Le coeur de métier de Mot à mot est la formation linguistique pour les étrangers, quatre des cinq salariés sont professeurs de français langue étrangère (FLE).
En parallèle de ces espaces d’apprentissage formels, l’association implantée dans le quartier de la Belle de Mai offre d’autres espaces de pratique du français : une parcelle de jardin partagé, des permanences d’écrivain public, des cercles de parole, des ateliers de théâtre sur les discriminations, de la programmation avec un cinéma de quartier, etc.
« C’est grâce à notre vie associative et à nos partenaires que nous avons pu développer autant de projets », remarque d’entrée de jeux la cofondatrice Adèle Rossignol. Ces espaces sont portés par les salariés, mais aussi les membres de Mot à mot, français comme étrangers : le résultat d’un travail d’éducation populaire initié il y a une dizaine d’années.
SE FORMER À L’ÉDUCATION POPULAIRE
Adèle Rossignol cofonde Mot à mot en 2011 à Marseille avec Javotte Chomel, qui a depuis quitté l’association. Après des expériences dans de grands organismes de formation, elles ont à coeur d’imaginer une structure où les apprenants feront réellement partie de la vie de l’association, par exemple en rejoignant son collectif d’administration.
L’envie met néanmoins du temps à se concrétiser : les trois premières années, le collectif d’administration (CA) est constitué des proches des deux fondatrices.
Elles identifient alors qu’elles manquent d’outils, notamment d’éducation populaire, pour ouvrir le CA aux apprenants. Elles choisissent donc de se former une première fois en 2015 avec la Société coopérative de production (Scop) L’orage de Grenoble. Les deux salariées de l’époque ressortent du module « Susciter la participation » avec de nombreuses idées de pratiques, qu’elles vont instaurer progressivement.
UNE MISE EN PLACE PROGRESSIVE
La première étape consiste à proposer aux participants du cours de perfectionnement en français de devenir administrateurs et administratrices. Aujourd’hui, quelques semaines avant l’assemblée générale, les cours de français de tous les niveaux effectuent des séances sur l’association, son fonctionnement et le bénévolat en général.
Selon Adèle Rossignol, « comprendre le fonctionnement d’une association et les façons de s’y investir est un premier pas essentiel pour décider de s’engager ».
De plus, les cofondatrices couplent l’Assemblée générale avec la fête de fin d’année en imaginant des temps de discussion en petits groupes.
Comprendre le fonctionnement d’une association et les façons de s’y investir est un premier pas essentiel pour décider de s’engager.
« Cette assemblée générale inhabituelle, sans discours du président ni powerpoint, a permis à de nouvelles personnes de se projeter dans le rôle d’administrateur », se souvient Adèle Rossignol. L’expérience est répétée et, à chaque fois, des personnes s’inscrivent au collectif d’administration dans la foulée de ces assemblées générales/ fêtes de fin d’année. Petit à petit le CA s’agrandit et se diversifie alors que l’équipe salariée se perfectionne dans ses outils. À partir de 2015, l’association ouvre ces formations sur les outils d’éducation populaire à des binômes salariés-administrateurs. « Se former ensemble nous a permis d’avoir une valise commune d’outils pour mener les réunions », remarque Myriam El Marrakchi, formatrice-coordinatrice à Mot à mot depuis décembre 2014.
Pour la même raison, un nouveau binôme salarié-deux administrateurs prépare chaque réunion du collectif d’administration. Selon Adèle Rossignol, « cette animation tournante nous permet d’éviter que ce soient toujours les mêmes qui animent, c’est-à-dire les salariés ou les francophones ».
DES COMMISSIONS AUTONOMES
Le collectif d’administration actuel est composé de seize personnes d’horizons divers, des anciens apprenants et des participants aux actions de l’association. Il s’est structuré progressivement en commissions, que les administrateurs rejoignent en fonction de leurs intérêts, comme « comptabilité », « recherche de financements », « formations » ou « caisses de soutien ».
Selon Adèle Rossignol, « il est important pour nous que les personnes qui rejoignent l’association s’emparent de ces espaces, voire en créent de nouveaux en fonction de leurs besoins et envies ».
Il est important pour Mot à Mot que les personnes qui rejoignent l’association puissent créer de nouveaux espaces en fonction de leurs besoins et envies.
La commission « caisse de soutien » est particulièrement intéressante sur ce point. Elle est née du témoignage d’une administratrice qui avait des difficultés à payer le timbre fiscal nécessaire à l’obtention de son titre de séjour. La bénévole propose alors de mettre en place au sein de l’association une pratique habituelle dans la communauté comorienne : les caisses de solidarité.
« C’est le genre de projets auxquels nous n’aurions jamais pensé en tant que salariés, étant de nationalité française. Pourtant cela a parlé à beaucoup de nos adhérents qui se sont engagés immédiatement dans la commission », remarque Adèle Rossignol.
Les membres impliqués vont alors commencer à organiser des repas pour collecter des fonds et alimenter la caisse de soutien.
Tous les administrateurs sont invités à proposer leurs idées de projet en fonction de leurs envies. Si un salarié accompagne chaque commission, Adèle Rossignol et Myriam El Marrakchi remarquent que celles qui fonctionnent le mieux sont celles qui demandent le moins de suivi de la part des salariés comme la parcelle de jardin partagé. Le choix de lancer ou non un projet dépend surtout de sa faisabilité : « nous renonçons le plus souvent non par manque d’intérêt, mais de force vive, de temps ou d’espace », regrette Myriam El Marrakchi.
MISER SUR LA TRADUCTION ENTRE PAIRS
Mais comment faire association lorsqu’on ne parle pas la même langue ? Le collectif d’administration de Mot à mot est en effet composé de francophones et d’allophones avec des degrés divers de compréhension du français. De plus, « certains bénévoles ne savent ni lire ni écrire, toute communication écrite est à bannir », rappelle Adèle Rossignol.
L’association fonctionne donc beaucoup avec des binômes francophone allophone. Par ailleurs, les supports de présentation lors des réunions sont composés principalement d’images, avec le minimum de texte. Les comptes rendus sont plutôt lus et envoyés par téléphone qu’imprimés ou envoyés par mail.
« Plus généralement, nous évitons de faire des réunions avec de grands groupes » explique Adèle Rossignol. « Les discussions en petit groupe, avec un rapporteur si besoin, permettent des relations d’entraide entre les langues en présence. Un membre arabophone un peu plus à l’aise avec le français va facilement traduire ce qui est dit à celui ou celle qui est plus hésitant. »
UNE TEMPORALITÉ DIFFÉRENTE
Mot à mot a aidé trois associations à se monter et à adopter ce mode collégial : À Voix Haute et System D à Marseille, Langues comme Une à Lyon.
Les salariés de l’association avertissent les structures qui voudraient mettre en place certaines de leurs pratiques : « il faut accepter que faire des réunions avec des allophones prenne plus de temps. On ne traitera pas du même nombre de sujets ni de la même façon ». Les salariés de Mot à mot en sont néanmoins convaincues : cette temporalité différente, accompagnée d’une autre façon de faire, a une portée politique.
Les discussions en petit groupe, avec un rapporteur si besoin, permettent des relations d’entraide entre les langues en présence.
Myriam El Marrakchi abonde : « aujourd’hui cela me semble complètement normal d’avoir des apprenants dans notre collectif d’administration, c’est même étrange que notre fonctionnement soit exceptionnel. Ce n’est pas à nous de décider pour nos membres. »