Propos recueillis par Anna Maheu.
Quels sont vos rôles respectifs au sein de l’Unapei ?
Hélène Le Meur : J’ai commencé à travailler à l’Unapei en 2000. Depuis 7 ans, je dirige le pôle expertise.
Nadine Maudet : Moi-même aidante1, je me suis engagée bénévolement dans une association locale membre du réseau Unapei2 il y a 25 ans. Comme de nombreux parents d’enfants en situation de handicap, j’ai progressivement épousé la cause de l’Unapei. Il y a quatre ans, j’ai donc pris un mandat de viceprésidence au niveau national.
Hélène Le Meur : C’est l’une des particularités de l’Unapei que j’apprécie : travailler en binôme avec des parents élus comme Nadine. Ce sont des aidants qui ont une expérience de vie faite d’obstacles et d’épreuves, mais aussi une conscience profonde de ce qui fait la beauté de l’humanité.
Entre janvier et mai 2023, l’Unapei a interrogé sur leur quotidien 3 940 parents ayant un enfant avec un trouble du neurodéveloppement, en situation de polyhandicap ou de handicap psychique. Quels sont les principaux apprentissages de votre étude La Voix des Parents ?
Nadine Maudet : Nous avions beau le savoir, nous avons été surpris de l’ampleur de la baisse de qualité de vie des parents. Tous les parents interrogés parlent de conséquences néfastes, d’ampleur variable, sur leur qualité de vie, leur bien-être et même leur santé. Alors qu’en 2018 dans la population générale 68 % des Français se sentaient heureux, ce n’est le cas que de 43 % des parents interrogés, soit un décalage de 25 points de pourcentage3 ! Un autre chiffre m’a beaucoup touché : presque un quart des parents interrogés, 23 %, se sentent exclus de la société4.
Hélène Le Meur : Il est alarmant de voir combien de familles sont laissées en grande difficulté dans notre pays. De nombreux parents expliquent qu’ils n’ont pas un moment pour souffler.
Nadine Maudet : Je me souviens du témoignage d’une mère : quand elle avait un peu de temps, elle s’occupait du dossier de son enfant pour la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH)5. C’était cela son « loisir » : monter un dossier administratif.
Presque un quart des parents interrogés se sentent exclus de la société.
Hélène Le Meur : Les parents aidants doivent gérer de nombreux aspects du quotidien de leur enfant. Au-delà de son aspect chronophage, cette gestion quotidienne entraîne beaucoup de stress. Les parents ont peur de ne pas bien remplir le dossier MDPH, de ne pas rassembler les papiers nécessaires dans les temps, bref de mal faire ; ils craignent, des complications supplémentaires et que cela nuise à leurs droits.
Pourquoi considérez-vous l’isolement des parents aidants comme un enjeu politique ?
Hélène Le Meur : Parce que leur détresse est parfois telle qu’elle peut aller jusqu’à mettre en danger leur vie et celle de leur enfant. Les carences de la protection sociale, la désinstitutionnalisation6 le manque de soutien aux familles font que beaucoup des parents interrogés ont l’impression de compenser un manque chronique d’accompagnement nécessaire pour leur enfant.
Nadine Maudet : Oui, certaines situations actuelles sont dramatiques : des enfants et des adultes en situation de handicap attendent parfois des années sans avoir de solution d’accompagnement.
Dans le département où je vis, le Morbihan, certains des établissements qui accompagnent les personnes en situation de handicap dans les gestes de la vie quotidienne ont des listes d’attente sur plusieurs années. Nous avons plus de personnes sur liste d’attente que nous n’avons de places !
Hélène Le Meur : Et dans ces conditions, beaucoup de parents, et par ricochet de fratries et de familles élargies, compensent le manque d’accompagnement « par la force des choses ». Seuls 26 % des parents interrogés dans La Voix des Parents ont le sentiment d’être libres de choisir leur vie.
Nadine Maudet : Nous alertons avec cette enquête contre une forme de désinstitutionnalisation qui ferait porter de manière insidieuse toujours plus de poids sur les épaules des aidants. Depuis la ratification de la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH), notre pays s’est engagé à mettre en œuvre des politiques publiques visant à promouvoir les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées et leur participation effective à la vie publique et politique. Cela concerne toute la vie des personnes, l’éducation, l’emploi, le travail, la santé, la vie autonome et l’inclusion dans la communauté. Attention, nous ne voulons pas revenir à l’époque où les institutions pour personnes handicapées étaient des lieux tenus à l’écart de la vie de la Cité. Nous défendons à l’Unapei un accompagnement au sein de la société, pas en dehors.
Comment penser cet accompagnement au cœur de la société ?
Nadine Maudet : Pour commencer, les familles sont très en demande d’un regard bienveillant de l’ensemble de la société à l’égard de leur proche en situation de handicap. Un regard plus proche de celui qu’eux-mêmes portent sur leur enfant. 84 % des parents interrogés se disent fiers du parcours de leur enfant dont ils voient tous les efforts et les réussites3.
Hélène Le Meur : En effet, les parents pâtissent à la fois des manques d’accompagnement pour leur enfant et de manque de compréhension de la société, de leur situation et de la situation de leur enfant.
Nadine Maudet : C’est fondamental : sans ce regard bienveillant, bien sûr que les personnes handicapées et leurs familles vont continuer à s’isoler et s’épuiser. Pourtant la société française n’appartient pas qu’aux meilleurs, aux plus brillants, aux plus forts. Le handicap, c’est une fragilité parmi d’autres fragilités que nous devons prendre en compte pour faire société. C’est aussi une force.
De l’étude La Voix des Parents, l’Unapei a tiré 21 revendications, dont des solutions de relais sur l’ensemble du territoire et des soutiens juridiques et administratifs.
Hélène Le Meur : Oui, il est fondamental de développer des lieux de vie, d’apprentissage, de travail, adaptés pour répondre aux besoins et attentes des personnes en situation de handicap. 91 % des parents interrogés dans le cadre de La Voix des Parents indiquent ainsi que la priorité de leur vie est d’avoir l’assurance d’un accompagnement pour leur enfant. Si leur enfant est bien accompagné, leur quotidien sera mécaniquement plus vivable.
Nadine Maudet : Oui, nous revendiquons principalement un accès effectif aux droits. La santé, l’école, le logement et la culture, ce sont des droits. Donc oui, il faut investir dans l’humain pour que l’accès réel à ces droits ne repose pas uniquement sur les parents comme c’est parfois le cas aujourd’hui.
Hélène Le Meur : Une seconde revendication est le développement de services dédiés à la réponse aux besoins de ces parents, offrant soutien administratif, anticipation des démarches liées à leur disparition, appui psychologique et solutions de répit. Les parents doivent pouvoir s’éloigner temporairement des contraintes du quotidien.
L’Unapei va-t-elle continuer à étudier la question des proches aidants ?
Hélène Le Meur : Oui, notre prochaine étude, qui verra le jour entre 2025 et 2026, portera sur la fratrie. Dans cette première étude, nous avons choisi de nous focaliser sur les parents parce qu’il s’agit des premiers membres de la famille concernés par la situation de handicap. Pour autant, le sujet des fratries est extrêmement important. Les frères et sœurs jouent un rôle indispensable dans les familles et dans la société en général. Ce sont des enfants qui ont une confrontation très jeunes, alors qu’ils sont en pleine construction, à la différence. Nous souhaiterions avec cette étude voir comment cela influe sur leurs évolutions professionnelles, personnelles et sur leurs visions de la société.
Nadine Maudet : Cela reste à prouver avec cette étude, mais nous avons l’intuition que ce sont souvent des ambassadeurs du vivre ensemble.
- 1Lire à ce sujet, Unapei, « Nadine Maudet, mère de Noëlline, 32 ans : “Il faut repenser la coordination entre aidants familiaux et professionnels au profit de la personne aidée” », 7 octobre 2020, [en ligne].
- 2Le réseau Unapei est aujourd’hui composé de 330 associations, dont des associations familiales, gestionnaires ou non d’établissements et services médico-sociaux, des associations mandataires judiciaires à la protection des majeurs et des associations d’autoreprésentation.
- 3a3bUnapei, La Voix des Parents, 2024, [en ligne].
- 4Unapei, Ibid.
- 5La Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est le guichet unique dédié à l’évaluation des besoins, à l’accompagnement et l’attribution des aides et droits aux personnes handicapées. Elle a aussi pour mission de les orienter vers les services appropriés.
- 6Lire à ce sujet, Unapei « La désinstitutionnalisation », Les essentiels de l’Unapei, juin 2015, [en ligne].