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Revenu de base : la révolution sociale du XXIe siècle

Tribune Fonda N°235 - Revenu universel : cartographie d'une controverse - Septembre 2017
Sébastien Groyer
Sébastien Groyer
En quoi le revenu de base peut-il être un outil de libération des individus et le vecteur d’une transformation profonde de notre modèle de société, pour mieux l’adapter aux transformations économiques, sociales et technologiques ?
Revenu de base : la révolution sociale du XXIe siècle

Les propos de Sébastien Groyer ont été recueillis par Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.


La rédaction : Pouvez-vous présenter en quelques mots le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) et la vision qu’il défend ?

Sébastien Groyer : Le MFRB a été créé il y a quatre ans et compte environ 800 membres. Nous sommes basés un peu partout en France, avec des cercles locaux autonomes qui organisent leurs événements et les démarches de promotion du revenu de base, dans une approche de type éducation populaire. Il existe une charte du MFRB, disponible sur Internet.

L’association est ouverte, et défend une pluralité de propositions, qui toutes respectent cependant quatre conditions : un revenu universel, perçu par tout le monde ; un revenu inconditionnel, touché quoi qu’il arrive et sans contreparties ; un revenu individuel ; un revenu cumulable, auquel on puisse additionner des salaires, des revenus de propriété, des indemnités sociales… Le revenu de base doit être un socle social basique, sur lequel les individus peuvent s’appuyer toute leur vie. Nous parlons de « revenu de base » en traduction de « basic income », mais nous n’opérons pas de distinction entre revenu de base et revenu universel.


La rédaction : Le débat sur le revenu universel, lors des présidentielles de cette année, a été associé à la question de la fin du travail. Est-ce la bonne approche ?

Sébastien Groyer : Il était déjà question de fin du travail au XIXe siècle. Cette idée a retrouvé un regain de popularité il y a une vingtaine d’années, avec le livre de Jérémy Rifkin intitulé La Fin du travail. Ces questions se posent beaucoup également dans la Silicon Valley. La robotique et les gains de productivité liés au numérique sont des déclencheurs du renouveau de la discussion sur le revenu de base.

L’argument de la robotique pour la fin du travail est vrai et faux. Quand on regarde les deux derniers siècles d’évolution économique, on observe une baisse du temps de travail et une hausse des salaires. On observe également une mutation des métiers, avec une économie passée du primaire au secondaire, puis au tertiaire, qui représente 75 à 80 % des activités de nos sociétés. Or, les métiers du tertiaire sont en train de connaître une mutation à leur tour, se voyant remplacés par des robots ou des algorithmes : un conducteur de voiture, mais aussi un serveur, un gardien pourront être remplacés par un robot qui fera aussi vite, voire plus vite et aussi bien, voire avec une meilleure performance.

Face à ces évolutions, il faut se demander quelles tâches pourront être confiées aux personnes dont les emplois ont été détruits et comment les rémunérer. On voit arriver un nouveau secteur, que j’appelle quaternaire, le monde de la créativité (artistes, chercheurs, entrepreneurs…). Mais comment vont se transférer les gains de productivité  et les revenus dans les sociétés ? Il serait problématique que cette mutation ne bénéficie majoritairement qu’à quelques créateurs de start-up, ingénieurs, investisseurs ou actionnaires.

Le revenu minimum s’impose alors comme une réponse, en offrant un socle qui permet de refuser un mauvais emploi pour plutôt créer le sien ou entreprendre une autre activité qui autrement ne permettrait pas de vivre. Un autre argument économique est que par un socle assez élevé de revenu de base, on va limiter la prise de risque à l’embauche de l’entreprise.

Elle aura à payer la différence entre le salaire actuel et le revenu minimum : à l’embauche la prise de risque est beaucoup plus faible. C’est une fluidification dans notre système d’embauche rigidifié.


La rédaction : Avec les mutations de l’emploi, les trajectoires des individus ne sont plus rectilignes, mais faites de succession de périodes d’activités, plus ou moins intenses et de nature variée, et d’inactivité. En quoi le revenu universel constitue-t-il une réponse ?

Sébastien Groyer : Dans un monde en mutation l’adaptabilité est très importante. Depuis quelques années, on entend parler des slashers, qui sont les personnes qui  mènent plusieurs activités en parallèle. Non seulement, contrairement aux générations précédentes, nous sommes appelés à changer de métier régulièrement, mais nous aurons à mener plusieurs activités en parallèle.

Cette mutation n’est pas intrinsèquement mauvaise, car elle invite les individus à se réinventer et s’épanouir. Mais si vous n’avez pas de sécurité, le risque est de voir se multiplier les personnes contraintes de réaliser plusieurs activités ingrates pour survivre.

Le revenu minimum résout en partie ce problème, car le socle permet d’arbitrer sur des temps partiels, des périodes de formation pour d’autres activités…
Il permet de faire des choix d’arbitrage, en offrant une sécurité qui garantit que l’on ne se retrouvera pas dans la misère. 

Nous souhaiterions que le revenu universel soit inscrit dans la Constitution, au même titre que le droit à la liberté, car celle-ci n’est possible que grâce à un minimum de revenu distribué par la communauté. Une société qui ne redistribue pas significativement ses biens se fracture et la violence apparaît.


La rédaction : Le revenu universel n’est-il pas avant tout un changement de fiscalité, une façon de redistribuer et partager la richesse collective ?

Sébastien Groyer : C’est avant tout un changement de conception de la société, mais qui pose très vite la question de la fiscalité. Plusieurs approches sont proposées au sein du MFRB : augmentation des impôts sur les performances des entreprises ; émission de nouvelles monnaies ; financement par la TVA, qui a ma préférence…

La TVA permet de ne pas taxer les entreprises sur leurs coûts de production, ce qui offre un intérêt de compétitivité, mais aussi d’alignement de l’entreprise et de l’État. Elle permet également de dire que la consommation va payer le revenu minimum, ce qui installe un cercle vertueux entre ces deux flux. Enfin la TVA permet de mettre à contribution nos importations.

Il faudrait réfléchir à une taxation plus intéressante de l’énergie, de l’immobilier et évidemment de la consommation différenciée des biens, avec des taux différents de TVA selon les types de produits, comme cela se fait déjà.


La rédaction : Les transformations induites par le revenu universel pourraient-elles entraîner des transformations de notre modèle économique, avec de nouveaux modèles de production, de nouvelles formes d’organisation dans le travail… ?

Sébastien Groyer : Il y a une dimension humaniste dans le revenu de base, qui est de parvenir à bâtir une société plus heureuse, en permettant aux gens d’être satisfaits de leur vie, en ayant la possibilité de la choisir plutôt que de la subir.

Dans le dynamisme qu’il promeut, le revenu de base est à relier aux transformations de l’entreprise, par exemple la remise en cause de la hiérarchie par la distribution de l’organisation.

Des évolutions telles que l’imprimante 3D vont permettre de relocaliser la production, tandis que la production pourra s’organiser en rassemblant dans des petites unités des personnes éloignées géographiquement.

Il est possible d’imaginer des agglomérations de PME et TPE, travaillant ensemble sur des systèmes, sur le modèle de l’open source, où chacun travaille à la constitution d’un socle qu’il va ensuite pouvoir perfectionner dans son environnement.

Un monde de la décentralisation émerge. On le voit de façon indirecte au travers des Gafa, ces géants de notre économie moderne occidentale, qui ne sont pas de gros employeurs mais qui favorisent un nombre important d’emplois dérivés. Ce sont de nouveaux modèles de coopération, où une idée qui émerge à un endroit du monde va favoriser l’émergence d’autres entrepreneurs partout dans le reste du monde.

Je vais citer Marx puisque ici marxisme et libéralisme se rejoignent. Marx voyait la bonne société comme un endroit où les gens pouvaient choisir le matin une activité, l’après-midi une autre et le lendemain encore autre chose.

Une société transformée par l’association de la révolution technologique à l’instauration d’un revenu de base permettrait ainsi par exemple de se consacrer à une activité artistique, d’avoir une activité de production avec une imprimante 3D, de donner un peu de son temps pour des services à la personne et de mener des réflexions sur des sujets politiques dans un cadre associatif.

Le revenu de base est la révolution sociale du XXIe siècle, qui doit transformer l’État-providence, l’adapter à la mondialisation et aux transformations dues à la
robotique, tout en répondant aux problématiques d’insertion et de libération économique des individus créatifs du quaternaire.

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