Propos recueillis par Anna Maheu, La Fonda.
Pourquoi avez-vous lancé votre propre ensemble en 1998 ?
J’avais envie de porter un projet novateur. Pour pouvoir faire bouger les lignes, il faut être à la tête d’un orchestre national ou directrice musicale d’un orchestre. J’avais 20 ans à l’époque, il était improbable que je sois nommée à un tel poste à cet âge, et qui plus est en étant une femme.
J’ai donc créé cet ensemble parce que j’avais envie de diriger, mais aussi pour prouver au monde culturel qu’une jeune femme pouvait le faire.
J’avais une vision assez globale : amener la musique classique là où elle n’est pas ou peu présente.
Un des premiers grands choix que j’ai fait a été d’avoir la résidence principale de l’orchestre Divertimento à Stains, en Seine–Saint-Denis, pour défendre la place de la musique dans ce département où j’ai grandi.
Est-ce que vous avez eu des difficultés en installant un orchestre dans ce département ?
Plutôt des opportunités ! Nous étions nombreux à avoir ce souci d’accès à la culture : des musiciens comme moi, mais aussi par des élus locaux et d’autres personnes d’univers divers qui avaient envie de permettre au public stanois d’être en lien avec l’excellence.
Aujourd’hui, l’orchestre Divertimento est un acteur musical de premier plan. Nous donnons des concerts sur des scènes emblématiques comme la Philharmonie de Paris, le Grand Théâtre de Provence, ou la Seine Musicale.
Néanmoins, nous jouons aussi dans des lieux de proximité en milieu rural, dans des établissements scolaires ou carcéraux, etc. La musique classique ne doit pas être présente que dans les salles de concert des grandes villes, c’est une culture qui est populaire dans le sens noble du terme, elle peut vivre partout.
Notre orchestre se démarque également par notre académie qui accueille des jeunes issus de quartiers prioritaires et du milieu rural. Ces jeunes ont moins accès à des projets d’excellence, en nous rejoignant ils progressent dans leur pratique musicale, mais aussi dans leurs ambitions.
Si nous formons parfois des enfants qui sont débutants, nous nous concentrons particulièrement sur des jeunes qui ont déjà plusieurs années pratiques et qui sont en milieu de parcours.
Nous les invitons régulièrement à jouer avec nous sur des scènes professionnelles. Ils font ainsi quelques minutes d’un concert de très haut niveau. Cela les amène à cultiver une grande exigence, à croire en eux. Cette expérience influe sur leur parcours scolaire et personnel : ils s’autorisent à être beaucoup plus ambitieux.
Tous n’ont pas vocation à devenir musiciens professionnels, mais ce dispositif leur permet de se conforter dans ce choix et de progresser dans des savoir-être. Nous formons ceux qui le souhaitent à d’autres métiers dans l’univers de la culture comme la régie technique, la communication, ou la production.
Et comment définiriez-vous la singularité artistique de l’orchestre ?
Je suis cheffe d’orchestre, ma mission principale est de transmettre un patrimoine musical, mais j’avais envie d’aller plus loin, d’apporter de nouvelles idées sur scène. Par exemple, nous étions récemment en concert avec le programme « Saint-Saëns, le voyageur ». Nous jouions des œuvres de Camille Saint-Saëns, du répertoire classique de musique française, mais nous les accompagnions des musiques traditionnelles algériennes qui l’ont inspiré pour écrire ces œuvres.
C’est une fierté de proposer des types de musique peu joués par des orchestres symphoniques.
Nous voulons permettre aux spectateurs de découvrir le monde par la musique, des cultures qu’ils connaissent moins, mais toujours en lien avec le répertoire symphonique.
« Musique et sport » est une autre de nos créations emblématiques en ce sens. Dans une trentaine d’établissements scolaires, de l’école primaire au lycée, nous explorons les liens existants entre la musique et le sport. Des membres de notre académie et de conservatoires partenaires ont ainsi pu assister à la finale du Tournoi des six nations. Ils ont aussi participé à une conférence où j’échangeais avec le footballeur Lilian Thuram sur les valeurs partagées entre le sport et la musique.
Il ne s’agit pas seulement d’amener ces jeunes musiciens vers un autre univers, celui du sport. Nous travaillons aussi avec des clubs, comme le Racing 92 ou le Red Star, pour proposer des sorties culturelles à de jeunes sportifs.
Notre objectif est toujours le même : les encourager à être plus curieux et à s’ouvrir à des univers.
Portez-vous d’autres projets pluridisciplinaires avec votre orchestre Divertimento ?
Oui, nous mêlons régulièrement la musique à la danse, mais aussi au théâtre, aux créations lumières et à la vidéo.
En ce moment, nous travaillons à un spectacle pour les quarts de finale de la Coupe du monde de rugby.
Des danseurs reproduiront les gestes du rugby sur scène, la salle de concert va se transformer en un stade avec toutes les émotions qu’on peut y ressentir.
Pour Breakdance symphonique l’année dernière, l’orchestre Divertimento invitait un chorégraphe à proposer une œuvre en lien avec notre programmation issue du grand répertoire de la danse. Ces extraits de ballet et de danses symphoniques ont plutôt été écrits pour accompagner de la danse classique, et parfois de la danse contemporaine.
Nous prenons le parti que les cultures populaires et urbaines d’aujourd’hui peuvent tout à fait s’associer avec de la musique plus patrimoniale.
Comment le public a-t-il accueilli ces représentations pluridisciplinaires ?
Ce qui m’a toujours rassurée, c’est qu’il était au rendez-vous. Dans un de nos derniers gros spectacles autour de Léonard Bernstein, la musique était accompagnée par du théâtre et de la danse. Nous avons donc joué dans trois types de salles conventionnées : danse, musique ou théâtre. Et dans chacune, nous avons fait salle comble.
Le public a envie de voir ces nouveaux projets moins cloisonnés. Un projet avec de l’énergie, une vraie vision artistique, au croisement de la danse, de la musique et du théâtre, peut tout à fait rencontrer son public.
La musique classique n’a rien de poussiéreux. Nous devons dépasser ces clichés sur ce que peut être la musique classique et ceux qui l’écoutent comme des personnes plus âgées et de catégorie sociale aisée. Au contraire, c’est une musique qui peut être populaire et partagée par tous.
La musique classique est innovante, moderne, dynamique, mais aussi inclusive. C’est en tout cas la démarche de l’orchestre Divertimento.