La Cfdt a été la première organisation syndicale à poser la question de la représentativité, qui depuis 1946 était fondée sur des critères extérieurs, réservant à cinq confédérations le monopole de signature des accords. L’enjeu est avant tout démocratique. Progresser sur ce sujet, c’est donc essayer de développer la participation du plus grand nombre à l’élaboration de normes dans le champ du travail. Cette réflexion doit s’étendre naturellement à l’ensemble des corps intermédiaires qui contribuent, d’une manière ou d’une autre, à la construction de l’intérêt général, même si les réponses ne peuvent être les mêmes. Alors qu’un accord était en cours de négociation, il paraissait intéressant d’interroger François Chérèque sur ces questions. L’actualité des propos et des échanges fut d’autant plus significative que l’accord sur la représentativité syndicale avait été finalisé dans la nuit précédant la rencontre.
François Chérèque ouvre son propos en faisant état de sa satisfaction de l’accord qui vient d’être conclu. Pour comprendre l’enjeu des discussions engagées, il rappelle que les réponses démocratiques aux enjeux sociaux économiques et environnementaux ne peuvent pas relever de la seule initiative des pouvoirs publics. Alors que des réformes significatives sont engagées, il convenait de faire évoluer les conditions de fonctionnement et la place réservée à la démocratie sociale. La transformation de la société impose une triple exigence :
- un rôle accru de la démocratie sociale qui, sans être concurrente de la démocratie politique, constitue un des éléments essentiels de l’équilibre démocratique de toute société ;
- un renforcement du dialogue social ;
- une refondation de la légitimité des partenaires sociaux.
« La force de la démocratie sociale ne peut se réduire à la somme des intérêts particuliers et être uniquement le domaine réservé des organisations syndicales. Elles doivent aujourd’hui s’ouvrir aux associations et construire un espace de collaboration. C’est le sens des démarches engagées par la Cfdt et plus largement des partenariats pouvant exister avec Alerte1 ou d’autres collectifs sur les thèmes de l’exclusion, de l’insertion, de l’environnement ou encore de la discrimination. Dans ce processus, le Grenelle de l’environnement a constitué un moment important dans la mesure où chacun (syndicats, Ong, patronat…) essaie de comprendre la démarche, les intérêts et les contraintes des autres. Cette évolution est importante dans la société pour essayer de construire un consensus.
Deuxièmement, il convient de renforcer le dialogue social. Il n’y a pas en France de culture et de pratique en la matière bien installées, même si les choses progressent comme le montre la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social. Elle est un produit des contestations autour du Cpe (contrat première embauche), où les organisations syndicales ont collectivement montré leur maturité en la matière et une capacité à soutenir et accompagner d’autres mouvements, les organisations lycéennes et d’étudiants en l’occurrence. C’est un bon exemple d’une pratique caricaturale où les responsables politiques décident seuls dans leur coin et essaient d’imposer leur décision à la société. Face à la contestation, Jacques Chirac a donc proposé ce nouveau cadre pour le dialogue social. Désormais, le Parlement ne pourra plus changer la loi dans trois domaines, code du travail, formation professionnelle et dialogue social, sans laisser un espace de négociation aux partenaires sociaux. Il s’agit d’une reprise du protocole social de Maastricht, montrant ainsi combien le modèle européen peut être une source d’inspiration pour avancer. C’est ce cadre qui s’impose aujourd’hui au nouveau président de la république qui est obligé de construire un agenda social et de maîtriser dans ces domaines son ardeur réformatrice.
Même si rien n’est définitivement acquis, comme ont pu le montrer les dispositions adoptées sur les heures supplémentaires, ou le rachat des Rtt, un nouvel espace pour le dialogue social est apparu dont il faut se saisir. Il serait important d’ailleurs de réfléchir à son élargissement à la fonction publique.
Le dernier point concerne la refondation de la légitimité des partenaires sociaux. Pour franchir une nouvelle étape, pour aller plus loin dans la valorisation du dialogue social et l’efficacité de la négociation, la confiance des salariés vis-à-vis des syndicats doit être réaffirmée. La nouvelle capacité à faire du droit doit s’accompagner d’un travail sur la légitimité à le faire. Ce débat est d’autant plus d’actualité qu’il n’est plus possible de fonctionner « sur la base d’une photo de représentativité prise en 1966 ». La présomption dont bénéficient cinq organisations est devenue incompréhensible et inacceptable pour beaucoup de salariés. Avancer sur ce point, c’est permettre de rendre incontestable la légitimité des partenaires sociaux et les accords qu’ils signent.
Le risque qui pèse actuellement sur les syndicats est d’être des syndicats institutionnalisés, en dehors de l’entreprise, au-delà des lieux de légitimité, reconnus par l’administration et les politiques, mais ne s’appuyant sur aucune base sociale. Ceci pose un vrai problème de démocratie.
Ce sont ces enjeux qui étaient discutés dans la négociation. Pour les faire vivre, il faut se remettre en question, accepter les réalités et faire preuve de davantage de créativité et de réactivité. Cela implique pour les syndicats de démontrer leur sens des responsabilités, la pertinence et l’efficacité des engagements souscrits. Enfin, il convient de renforcer la transparence des pratiques et du financement.
Dès lors, il faut essayer d’apprécier les changements qui vont survenir et auxquels la Cfdt s’est préparée. Il faut en premier lieu avoir une mesure de la représentativité réelle des syndicats dans les entreprises. Actuellement, cette appréciation se fait par le biais des élections aux prud’hommes, qui sont le lieu de l’échec de la relation de travail, où se départit le conflit entre l’employeur et le salarié. Deuxièmement, la représentativité syndicale va se construire à partir des élections. La démarche consiste à partir de l’entreprise, pour ensuite, par addition déterminer la représentativité au niveau des branches. Elle va partir du bas pour aller vers le haut. L’idée est que les salariés « choisissent » les syndicats qui s’engagent en leur nom dans les institutions représentatives du personnel. Des discussions devront s’engager pour définir les processus applicables pour les entreprises de moins de dix salariés (peut-être par des élections de branche ou au niveau des bassins d’emplois).
Le niveau de représentativité a été fixé à 8 % au niveau de la branche et de l’entreprise. Il évoluera dans un deuxième temps vers 10 %. Ce bouleversement peut conduire dans certaines branches professionnelles à avoir un seul syndicat représentatif. Pour différents secteurs, la Cfdt n’atteindra pas cette limite. Cette évolution permettra de sortir du principe actuel d’opposition majoritaire dans la négociation sociale, pour celui d’engagement majoritaire. En cas d’absence syndicale, des élus sans étiquette pourront négocier dans le cadre du système de mandatement.
Parallèlement, une démarche de transparence du financement des organisations syndicales et patronales sera engagée dont la principale source devrait être les cotisations. Les ressources issues du paritarisme devront pour leur part se faire sur la base de la représentativité et dans le cadre d’un système de transparence assorti de dispositif de contrôle.
Les syndicats sont en train d’accomplir de grandes avancées sur ce sujet de la représentativité. Mais, cette question se pose aussi aux autres formes d’expression et acteurs de la société civile. Les associations doivent se saisir de ces questions et entrer dans une démarche de construction de la démocratie sociale. Comme les syndicats, les associations doivent s’intéresser à la question de leur représentativité. C’est un enjeu démocratique. Le pas franchi doit permettre d’amorcer une véritable démarche de rénovation de la société civile. » En réponse à des questions des participants, François Chérèque est revenu sur le rôle que l’État a eu dans la multiplication des organisations syndicales notamment sous prétexte de représentativité. Jusqu’à ce jour, la représentativité n’a pas été envisagée comme une reconnaissance de l’autonomie, mais constituait une démarche technocratique propre à diviser la représentation des salariés. Il évoque ensuite le risque de repli que peut représenter un retour à l’entreprise. Pour lui, il convient de rebâtir une légitimité à partir de l’entreprise. Il ne s’agit pas de s’y enfermer mais de savoir au nom de qui on parle.
C’est la condition pour que les syndicats puissent traiter des questions sociétales. Trouver le bon positionnement participe aussi à une meilleure reconnaissance des autres acteurs de la société civile qui sur certains sujets ont une autre légitimité. Sur ce dernier point, il insiste sur le fait qu’il ne faut pas réduire la légitimité à la question de l’adhésion. En comparant les 160 000 adhérents d’un parti politique, aux 60 000 bénévoles d’une association, aux centaines de milliers de syndiqués, il conclut que ce n’est pas uniquement par l’affirmation d’un nombre que l’on peut justifier de sa légitimité. L’action, la reconnaissance de l’action, la capacité d’entraînement, la capacité de changer les choses, la cause qui est représentée, tout cela, sont des éléments de la représentativité. C’est d’ailleurs pour cela que les syndicats ont discuté de différents éléments de représentativité en plus de celui de l’élection. C’est pour cela qu’ont été conservés les éléments de reconnaissance : les valeurs républicaines, le nombre d’adhérents, le nombre d’électeurs…
Il a aussi évoqué la question des syndicats corporatistes en indiquant que le syndicalisme ne peut se réduire à l’addition de revendications catégorielles. Il doit permettre des arbitrages dans un processus de construction de l’intérêt général. C’est ainsi qu’il convient de réfléchir à la question de la représentation des travailleurs précaires et des vacataires, comme de celle des chômeurs. Les syndicats ont des difficultés à toucher les salariés les plus éloignés du cœur du travail protégé.
Du côté patronal, François Chérèque dit sa préférence pour éviter l’éclatement de la représentation patronale et par cela pour que l’économie sociale soit une branche du Medef, considérant que l’éparpillement serait un frein à l’évolution du droit social et le droit des salariés. Prenant l’exemple de l’Allemagne où il y a une plus grande unité des représentations des salariés et des entreprises, il indique que c’est sans doute un des éléments qui fait la force du dialogue social allemand. Mais l’unité ne doit pas néanmoins conduire à la sur-représentation d’une catégorie d’employeurs (Pme ou grandes entreprises du « Cac 40 »). Il faut trouver un équilibre pour que les organisations retraduisent la diversité des situations et des acteurs. Au-delà de la question de la représentation de l’économie sociale, il apparaît déterminant que le secteur progresse sur la façon dont les entreprises exercent leurs responsabilités d’employeur.
Au-delà de l’entreprise, les syndicats doivent aussi s’interroger sur les lieux de représentation et de leur pouvoir réel, comme par exemple pour la gestion de l’assurance maladie. C’est pour cela qu’il convient de pouvoir progressivement développer des alliances entre les différentes expressions de la société civile, pour être en capacité d’offrir une réelle résistance à la société des experts qui occupe de plus en plus d’espace. Il faut veiller à investir des lieux de « contre-pouvoir » où on peut peser, éventuellement avec d’autres plutôt que de chercher des pseudos espaces de gestion où les acteurs n’ont que l’illusion du pouvoir.
En conclusion de ses propos, François Chérèque attire l’attention sur les dossiers en cours de discussions (création du pôle emploi, modernisation du marché du travail, parcours professionnel, retraites…).