Animée par Hannah Olivetti, chargée de mission à la Fonda, cette deuxième table-ronde de la 7e édition de l’Université du Faire ensemble a réuni Timothée Duverger, historien, maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et conseiller technique au cabinet du maire de Bordeaux, Angeles Estrada, directrice générale du F3E et Marie Vernier, déléguée générale du Labo de l’ESS.
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Une forte dynamique coopérative
Plusieurs exemples illustrent les mutations récentes de la notion de coopération et affirment son caractère indispensable pour répondre aux défis actuels.
Alors qu’une logique de parachutage de l’aide prévalait pour certains acteurs de la solidarité internationale jusque dans les années 19901 , les organisations du Nord s’inscrivent désormais dans une logique de coopération avec les acteurs locaux dans les pays des Sud, indique Angeles Estrada.
Au niveau de l’Union européenne, les coopérations entre les acteurs de l’ESS, les entreprises et les pouvoirs publics sont reconnues, avec les pôles d’innovation sociale et écologique2 , ajoute Marie Vernier.
En France, les dynamiques de coopération foisonnent autour des enjeux de la transition sociale et écologique, rappelle Timothée Duverger. C’est le cas notamment de ïkos, village du réemploi basé à Bordeaux qui mobilise des associations et entreprises sociales, ainsi que les pouvoirs publics.
Les leviers actionnables pour coopérer
Pour coopérer, il faut identifier tant les freins à lever que les leviers qui la favorisent.
Marie Vernier signale que les logiques de sectorisation ou les turn-over au sein des structures peuvent entraver les coopérations. L’interconnaissance entre les parties prenantes et le plaisir de faire ensemble les renforcent au contraire.
Angeles Estrada attire l’attention sur les possibles logiques de pouvoir et de domination entre les personnes, liées par exemple à des enjeux de genre. Des mécanismes comme le partage de manière égalitaire du temps de parole ou bien encore la prise en compte du vécu des personnes peuvent les limiter.
L’outillage méthodologique de la coopération constitue un autre facteur de réussite. Avec les approches orientées changement (AOC), le F3E propose un corpus méthodologique, autour de techniques d’animation, de facilitation et d’intelligence collective pour planifier collectivement un changement3 .
La mise en place d’une fonction de soutien constitue un autre levier clé, insiste Marie Vernier. Elle permet entre autres d’animer la dynamique coopérative. Les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) dotés d’une fonction de soutien, sous la forme d’une cellule d’animation, sont ceux qui perdurent le plus dans le temps.
Accompagner les dynamiques de coopération, un enjeu pour les acteurs publics
Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour créer les conditions propices à l’émergence et au déploiement de dynamiques coopératives. La puissance publique a en effet une légitimité et des ressources mobilisables, souligne Timothée Duverger.
La question de l’accès au foncier constitue une source de préoccupation pour les porteurs de projet, notamment pour les tiers-lieux. Consciente de cet enjeu, la métropole de Bordeaux crée une foncière solidaire.
La mise à disposition d’agents publics pour assurer la coordination de projets en coopération est une piste à explorer. Dans le cadre de la candidature de Bordeaux à l’expérimentation nationale de Territoires zéro chômeur de longue durée, la ville a mis à disposition un agent pour assurer la coordination des acteurs.
Plus globalement, un changement s’opère au sein des collectivités territoriales, ajoute Timothée Duverger. Elles passent d’une logique de mise en concurrence des acteurs à un management public coopératif. La Métropole de Rennes prend par exemple des parts de capital dans des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC).
Un mode opératoire d'avenir à renforcer
Toutes les dynamiques coopératives sont le fruit d’une histoire, de rencontres et d’une envie partagée d’agir. Pour que la coopération se développe comme mode opératoire, il est nécessaire de sauter le pas et de la pratiquer, souligne Angeles Estrada. C’est en testant, en se trompant, que l’on peut apprendre de ses erreurs et ainsi améliorer les dynamiques de coopération actuelles et à venir.
Marie Vernier insiste sur la nécessité de financer davantage le travail d’ingénierie de soutien des dynamiques coopératives mené par des think tank et des acteurs de l’accompagnement. Ce constat est partagé par Angeles Estrada qui souhaite, avec le F3E, poursuivre le partage de la connaissance et de son appropriation.
Timothée Duverger explique que l’avenir de la coopération réside dans une sensibilisation des acteurs (élus, agents publics, acteurs de l’ESS) à la coopération. Elle doit s’accompagner par une formation des futurs professionnels à ces enjeux.
La construction de récits fédérateurs permet de rassembler les acteurs autour d’objectifs partagés et donc de coopérer, rappelle Marie Vernier. C’est la démarche incarnée par les Licoornes qui, à l’opposé des Licornes4 , ambitionnent de créer un modèle économique entièrement coopératif pour proposer des services répondant aux besoins du quotidien5 .
Conclusion
La coopération ne va pas de soi, ne s’improvise pas et s’inscrit dans le temps long. Elle implique, au contraire, de mobiliser tout un écosystème d’acteurs prêts à travailler ensemble sur un ou plusieurs défis communs.
Elle exige également des ressources, une envie d’agir, une confiance dans la capacité d’action d’un collectif d’acteurs.
Les intervenants sont unanimes : l’outillage des acteurs se révèle un enjeu phare pour les prochaines années. Il permet de faciliter l’émergence de nouvelles dynamiques de coopération, ainsi que de permettre à celles existantes de se renforcer, voire de changer d’échelle.
Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Timothée Duverger, Angeles Estrada et Marie Vernier dans le cadre de leur participation à l’Université du Faire ensemble organisée par la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.
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- 1Ces interventions ne tenaient pas ou peu compte du contexte local, et s’avéraient parfois contre-productives, voire néfastes. Un exemple archétypal pour illustrer ces errements est celui de la construction d’écoles ou de dispensaires sans articulation avec les autorités. Les bâtiments construits demeuraient au final vides de professeurs ou de soignants.
- 2Le Labo de l'ESS, Pôles d’innovation sociale et écologique dans l’Union européenne, perspectives et expériences, rapport du sous-groupe du GECES : le rôle des pôles et des formes similaires de coopération entre entreprises dans la promotion du développement de l’économie sociale, décembre 2021, [en ligne].
- 3Sur ce sujet, voir F3E, « Boîte à outils Approches orientées changement », [en ligne].
- 4Le terme «licorne» a été inventé par Aileen Lee en 2013, dans son article «Welcome To The Unicorn Club : Learning from Billion-Dollar Startups». Une licorne est une startup qui a une valorisation actuelle de plus d’un milliard de dollars. Souvent spécialisées dans le monde des nouvelles technologies, ces entreprises connaissent une croissance ultrarapide. Doctolib, Back Market ou bien encore Blablacar sont des licornes françaises.
- 5Les Licoornes est une démarche impulsée par neuf coopératives engagées pour la transition : enercoop (fournisseur d’électricité), TeleCoop (opérateur télécom), mobicoop (covoiturage), Commown (fournisseur d’appareils électroniques), Coop Circuits (achats en circuit court), la NEF (banque éthique), citiz (autopartage), railcoop (opérateur ferroviaire), label emmaüs (e-shop militant).