Au cours des dernières décennies, les relations entre associations et entreprises étaient marquées par l’affrontement ou, au mieux par l'indifférence, note Jacques Poirot, maître de conférences en économie à l’université de Lorraine1 .
Si les coopérations entre ces acteurs étaient quasi inexistantes jusque dans les années 1990, entreprises et associations ont progressivement compris l’intérêt de coopérer pour des raisons stratégiques.
Les premières ont pris conscience de leur responsabilité sur l’environnement. Quant aux secondes, elles ont pu accompagner cette transition en valorisant leur expertise. Aujourd’hui, ces coopérations sont protéiformes : appels à projets, prestations de service, mécénat de compétences ou financier…
COOPÉRER PAR NÉCESSITÉ OU CONVICTION ?
Figure d’exception, le Réseau de transport d’électricité (RTE)2 échange depuis les années 1980 avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et France Nature Environnement (FNE). Sous la pression de la LPO, l'électricien s'est engagé à travailler sur l'interaction des oiseaux avec les lignes électriques pour diminuer les électrocutions régulières.
Même si les relations n’étaient initialement pas détendues, « le dialogue a finalement prévalu », souligne Jean-François Lesigne, attaché environnement du RTE.
Un Comité national avifaune a vu le jour en 2004, après près de vingt ans d’échanges fructueux. Cette instance oriente les efforts collectifs de protection des espèces mis en œuvre par les différentes parties prenantes : associations (LPO, FNE), entreprises (Enedis, RTE) et État. RTE est donc un acteur engagé favorisant les synergies. «Il agit avec conviction, dans la limite des budgets et des moyens qui lui sont alloués. Nous sommes uniquement financés par le tarif de l’électricité dont les enjeux sont la qualité et le coût du transport de l'électricité, dans le respect de l'environnement », rappelle Jean-François Lesigne.
D’autres entreprises se saisissent du mécénat d’entreprise pour coopérer avec le monde associatif. Grâce à leurs fondations (ou fonds de dotation), elles établissent un dialogue avec les associations locales et soutiennent leurs projets. C’est le cas du fonds de dotation de la Compagnie fruitière, dont l’un des axes est l’environnement, qui a financé une association d’écopermaculture ou une exposition itinérante sur la thématique de la biodiversité locale.
« Nous voulons donner de l’ampleur et de la pérennité aux projets que nous soutenons. Or, avec l’environnement, nous agissons durablement et à la source», indique Paul Bouzon, responsable environnement de la Compagnie fruitière.
DES COOPÉRATIONS QUI PORTENT LEURS FRUITS ?
Les associations peuvent aussi proposer directement leurs expertises aux entreprises. C’est le cas notamment du Fonds mondial pour la nature (WWF) qui accompagne le changement de leurs pratiques au travers de coopérations techniques. La Compagnie fruitière s’appuie ainsi sur cette ONG.
« Cela a donné lieu à la construction d’un plan d’amélioration des pratiques », ajoute Paul Bouzon. Le WWF a également accompagné Carrefour pour le développement de la pêche durable et mettre fin à la commercialisation d’espèces menacées comme le brosme3 .
Dans un contexte de réduction des subventions publiques, ce type d’expertises permet aux ONG de diversifier et de pérenniser leurs ressources.
Ainsi, en 2019 et 2020, un cinquième des financements du WWF provenaient de fonds privés, dont les entreprises partenaires.
Cette approche, qui repose sur des relations fortes et assumées avec les entreprises, n’est néanmoins pas partagée par toutes les ONG. Greenpeace, par exemple, a fait le choix d’une indépendance financière en ne se reposant que sur ses adhérents et n’hésite pas à mener des campagnes de dénonciation d’entreprises dont elle estime que le modèle économique entraîne la détérioration de l’environnement.
L’enjeu financier n’est pas neutre : le WWF a ainsi pu être questionné sur son approche jugée par certains trop proche de l’écoblanchiment, ce qui pose la question de l’instrumentalisation.
Le rapport de force est néanmoins nécessaire pour « obtenir des changements systémiques, car la politique des petits pas des entreprises et des États ne suffit pas au regard de l’urgence climatique », souligne Jérôme Frignet, directeur des programmes de Greenpeace. « Certaines entreprises sont sensibles à leur image auprès des citoyens et prennent donc des engagements pour modifier leur comportement. Il faut néanmoins se méfier des changements de façade », précise-t-il.
Face à l’ampleur des enjeux environnementaux, la question n’est plus de savoir s’il faut ou non coopérer, mais bien comment le faire concrètement. Les entreprises intègrent de plus en plus dans leur stratégie les questions sociétales, environnementales et territoriales. La mise en place de directions de l’engagement en est la dernière incarnation. Une évolution pleine de promesses ?
- 1Jacques Poirot, « Les associations entre les entreprises et ONG : la création d’un espace de coopération contribuant à assurer efficacité et pérennité aux actions socialement responsables des entreprises », RIMEC, janvier 2017.
- 2Le RTE est créé en 2000. L’entreprise assure le transport de l’électricité à haute tension entre le producteur et les postes sources. Enedis, entreprise créée en 2008, assure de son côté la distribution entre ces postes et les clients finals. Préalablement, EDF assurait l’ensemble de la chaîne de production.
- 3André Sobczak, « Des partenariats exigeants entre entreprises et ONG accélèrent l’apprentissage de la RSE », The Conversation, 11 janvier 2017.