La baisse tendancielle des budgets publics, des subventions et la « culture du résultat » dans la décision de financement des financeurs privés tendent à faire de la mesure de l’impact social une contrainte. En outre, malgré les nombreuses démarches de vulgarisation, l’évaluation d’impact social demeure le plus souvent une démarche complexe en raison de sa durée, de son coût, de la diversité des méthodes existantes et de la nécessité d’adopter une démarche sur mesure pour chaque projet, adaptée à sa mission, ses enjeux et ses ressources.
L’objectif initial de l’étude, « ESS et création de valeur : vers une nouvelle approche de la mesure d’impact social », menée conjointement par l’AVISE, la Fonda et le Labo de l’ESSS était donc de permettre aux acteurs de l’ESS de se réapproprier la mesure d’impact social, souvent perçue comme subie et contraignante, alors qu’elle devrait être un enjeu stratégique : en intégrant la mesure d’impact social à ses outils de pilotage et en la mettant au service de l’innovation sociale, en l’utilisant pour associer ses parties prenantes, pour identifier de nouveaux besoins et de nouveaux publics et ainsi faire émerger des pratiques innovantes.
L’étude se base donc sur un état de l’art des méthodes de mesure de la valeur ajoutée sociale, secteur par secteur, certaines sur une base monétaire. Au-delà de leur diversité méthodologique, les batteries d’indicateurs ont cependant tendance à réduire l’impact social aux coûts évités mesurables à court terme, contraignant les acteurs sociaux à proposer des prestations fonctionnelles, selon une vision normalisée des besoins sociaux des bénéficiaires. La réduction de la valeur ajoutée sociale à sa contrepartie monétaire risque ainsi favoriser le développement de projets aux objectifs restreints. En devenant un processus descendant et standardisé, la mesure de la valeur ajoutée sociale conduirait paradoxalement à freiner sa création, la « quantification des qualités » conduisant à réguler le social en fonction de critères de « performance budgétaire », c’est-à-dire de pure et simple réduction des coûts1 .
On peut reformuler ces critiques en estimant que la monétisation de l’impact social équivaut à une extension du calcul habituel de la valeur économique au domaine non marchand. D’où, plutôt que d’opposer la « qualité » du social à la quantité économique, la nécessité de commencer par « qualifier » la valeur sociale.
Intégration des externalités de l'activité économique dans le cycle de la valeur sociale
La valeur économique d’un bien ou d’un service résulte de la combinaison variable de trois composantes : son coût, son utilité et sa liquidité, c’est-à-dire sa capacité à être échangé. On peut mesurer la valeur sociale d’une activité ou d’une action à partir d’un schéma analogue :
- elle a un coût qui peut être composé d’un coût de production -essentiellement la masse salariale des acteurs sociaux- et d’un coût de contribution, si l’on veut bien qualifier ainsi d’une part les transferts sociaux -impôts et cotisations finançant les prestations-, et, d’autre part l’engagement humain, bénévole ou professionnel ;
- elle a une utilité, pour ses bénéficiaires, dont elle accroît les capabilités, et pour la société, l’intensité du lien social se manifestant par une multitude d’usages ;
- enfin, si elle n’est pas échangeable, du moins doit-elle être accessible, vertu cardinale d’activités dont la finalité est la construction d’une société inclusive.
En économie, la notion de valeur est inséparable de celle de rareté. Rareté relative, dépendant de la disponibilité du bien ou de l’intensité de la rivalité pour l’obtenir. Cette notion banale revêt pourtant un tout autre intérêt si l’on considère la question des ressources. Qu’il s’agisse de ressources naturelles ou de ressources sociales, la question est en effet moins celle de leur rareté à un moment ou en un lieu donné -qui détermine leur utilité marginale- que celle de leur renouvellement ou de leur « durabilité ». La problématique de l’énergie, des matières premières et de la biodiversité, abordée sous cet angle, a conduit à l’émergence de l’économie circulaire. Une problématique analogue peut s’appliquer au champ social. En effet, l’activité sociale dont on cherche à mesurer l’impact trouve ses ressources dans ce que la société a de commun ou a déjà mis en commun : le territoire, la sociabilité, la solidarité et l’engagement constituent le bien commun ; l’argent public, les institutions éducatives et sociales sont «mis en commun ». La mobilisation de ces ressources permet de développer des activités, lesquelles produisent des réalisations qui génèrent des résultats, dont les conséquences imputables sont les impacts sociaux. Si ce qui justifie l’activité sociale est la réparation ou la prévention de l’appauvrissement de la société -exclusion, isolement, dépendance, violence, pathologies-, on peut logiquement en déduire que sa finalité est l’accroissement des ressources du commun : vitalité du territoire, intensité du lien social, taux d’activité, capacité d’agir et d’entreprendre, qui alimentent à leur tour institutions et ressources publiques. C’est ainsi que la chaîne linéaire de la mesure d’impact se transforme en cycle de régénération des ressources écologiques et sociales.
Le raisonnement est également applicable du point de vue du bénéficiaire de l’activité sociale -étant entendu qu’il en est aussi un acteur- : pour lui, la finalité de l’activité est son inclusion dans la société et le développement de ses capabilités ou de son pouvoir d’agir, ce dernier n’étant défini ni comme une compétence individuelle, ni comme l’effet d’une organisation collective, mais comme le bénéfice individuel de la mobilisation de ressources existant dans la communauté2 .
Cette définition renvoie directement à l’analyse que fait Elinor Ostrom de la gestion des ressources mises en commun -common pool resources3 - . L’objet de cette analyse est, pour rappel, de dégager à partir d’études de cas, les règles de gouvernance assurant la compatibilité entre les revenus individuels tirés de l’exploitation de la ressource et le renouvellement de celle-ci. Or, bien que la « gouvernance des communs » soit devenue le paradigme d’une économie alternative, ni Elinor Ostrom ni ses nombreux épigones n’ont pu démontrer dans quelles conditions ce paradigme était opérationnel à grande échelle, au-delà de la gestion de ressources locales. L’introduction de la notion de valeur sociale et l’analyse des chaînes de valeur correspondantes semblent une voie prometteuse pour surmonter cette difficulté.
L’activité économique participe pleinement de ce schéma circulaire dès lors que l’on y intègre comme ressources communes les externalités écologiques et sociales qu’elle produit. Seules la nature et la distribution des résultats changent : dans le cycle économique, ceux-ci se répartissent entre salariés, actionnaires et autres parties prenantes tandis que dans le cycle social il s’agit des salariés, des acteurs-bénéficiaires et des autres parties prenantes. Autrement dit, il n’y a pas d’externalités mais seulement des ressources communes nécessaires à l’activité économique et impactées par elle. On peut alors envisager la création de valeur économique non de manière absolue mais en appréciant l’augmentation ou la diminution relative des ressources communes disponibles et/ou accessibles. On retrouve ainsi la logique des « capabilités » d’Amartya Sen : plus les individus ont accès à des ressources, plus ils développent leur activité et plus ils renouvellent ces ressources.
Cette mesure relative permet d’échapper à l’hégémonie de la contrepartie monétaire : insérée dans le cycle de la valeur sociale, une dépense budgétaire aura une contrepartie diffractée entre plusieurs échelles de valeur, individuelles et collectives, échelonnées dans le temps, dont certaines seulement seront chiffrables en coûts évités, car, à côté de la maîtrise des coûts, l’accessibilité des ressources -y compris leur répartition- et la diversité des usages sont, au même titre, des composantes de la valeur créée. Dans ce contexte, l’équivalence, c’est-à-dire la commune valeur des choses, n’est pas donnée par une unité de mesure définie a priori mais par la valeur, nécessairement composite et par conséquent délibérée ou négociée, que l’on accorde aux ressources du commun, à leur durabilité et à leur fragilité.
Création de valeur et raison d’être
Le lancement de cette réflexion sur la création de valeur a suscité de nombreuses réticences dans le monde de l’ESS. N’est-on pas en train de se laisser absorber par le vocabulaire, les concepts, les valeurs de l’économie dominante, du capitalisme financier ? Ne risque-t-on pas de perdre de vue la dimension humaine et sociale qui est au cœur de l’ESS ? A contrario, plusieurs arguments militent pour faire preuve d’audace et s’approprier résolument cette question.
Le changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles auxquels nous sommes confrontés à l’échelle planétaire ne peuvent être sans conséquences sur l’objet même de l’activité et de la science économique. Ce que cette dernière considérait jusqu’à maintenant comme des « externalités », c’est-à-dire des conséquences extérieures et pour ainsi dire indifférentes à la sphère économique, s’avère être les conditions même de cette activité, de la vie des sociétés humaines. Il convient de répéter, il n’y a plus d’externalités, mais seulement des ressources limitées et fragiles, et si le terme de développement durable a un sens, c’est qu’une activité économique ne peut être considérée comme créatrice de valeur que si elle contribue au renouvellement de ces ressources.
Il ne fait maintenant plus de doute, y compris au sein des institutions financières internationales qui ont porté le « consensus de Washington » néo-libéral pendant trente ans, que la concentration de la richesse et l’aggravation des inégalités menacent la vitalité même des sociétés et des institutions démocratiques. Or les mécanismes financiers qui sont au cœur du capitalisme ne sont pas des mécanismes de création de valeur, mais de captation et de concentration de la valeur créée dans toutes les sphères de la société. Le changement de cap nécessaire des politiques budgétaires et fiscales pour inverser la courbe des inégalités et des fractures sociales passe par une nouvelle conception de la valeur invisible des services collectifs, dont le système de santé offre un exemple frappant. Longtemps considéré exclusivement sous l’angle des « dépenses de santé », la valeur qu’il génère pour la société n’apparaît qu’au moment où il s’effondre après 10 ans de contrainte budgétaire. Lorsque surgit la pandémie, c’est la destruction de valeur provoquée par la gestion purement financière du système de santé qui crève les yeux !
La fin du cycle néo-libéral ne se traduira pas pour autant par le retour à l’économie administrée. La reprise en main des enjeux et des biens collectifs repose désormais sur l’économie et la gouvernance des « communs » matériels et immatériels. La crise climatique et les immenses besoins d’investissement et de transformation industrielle, agricole, urbaine et de mobilité qu’elle implique sont incompatibles avec une économie fondée sur les préférences individuelles et régulée par de simples incitations. L’effort demandé n’est comparable, en intensité et en volume, qu’à l’effort de guerre de la seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. La différence est que ce n’est pas le complexe militaro-industriel qui en est le cœur, mais l’économie des communs (gestion des ressources naturelles, sobriété des usages grâce au partage et au réemploi, investissement massif dans la recherche et l’éducation, etc.) Dans tous ces domaines, on peut parier que le capital, la dette, le coût et le bénéfice sont des mots qui vont prendre un sens nouveau. Les mesures d’endettement massif prises par les Etats qui en ont les moyens et la suspension par Bruxelles de la règle d’or budgétaire sonnent le glas de tout un système et posent en grand la question de la valeur parce que pendant ce temps-là, chacun sait bien ce qui compte le plus pour lui.
Le doute étreint désormais les penseurs et les grands acteurs du capitalisme mondialisé. Lorsque le Boston Consulting Group prône l’abandon de la total shareholder return (toute la valeur pour l’actionnaire) au profit du total societal impact (impact sociétal total) pour conduire la stratégie des entreprises4 , ou lorsque le monde de l’entreprise s’interroge gravement sur sa raison d’être, c’est qu’ils commencent à réaliser qu’une économie qui ne serait ni sociale, ni solidaire est tout simplement vouée à sa perte. Dans leur article de 2011 ouvrant la voie à la notion de « valeur partagée », Michael E.Porter5 et Mark R. Kramer estimaient déjà que l’enjeu était de sauver le capitalisme. Dix ans plus tard, on peut en tirer une ambition toute différente : l’ESS n’est plus le « tiers secteur » entre État et marché qui l’a longtemps définie mais le laboratoire de la transition vers une économie post-capitaliste et une démocratie sociale du pouvoir d’agir. C’est pourquoi elle peut, aujourd’hui, sans complexe, s’élever de la justification de son impact social à l’affirmation de sa création de valeur et développer pour cela des instruments de mesure adaptés à ses missions.
Yannick Blanc, Jérôme Saddier, Hugues Sibille
Etude « ESS et création de valeur » : décryptage immédiat
Un cadre commun à toute démarche d’évaluation
Les travaux de l’Avise, la Fonda et le Labo de l’ESS visent à proposer une vision partagée de l’évaluation d’impact social, au travers d’une représentation renouvelée de la valeur sociale et de sa création au sein d’une chaîne de valeur étendue. Plutôt que de promouvoir un outil, cette étude prospective vise à aider les acteurs de l’ESS à s’approprier cette vision dans leur démarche d’évaluation d’impact social par des repères méthodologiques, aussi bien conceptuels -cf. la chaîne de valeur étendue- que pratiques (cf. les 7 prérequis). La troisième phase de l’étude présente plus particulièrement un raisonnement pédagogique pour accompagner l’élaboration de toute démarche d’évaluation d’impact social, le mode de faire de l’évaluation ayant autant d’importance que son résultat.
L’étude "ESS et Création de valeur" met en exergue trois étapes communes à toute démarche d’évaluation :
• la promesse : cette phase consiste à définir « ce qui compte », en d’autres termes les critères d’évaluation en fonction du projet et du périmètre choisi ;
• la preuve : après avoir élaboré des indicateurs, aussi bien quantitatifs que qualitatifs, cette phase consiste à « mesurer » l’impact social, c’est-à-dire à collecter les données de l’évaluation et à les objectiver.
• la délibération : cette dernière phase vise à favoriser l’appropriation des résultats de l’évaluation par le porteur de projet et ses parties prenantes, en tirant les enseignements des résultats et en construisant un point de vue partagé.
Le temps et les ressources consacrés à chaque étape varient d’une structure à une autre, mais ces trois étapes doivent répondre à leur tour à sept prérequis à garder en tête tout au long de la démarche :
- la démarche d’évaluation doit être perçue comme accessible et utile ;
- elle inscrit le projet dans un écosystème territorial ;
- les parties prenantes bénéficiaires et contributrices sont associées au moment opportun ;
- la démarche d’évaluation est inhérente et partie intégrante de la stratégie et du pilotage de l’entité, dès sa création ;
- elle prend en compte l’ensemble des effets positifs et négatifs induits des actions de l’entité ;
- elle s’inscrit dans le temps ;
- elle peut renforcer le pouvoir de négociation avec les parties prenantes et les financeurs et faciliter la mise en œuvre d’actions créatrices de valeur par l’identification de besoins non satisfaits.
L’analyse des chaînes de valeur
Introduite en 1985 par Michaël E. Porter, l’analyse de la chaîne de valeur permet de déterminer l’avantage concurrentiel d’une firme. Celle-ci peut être analysée comme une combinaison d’activités. Chacune de ces activités, qui combine elle-même moyens de production, ressources humaines, technologie et information, est simultanément un facteur de coût et une source de valeur. L’avantage concurrentiel s’obtient par une combinaison optimale des activités au sein et autour de la firme tout en recherchant, pour chaque activité, l’équilibre pertinent entre la réduction des coûts et l’accroissement de la création de valeur, c’est-à-dire de la différenciation par rapport aux produits et services concurrents. Du point de vue de la firme, la définition de la valeur est simple : c’est le prix que le client est prêt à payer pour le produit et/ou le service.
La chaîne de valeur de la firme s’insère dans un flux d’activités impliquant ses parties prenantes (fournisseurs, sous-traitants, concurrents, etc.) qui ont-elles-mêmes leurs chaînes de valeur. Les connexions internes et externes entre activités influent de diverses manières sur la chaîne de valeur : la mutualisation de services permet par exemple des économies d’échelle, mais génère des coûts de coordination, de compromis et de complexité. Comme l'écrit Porter, « l’avantage concurrentiel peut découler d’une multitude de facteurs et prouve que chaque avantage peut être associé à des activités spécifiques et aux liens que ces activités entretiennent entre elles, mais aussi avec les activités des fournisseurs et des clients de l’entreprise concernée. »
Le client lui-même est au centre d’une chaîne de valeur : le produit qu’il achète n’a pas de valeur en soi, mais s’insère dans un ensemble d’activités dont la valeur est mesurée en termes monétaires, en temps passé, en intensité relationnelle, ou encore en prestige. La différenciation qu’une firme est capable de créer sur un produit ne repose pas seulement sur la qualité intrinsèque de celui-ci, mais surtout sur la façon dont sa chaîne de valeur est reliée au client, c’est-à-dire la manière dont le produit de la firme est utilisé ou consommé par lui. « La valeur qu’une firme crée pour son client est donc déterminée par l’éventail complet des liens qui unissent sa chaîne de valeur à celle du client. »
On peut en déduire trois propositions clés :
- dans une chaîne de valeur, il n’existe aucune différence de statut entre les catégories d’agents économiques, qu’il s’agisse de services au sein d’une même firme, d’entreprises au sein d’un groupe, de groupes au sein d’un secteur, de producteurs et de consommateurs finaux ;
- une stratégie consiste en une combinaison de chaînes de valeur -celles des fournisseurs, sous-traitants, concurrents et clients- reposant sur une juste estimation de la part relative de contrainte et de choix dont je dispose dans chaque activité de la chaîne : jusqu’à quel point peut-on réduire les coûts sans compromettre l’utilité ou accroître l’utilité sans rendre les coûts insupportables ?
- la notion de chaîne de valeur implique qu’il y a toujours partage de la valeur entre les activités, donc les acteurs, de la chaîne. Dans un univers concurrentiel, la pertinence de la stratégie se mesure à la part relative de la valeur captée. Dans un univers coopératif, elle se mesure à la juste répartition des coûts et de la valeur créée. Une activité sociale, au même titre qu’une activité de production ou de fourniture de service, est structurée par des chaînes de valeur et s’insère dans des chaînes de valeur plus larges incluant l’utilisation de l’argent public. (voir Zoom à la fin de l'article)
Des expériences et des outils pour les acteurs de l’ESS
Pour construire des démarches qui fassent sens, les acteurs de l’ESS doivent s’approprier et non subir les démarches d’évaluation. Cela implique de professionnaliser les entreprises de l’ESS en intégrant systématiquement l’évaluation à leur portefeuille de compétences de rendre accessible l’exercice pour chaque entreprise de l’ESS et d’assurer l’adéquation de la démarche aux spécificités de chaque structure.
Cet enjeu d’appropriation n’est pas un vœu pieux. Il s’incarne concrètement dans plusieurs dynamiques portées par les acteurs de l’ESS, visant notamment à impulser des démarches collectives autour de l’évaluation de l’impact social. On peut ainsi citer :
• la démarche autour de l’étude « ESS et Création de valeur », portée par l’Avise, La Fonda et Le Labo de l’ESS qui a réuni une soixantaine d’acteurs de l’ESS et de l’évaluation pour réfléchir collectivement à un renouvellement de la mesure d’impact social ;
• le projet Valorisation de l’Impact Social de l’Entrepreneuriat Social -VISES- : soutenu par le programme européen Interreg, a réuni pendant 4 ans, jusqu’à fin 2019, 21 partenaires des Hauts de France et de Belgique pour mettre en lumière ce que les entreprises sociales et solidaires apportent pour le dynamisme d’un territoire ;
• la sensibilisation de ses adhérents aux enjeux de l’évaluation d’impact social proposée par Le Mouvement Associatif ;
• les démarches collectives impulsées dans le cadre de l'appel à projet "Fonds social Européen" (FSE) de l’Avise, dont l’expérimentation des chaînes de valeur de La Fonda, mais également l’expérimentation d’une démarche d’évaluation de l’impact social pour les coopératives d’activités et d’emploi (CAE), portée par Coopérer pour entreprendre, ou encore la démarche portée par l’Unapei pour développer l’évaluation d’impact social au sein de son réseau ;
• le projet inter associatif mené par la Croix-Rouge Française, Emmaüs, Les Restos du Cœur et les Petits Frères des pauvres avec pour ambition de créer un langage commun autour de l’évaluation de l'impact social dans ces grandes associations et une démarche, voire des outils communs pour leurs membres.
Cet enjeu d’appropriation passe également par un outillage et une formation des acteurs de l’accompagnement des structures de l’ESS, dans une approche « premiers pas » de l’évaluation. C’est notamment l’objectif du programme expérimental "Cap Impact" formant -à destination de ces incubateurs, chargés de missions DLA- proposant l’accompagnement d’une démarche au travers de l’outil en ligne Impact wizard, cet outillage complémentaire de l’outil Valor’ESS, le référentiel d’indicateurs proposé par l’Union des employeurs de l'économie sociale (UDES) et travaillé avec ses adhérents.
Pour autant, la multiplication des démarches laisse craindre une appropriation et une utilisation « tous azimuts » de l’évaluation d’impact social . Tout l’enjeu réside aujourd’hui d’une part dans une mise en visibilité et lisibilité de ces différentes démarches pour les entreprises de l’ESS afin qu’elles puissent mobiliser celles qui leur conviennent le mieux. Dans les démarches citées plus haut, il y a en effet plusieurs niveaux d’appropriation de l’évaluation de l’impact social, chacune des démarches étant plus ou moins adaptée selon les enjeux de la structure, sa taille, son contexte.
Enfin, la mutualisation des expériences, des méthodes et des outils est, pour les années à venir, une des conditions principales de cette appropriation par les acteurs de l’ESS. A ce titre, des espaces de partage et de connaissance existent, tels que le Centre de ressources national de l’évaluation de l’impact social (www.avise.org) ou encore le réseau de praticiens Social Value France, animés par l’Avise.
ZOOM
La création de valeur sociale de Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée
Imaginée en 2014 dans le village de Pipriac sous l’impulsion du mouvement ATD Quart Monde et aujourd’hui conduite sur dix territoires français, l’expérimentation « Territoires Zéro Chômeurs de Longue Durée » permet d’illustrer la logique d'une chaine de valeur sociale. Cette expérimentation consiste à convertir l’ensemble des prestations versées aux chômeurs de longue durée en salaires, dans le cadre d’« entreprises à but d’emploi », au sein desquelles ils développent des activités selon leurs aptitudes et leurs préférences, selon les besoins collectivement identifiés par les acteurs de leur quartier (habitants, associations, entreprises, institutions, collectivités, etc.). Pouvant être très variées (entretien d’espaces naturels, recyclerie, conciergerie solidaire, services aux entreprises, logistique urbaine, etc.), ces activités ont pour point commun de ne pas être prises en charge par le marché, le plus souvent parce qu’elles ne sont pas rentables financièrement. Grâce au financement public couvrant la majeure partie du coût des emplois créés, l’expérimentation permet de rendre ces activités économiquement viables. Le financement public rend donc possible la mise en œuvre d'activités dont la valeur ne réside pas dans leur rentabilité économique, mais dans leur capacité à revitaliser des ressources économiques et sociétales d'une communauté territoriale selon des finalités fixées par ses membres, personnes éloignées de l’emploi inclues.
« Territoires Zéro Chômeur » offre ainsi une autre perspective sur l’investissement social. La viabilité économique de l’expérimentation suppose, certes, que les économies générées par le projet pour la puissance publique puissent être mesurées : dans une logique d’« activation des dépenses passives », ce sont les institutions et collectivités supportant les coûts financiers du chômage de longue durée qui financent le projet, à hauteur des économies financières qu’elles réalisent grâce à ce dernier. Toutefois, la mesure de ces coûts évités ne saurait rendre compte de la valeur ajoutée sociale de l’expérimentation. La mesure de ces coûts est un moyen permettant de déterminer le seuil de contribution financière publique à une chaîne de valeur sociale visant à revitaliser les ressources d’un territoire : revitalisation consistant d’abord à convertir ses ressources humaines inemployées en activités dans le cadre d’un emploi salarié ; revitalisation consistant ensuite, grâce aux activités mises en œuvre, à créer de nouvelles ressources sociétales et économiques. Cette chaîne de valeur sociale caractéristique de « Territoires Zéro Chômeur » repose sur l’équilibre entre les coûts mutualisés, les ressources disponibles accessibles et les usages répondant aux besoins des acteurs du territoire.
- 1Alexandra Bidet & Florence Jany-Catrice, « Quantifier les qualités », La Revue Française de Socio-Economie, 2017/2 (n°19), p. 19-26.
- 2Cf. Yann Le Bossé, Sortir de l'impuissance, T1 : fondements et cadres conceptuels, Québec, ARDIS, 2012.
- 3Elinor Ostrom,Governing The Commons, Cambridge University Press, 1990.
- 4www.bcg.com/publications/2017/total-societal-impact-new-lens-strategy.aspx
- 5Michael Porter et Mark Kramer, Creating Shared Value, Harvard Business Review, janvier-février 2011