Trois questions à Catherine Lalumière, présidente de la Maison de l’Europe de Paris
A la veille des élections européennes, comment analysez-vous les enjeux liés à la citoyenneté en Europe ?
Si les élections se déroulent selon le schéma résumé ci-dessus, cela va contribuer à affaiblir l’Union européenne et le projet européen lui-même. Pour perdurer, et a fortiori pour se renforcer, l’Union européenne et le projet européen ont besoin d’un soutien populaire. En effet, la désaffection des citoyens fragilise l’une et l’autre. C’est l’un des enjeux de ces élections.
- Ce premier enjeu exigerait, évidemment, que l’on analyse les raisons de ce désamour et les moyens d’y remédier. Jusqu’à présent, les efforts des uns et des autres et notamment ceux des instances européennes elles-mêmes (pensons par exemple aux politiques de communication de la Commission et du Parlement européen) se sont révélés inefficaces et devraient être profondément modifiés. En effet, il ne s’agit pas seulement de « com. » mais du contenu même du message européen. Sans doute, l’Union européenne n’est pas assez aimée car ce qu’elle fait et l’image qu’elle donne ne sont pas suffisamment aimables.
- Un second enjeu lié à la citoyenneté concerne la manière dont les citoyens vont voter en choisissant l’une ou l’autre famille politique.
Très souvent les citoyens résument leur pensée en disant : « J’aime l’Europe, mais pas cette Europe-là ». Cette « Europe-là » contient beaucoup de choses, souvent contradictoires. De plus, cette « Europe-là » varie selon les pays, les citoyens de chaque pays ayant des traditions, des habitudes, des orientations, des idéaux différents d’un pays à l’autre.
Mais quelles que soient les situations différentes selon les pays, un constat s’impose de plus en plus : les citoyens souhaitent pouvoir choisir parmi différentes orientations. Trop souvent les instances européennes (surtout la Commission qui s’exprime au nom de l’intérêt général) présentent les décisions comme étant le seul compromis possible s’imposant sans discussion. Le débat semble étouffé car il n’est ni connu ni compris par les citoyens qui, de ce fait, se désintéressent et se détournent.
L’Europe n’aura des citoyens actifs qu’à la condition de politiser les débats non par goût malsain des polémiques mais pour montrer que différentes orientations politiques sont possibles.
Cette « politisation » indispensable dans une démocratie vivante ne repose évidemment pas seulement sur les instances européennes. Elle repose surtout sur les partis et groupes politiques. Malheureusement, ceux-ci ne s’intéressent guère à l’Europe et leurs programmes paraissent souvent assez vides et peu mobilisateurs. Dans ces conditions, les citoyens sont peu intéressés et la citoyenneté européenne semble rester une coquille vide.
Quel bilan faites-vous de l’Année européenne des citoyens ?
À l’initiative de l’Union européenne, l’année 2013 été déclarée « Année européenne des citoyens ». Un réseau ouvert d’organisations de la société civile (EYCA) aux niveaux national et européen a été constitué pour promouvoir la citoyenneté active comme élément majeur du projet européen. Les membres de l’alliance européenne ont contribué tout au long de l’année à la réflexion sur des thèmes essentiels pour la citoyenneté active en Europe.
Trois groupes de travail ont été constitués :
– la démocratie participative et le dialogue civil ;
– les droits économiques, politiques et sociaux : un tout cohérent ;
– une citoyenneté européenne inclusive pour tous les résidents de l’Union européenne.
Les propositions de chaque groupe de travail sont disponibles sur le site internet : ey2013-alliance.eu. Elles ont été remises en main propre à la vice-présidente de la Commission européenne, Viviane Reding, qui a solennellement promis d’y répondre.
La plupart des recommandations élaborées dans ce cadre s’adressent aux dirigeants nationaux qui souvent négligent les recommandations européennes. Par ailleurs, il devient urgent que les citoyens s’approprient l’espace public européen de débat. Malgré la reconnaissance officielle de la citoyenneté européenne dans les traités, elle n’est pas évidente pour tout le monde. L’appropriation de la citoyenneté européenne est un processus continu comme la démocratie ou la paix. Elle a une dimension transversale qui ne se limite pas à la seule dimension économique.
La participation des citoyens européens à ce dialogue a permis de constater l’importance et la nécessité, notamment pour les associations nationales, de mieux tenir compte de l’échelle européenne dans leurs activités nationales. Ce nouvel espace de dialogue n’est pas en opposition avec l’espace local ou national. Toutes les rencontres ont montré qu’ils étaient complémentaires.
La prise de conscience de la citoyenneté européenne active passe notamment par les échanges entre tous les Européens et la mise en débat des questions européennes. Les contributions d’experts consultés par les trois groupes de travail et également celles des participants (Allemands, Finlandais, Chypriotes, Français, Slovènes, Lettons, Britanniques…) ont permis de comparer les réalités du terrain avec les objectifs européens. L’examen des diverses approches nationales sur des sujets comme la lutte contre la pauvreté ou la discrimination permet d’éclairer à la fois les différences et les valeurs communes entre les Français et les autres Européens. Cet apprentissage du « vivre ensemble » au sein des groupes multinationaux de travail participe à l’essor de la citoyenneté européenne.
Une des conclusions majeures de cette Année européenne des citoyens était de la faire vivre au-delà de l’année 2013.
Selon vous, comment les associations contribuent-elles au développement d’une citoyenneté européenne ?
Le Traité de Maastricht en 1992 a institué entre les États membres une nouvelle entité politique : l’Union européenne. Et, dans la foulée, le Traité a institué la citoyenneté européenne, en précisant : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre ». La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. Mais, cette citoyenneté européenne reste, dans les faits, encore peu connue.
Or, cette création juridique n’a de sens que si les citoyens sont capables d’assumer pleinement leurs responsabilités et de participer activement à la vie publique.
Ceci nécessite un minimum de formation et de connaissances. Le citoyen doit connaître ses droits et ses devoirs. Il doit connaître aussi – même très sommairement – le cadre institutionnel et les principales règles du jeu qui influent sur sa vie. Il doit surtout comprendre les objectifs assignés à la construction européenne et les raisons pour lesquelles ont été créées les organisations qui en sont issues. De plus, les citoyens européens eux-mêmes, dans leur intérêt personnel, ont besoin d’un minimum de connaissances et de compréhension du fait européen. Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils aiment l’Europe ou ne l’aiment pas, ils vivent aujourd’hui dans le cadre européen. Ils voyagent, ils travaillent, ils se marient en Europe. Quelles que soient les activités des uns ou des autres, tous sont soumis à des règles européennes, il est donc dans leur intérêt de les comprendre.
C’est là que les associations comme la Maison de l’Europe de Paris interviennent pour informer les citoyens sur l’Union européenne, pour rappeler son histoire, expliquer son fonctionnement et débattre de son actualité. En plus des actions de sensibilisation et d’information, d’autres associations, à travers des projets, sociaux, éducatifs ou culturels à dimension européenne, participent aussi au développement d’une citoyenneté européenne. Par définition, les associations sont des lieux où s’apprend et s’exerce la citoyenneté.
Cependant, ces associations ne peuvent à elles seules remplir le fossé qui s’est creusé entre l’Europe et les citoyens. Les institutions, particulièrement la Commission européenne, n’ont pas su communiquer sur les politiques de l’Union européenne. À force de vouloir être neutre, la Commission a technicisé le débat plutôt que de le politiser. Face à une Europe qui apparaît comme trop « technocratique », les citoyens et les médias s’en sont détournés de plus en plus.
Les partis politiques ont aussi leur part de responsabilité. Ils ne s’intéressent pas suffisamment à l’Europe, et dans leurs programmes ne proposent pas de véritable projet européen capable de mobiliser les citoyens.
Les associations n’ont pas vocation à communiquer à la place des institutions ou à définir un projet politique pour l’Europe. Avec leurs modestes moyens, elles contribuent à la mobilisation des citoyens à travers des initiatives porteuses des valeurs européennes. Les associations alimentent ainsi un sentiment d’appartenance à un projet commun. Le contenu de ce projet doit être défini et porté par les forces politiques afin de redonner du sens à l’aventure européenne et de ré-enchanter le rêve européen.