibilités. Le temps d’écriture ira à ceux qui aiment imaginer quand d’autres auront plaisir à prendre en main les appareils techniques. Certains, en revanche, auront envie de s’exprimer face à la caméra. Des dynamiques de groupe assez intéressantes naissent ainsi.
Le cinéma, et l’audiovisuel en général, peut-il permettre de créer du lien social ?
Dès son origine, les opérateurs Lumière étaient envoyés aux quatre coins du monde pour nous rapporter des images de ce qui se passait ailleurs.
Et déjà, cela créait un lien avec l’altérité, avec ce qu’on ne voyait pas, ce qui nous ressemblait moins, parfois ce qu’on ne comprenait pas bien. Le cinéma muet pouvait avoir une dimension universelle, Chaplin notamment. Je pense que chaque film qui nous fait ressentir des émotions sur une situation humaine qu’on ne vivra sûrement jamais nous permet d’entrer en connexion avec les autres.
Le médium cinématographique porte en lui cette possibilité de nouer des liens.
À Saint-Genis-Laval, nous avons proposé des ateliers artistiques sur l’égalité homme-femme. S’y sont rencontrées des personnes qui n’ont pas du tout l’habi-tude d’échanger, parce qu’elles n’ont pas le même âge, qu’elles ne viennent pas du même milieu socio-économique, etc. Pourtant, toutes se retrouvent autour d’une création collective, où chacun et chacune va apporter quelque chose et avoir le droit à la parole.
Ce type d’ateliers culturels permet-il aussi de se libérer d’une autocensure face à d’autres formes artistiques ?
Tout à fait ! Par exemple, nous avons lancé en 2020 le projet « Moi, une œuvre », avec six adolescents du Service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) Emmanuel Gounot. Cet établissement médico-social de la Sauvegarde 69 est situé au cœur du quartier des Minguettes à Vénissieux.
Accompagnés du documentariste Yves Bourget, ces jeunes devaient partir d’une émotion personnelle pour réaliser un court métrage de 6 à 11 minutes.
Pour qu’ils explorent cette émotion, nous avons organisé une visite au Musée des Beaux-arts de Lyon. Ils y découvraient des œuvres faisant écho à l’émotion qu’ils étaient en train de travailler.
Quand nous avons proposé ce passage au Musée des Beaux-Arts à l’équipe du SESSAD, ils avaient quelques réserves qui peuvent se résumer par : « est-ce que ça va parler à ces adolescents ? ». En effet, ce n’est pas du tout leur milieu culturel et ils n’ont pas l’habitude de fréquenter ce genre d’établissement. Le centre-ville de Lyon semble loin depuis Vénissieux, qui est complètement en périphérie.
Pourtant chacun des jeunes a fait cette visite au Musée : ils se baladaient, contemplaient les œuvres et donnaient leur avis sans autocensure. C’est dans ces moments qu’on observe la force des projets culturels ou artistiques.
L’éducation artistique et culturelle est fondamentale. Même si nous avons un système unique au monde, qui nous permet d’avoir un art cinématographique vivant, l’intérêt de la culture est de temps en temps mis en doute. Parfois considérée comme non essentielle, la culture fait pourtant la richesse d’une société. Nous le consta-tons quotidiennement dans nos projets.