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Ressource #22 : État de l’art sur l’engagement dans les territoires ruraux, par Éric Rossi
Présentation par Éric Rossi, conseiller Europe et territoires à Familles rurales.
Mots clés #Engagement #Ruralités #Associations
Présentation de l’intervenant
Éric Rossi est salarié depuis 26 ans à Familles rurales. Il s’agit d’une association reconnue d’utilité publique qui agit en faveur des familles sur tout le territoire, en milieu rural et périurbain. Ce Mouvement familial associatif est composé de 1850 associations locales et 121 000 familles adhérentes.
Pluralité de territoires ruraux
Pendant longtemps, les territoires ruraux ont été définis en creux par rapport à l’urbain jusqu’en 2020. L’Insee a depuis une définition plus positive. Les territoires ruraux représentent 90 % de la surface française, 88 % des communes en France (soit plus de 30 000 communes), 33 % de la population française . « On ne peut pas parler d’un milieu rural au singulier, il y a une hétérogénéité des territoires ruraux. Il existe toute une continuité avec des nuances entre les campagnes des villes, le périurbain et l’hyperruralité avec de très petits villages », indique Éric Rossi.
L’espace rural est de plus en plus multifonctionnel, pouvant ainsi influer sur les représentations et les modalités d’engagement des acteurs. La vision productive des agriculteurs n’est, par exemple, pas nécessairement partagée par ceux qui espèrent protéger les espaces naturels ou ceux qui sont dans une dynamique résidentielle sans y travailler. Ces représentations peuvent être conflictuelles. Pour Éric Rossi, des personnes avec des représentations variées du milieu rural cohabitent.
Tout ceci est le fruit d’une évolution au cours du temps des territoires ruraux. « Nous sommes passés d’une France paysanne à une France agricole que nous connaissons depuis ces dernières décennies. Aujourd’hui, dans la France rurale, l’activité agricole n’est plus toujours structurante et dominante » observe Éric Rossi.
Transformations dans les territoires ruraux
Selon Éric Rossi, la transformation lente et profonde du monde rural depuis la Seconde Guerre mondiale s’observe sur deux aspects.
Sur le volet économique et professionnel, les territoires ruraux font face à une mutation de l’agriculture, ainsi qu’à une désindustrialisation. Il se développe également une économie résidentielle dans les zones attractives et une tertiarisation des activités.
Quant au volet sociodémographique et sociologique, les territoires ruraux connaissent une perte d’homogénéité des habitants. « Le phénomène d’exode rural vers les villes s’est inversé avec l’arrivée de nouveaux habitants dans les territoires ruraux les plus attractifs », remarque Éric Rossi. Une homogénéisation des modes de vie urbains et ruraux est à l’œuvre, bien que les habitants des territoires ruraux soient confrontés à des problématiques particulières, notamment en matière d’accessibilité aux équipements et aux services.
Une culture de l’engagement ancrée dans l’histoire
Le milieu rural a toujours été une terre d’engagement, tout en ayant des influences variées. Les mouvements associatifs toujours en action en sont une illustration, car ils sont souvent à la croisée de ces différents héritages : confessionnel, politique, syndical, etc. Les gens s’y construisaient une identité grâce à leur implication dans ces sphères.
L’engagement en milieu rural trouve notamment ses racines dans la paysannerie. Dans les communautés villageoises héritées du Moyen-Age, le village était perçu comme une extension de la famille. « Dans ce cadre, il y avait le déploiement de valeurs d’entraide, de solidarité, de convivialité. On l’a vu un peu reparaître dans les moments de crise, notamment en 2020 avec la crise liée au COVID-19 avec des solidarités de proximité, de voisinage qui se sont réactivées de manière quasi naturelle, mais en dehors de la vie associative classique structurée », poursuit-il.
En milieu rural, il existe une permanence du syndicalisme agricole, hérité de l’agrarisme du XIXe. Il se fonde sur la défense du monde paysan et de l’activité économique. Il se présente sous différentes formes et défend des modèles d’agriculture variés jusqu’à aujourd’hui.
Une autre influence propice à l’engagement est celle du catholicisme social. Il s’agit d’une tradition chrétienne plus humaniste, qui avait son pendant aussi en milieu rural laïc républicain avec, par exemple, la Ligue de l’enseignement. « Un mouvement a joué un rôle clé, et ce pour plusieurs générations engagées dans l’après-guerre dans les territoires ruraux : la Jeunesse agricole catholique (JAC), apparue en 1929 », rappelle Éric Rossi. Elle revendiquait une tradition ancrée dans l’éducation populaire, avec un espace d’engagement, ainsi qu’une école de formation.
Une vitalité associative maintenue
L’engagement en milieu rural se manifeste notamment dans un tissu associatif dense. Les associations ont toujours un rôle essentiel et structurant dans ces territoires. Éric Rossi rappelle, cependant, qu’en termes quantitatifs, voire qualitatifs, il est toujours difficile de mesurer cette présence des associations en milieu rural. « Dans les publications sur le paysage associatif français, on trouve assez peu de traitements spécifiques de la ruralité. On peut trouver des exemples locaux qui témoignent d’une vitalité. Mais il n’y a pas de statistique officielle qui permette de recenser le nombre précis d’associations dans ces territoires », déplore-t-il.
La récente enquête de Recherches & solidarités permet de tirer certaines conclusions statistiques avec l’identification des départements où se créent des associations sur des champs d’activité variés. Par exemple, plusieurs territoires ruraux, dont la Lozère et le Lot, sont parmi les départements qui créent le plus d’associations culturelles. Il en va de même pour la Haute-Saône et la Haute-Marne s’agissant de la création des associations sportives ou le Cher et la Meuse s’agissant de la création d’associations de loisirs et de culture. Autre élément montrant la vitalité associative dans les territoires ruraux selon Éric Rossi : 37 % des 500 000 inscrits sur la plateforme jeveuxaider.gouv.fr habitent en milieu rural .
Dans les territoires ruraux, l’Économie sociale et solidaire (ESS) a un poids socio-économique important. L’action sociale est motrice de l’ESS en milieu rural. L’ESS joue un rôle important grâce aux associations rurales et aux coopératives agricoles et représente 14 % de l’emploi rural contre 10 % dans les territoires urbains .
Un engagement associatif plus gestionnaire
Malgré une vitalité associative, Éric Rossi souligne des transformations dans le bénévolat en milieu rural. Un certain déclin de la dimension militante s’observe depuis une vingtaine d’années avec le développement d’associations gestionnaires de services à la population ou de services publics. Elles utilisent cependant toujours le registre des revendications compte tenu du particularisme territorial. Ces revendications portent sur les conditions de vie et sur la vie quotidienne en milieu rural, par exemple sur les transports, l’accessibilité des services, le pouvoir d’achat en milieu rural.
Toutes ces évolutions ont des répercussions sur l’engagement associatif : les profils, les motivations, les modalités et les durées de l’engagement. Éric Rossi observe une réduction des durées d’engagement, qui avant pouvaient s’étaler sur plusieurs décennies, une distanciation des responsables associatifs vis-à-vis de l’agriculture et des agriculteurs, une distanciation des associations de la religion. Les engagements confessionnels deviennent de plus en plus marginaux. Familles rurales a par exemple une tradition humaniste chrétienne, a inscrit sa laïcité dans ses statuts en 2013.
Comme le monde associatif en général, les associations rurales connaissent un vieillissement des dirigeants et de l’encadrement, un fort turn-over des jeunes responsables, ainsi qu’une féminisation des responsables dans les associations agissant dans l’action sociale ou familiale.
La vie associative classique en milieu rural
Dans les territoires ruraux, les grands réseaux historiques existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et sont toujours bien présents. Parmi ces mouvements : Familles rurales qui propose des services aux familles, les Foyers ruraux qui sont spécialisés en animation locale, l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR), les Maisons familiales rurales ou encore le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC). Ils regroupent plusieurs centaines de milliers d’adhérents et des dizaines de milliers de bénévoles.
En parallèle, une myriade d’associations indépendantes, non affiliées, agit en milieu rural, relève Éric Rossi. Elles reposent sur l’engagement bénévole pour agir dans l’animation locale, proposer des activités socioculturelles, etc.
Éric Rossi observe un intérêt croissant des associations de solidarité et caritatives pour la ruralité, comme la Croix rouge française, le Secours populaire ou Emmaüs, suite à la crise financière de 2007-2008 et qui s’est amplifié depuis la crise liée au CODIV-19. Par ailleurs, depuis plusieurs années, de nouvelles organisations veulent développer l’engagement en milieu rural. C’est le cas de InSite qui envoie des jeunes volontaires vivre en milieu rural ou Bouge ton Coq qui fédère les acteurs ruraux pour construire des solutions locales. « Dans cette constellation de mouvements, les bénévoles ont des doubles voire des multiappartenances », note Éric Rossi.
L’engagement (invisible) des élus ruraux
« L’une des premières formes d’engagement en milieu rural est l’engagement politique des élus locaux. C’est un engagement de proximité et d’intérêt général, souvent apolitique et sans étiquette », insiste Éric Rossi. Il y a 567 000 élus locaux dans les territoires ruraux. 50 % des communes françaises comptent moins de 500 habitants et dans ces communes-là, le premier des bénévoles, c’est le maire et l’équipe municipale. Ils sont au service de leur territoire 24 h sur 24 h. Les maires s’engagent de manière bénévole 25 heures par semaine en moyenne dans ces petites communes .
Pendant de nombreuses décennies, les responsables associatifs en milieu rural ont souvent exercé une variété de fonctions, de mandats, de représentations politiques. « Cependant, c’est en voie de disparition », remarque Éric Rossi « avec l’apparition d’une culture plus managériale chez les élus locaux ruraux ». Les élus d’aujourd’hui ont assurément moins de culture associative.
De nouveaux engagements en ruralités
Depuis une quinzaine d’années, il existe de nouvelles modalités et de nouveaux lieux d’engagement, en dehors de la vie associative classique, voire en concurrence avec elle. Ces formes d’engagement traduisent des engagements d’adhésion et/ou d’opposition. Elles défendent des causes comme la protection de la planète, des milieux naturels, des terres agricoles, luttent contre les inégalités territoriales et sociales, etc. Elles se mobilisent également contre des projets d’infrastructures, des éoliennes, des lignes à haute tension, la fermeture des services publics. Leurs postures à l’égard du système varient du dialogue à une logique de rupture et de radicalité.
Des collectifs citoyens émergent, largement en marge de la vie associative classique. Ils sont plus ou moins structurés, plus ou moins déclarés. Ils utilisent des modes d’intervention pacifistes ou violents, selon les occasions. « Ces organisations apparaissent plus attractives pour certains, car il y a davantage de collégialité, moins de hiérarchie, plus d’horizontalité. Elles attirent des publics plus jeunes » explique Éric Rossi.
Ces types d’engagements au sein de collectifs sont à l’origine de la construction de nouveaux lieux de rencontres et d’engagement, comme les tiers-lieux. Cela répond au besoin de spatialiser, de créer ces conditions favorables à l’émergence et à la structuration de l’engagement. Parmi les 3 500 tiers-lieux recensés, 50 % sont situés en milieu rural. Pour Éric Rossi, ce sont des espaces propices à la création de nouveaux liens entre les autochtones et les néoruraux, ainsi qu’à l’expression d’une citoyenneté territoriale.
Ressources pour aller plus loin
- Acadie et Magali Talandier (ANCT), Typologie et trajectoires des territoires, février 2023, [en ligne].
- Frédéric Ville, « Territoires ruraux en France. Les ingrédients de l’innovation », Revue Population & Avenir n° 757, 2022, [en ligne].
- Floriant Covelli, « Fait associatif et territoires : un enjeu de connaissance et de repérage des innovations pour l’Institut français du Monde associatif », Informations sociales, n°1-2, 2023, [en ligne].
- François Colson, « La jeunesse agricole catholique a 90 ans », Paysans et société, n° 380, avril 2020, [en ligne].
- Viviane Tchernonog et Lionel Prouteau, Le paysage associatif français. Mesures et évolutions, 4e édition, 2023, [en ligne].
- Recherches & solidarités, La France associative en mouvement, octobre 2023, [en ligne].
- CNCRESS, Avise et RTES, L’ESS dans les territoires ruraux, juin 2019, [en ligne].
- Cevipof et Association des maires de France (AMF), Des maires engagés mais empêchés, novembre 2023, [en ligne].
Marie Dagonneau, « Les tiers-lieux en France, laboratoires de nouvelles solidarités sociospatiales ? », Bulletin de l’association de géographes français, n° 99-3, 2022, [en ligne].
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Un grand merci aux participants: Éric Rossi, Marc Lévy, Dorothée Cognez, Henri Fraisse, Patrick Boulte, Catherine Sauvage, Philippe Chabasse, Pascal Loviconi, Michel Nung, Sylvain Lemaire, Pauline Marquevielle, Élodie Colloc’h, Jean-Pierre Jaslin, Bertrand Barrieu et Hannah Olivetti.
Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti, relu par Diane Bonifas, Anna Maheu et Éric Rossi et mis en page par Guillemette Martin pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.