La Tribune Fonda n°205 explore la question du travail en lien avec celle l'engagement individuel et collectif.
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L'engagement individuel et collectif au cœur du travail
Quels sont les déterminants de l'engagement des individus dans notre société actuelle, à quelles conditions s'insèrent-ils dans l'action collective, particulièrement dans les organisations qui fondent leur projet et leur efficience sur des rapports de coopération ?
Nous avons mobilisé un des spécialistes de la question de l'individualisme contemporain, François de Singly, et l'une des sociologues-philosophes, Dominique Méda, qui a le mieux contribué cette dernière décennie à clarifier la question du travail, qui croise celle de l'engagement collectif.
Pour François de Singly, l'apparition de l'individualisme contemporain est lié au changement de la conception du lien social introduit par la Révolution française : on y passe d'une conception du lien hérité à une conception dominante du lien choisi ou électif, dans la gestion du politique ou dans la vie privée.
Mais cet individualisme de la première modernité reste totalement inséré dans l'idéologie du progrès, le règne de la raison : « l'individu, pour exister et se faire lui-même, doit se développer comme un individu rationnel éclairé par la raison » (d'où le rôle central de l'école républicaine), ce qui a réintroduit une logique de filiation verticale. Cette conjonction a conduit naturellement à séparer sphère publique (lieu de l'intérêt général grâce à la raison) et sphère privée (lieu des sentiments et de l'intérêt particulier).
À partir des années 1960, l'individu veut être lui-même aussi bien dans la sphère publique que privée, ce qui sera source de tensions entre l'exigence de la raison et la quête de soi. Se construire soi-même devient une angoisse et peut conduire à l'acceptation du prêt à penser ou du repli individuel ou communautaire. Pour François de Singly le modèle de l'individu devrait être un modèle d'équilibre entre raison et démocratie participative. L'accompagnement devient essentiel pour permettre l'émancipation.
Quels sont alors les lieux qui permettent la transmission en autorisant les individus à être eux-mêmes ? Les associations sont une des réponses mais force est de constater que la logique collective a du mal à combiner adhésion au projet collectif et logique d'expression personnelle.
« L'individu apporte au collectif non seulement sa raison, mais aussi son cœur et son expérience, tout ce qui fait qu'il est lui, ses autres liens », telle est une des questions essentielles à traiter par le mouvement associatif.
Quant à Dominique Méda, elle s'interroge sur les raisons qui conduisent les Français à être en Europe ceux pour qui le travail a le plus d'importance tout en souhaitant qu'il prenne moins de place dans leur vie. L'importance du statut social lié au travail, d'autant plus forte qu'on est plus diplômé (ce qui est moins vrai pour les personnes moins qualifiées, pour qui le travail a plus une valeur utilitaire) co-existe avec une volonté de réduire cette place pour des raisons négatives (mauvaises relations sociales, mauvaises conditions de travail et d'emploi), mais aussi pour des raisons positives pour permettre une meilleure articulation entre les sphères du travail et de la famille.
C'est par comparaison avec les pays du nord de l'Europe que Dominique Méda trouve des réponses pour expliquer ce divorce : malgré une éthique du travail qui y reste très forte, le « hors travail » a autant d'importance que le travail. La prise en compte dans ces pays de l'amélioration des conditions de travail, la présence d'organisations apprenantes nettement plus développées, expliquent alors que dans les pays de lean production (production au plus juste qu'elles qu'en soient les modalités) dont est la France, la conquête de l'autonomie est encore à faire, les organisations les plus modernes n'accordant qu'une autonomie contrôlée.
L'attente des Français vise au rééquilibrage entre les différentes sphères de leur vie, vie de travail, vie personnelle et familiale. La demande n'est pas tant de loisir, malheureusement assimilé par beaucoup d'économistes au « temps de la paresse », mais de prise en compte d'autres responsabilités ailleurs que dans le travail, éventuellement dans les associations.
Nous terminons ce dossier avec le témoignage de celle qui fut la responsable d'une organisation soucieuse de la qualité du travail et de l'engagement individuel et collectif au service de l'émancipation, Nicole Notat. Responsable de Vigeo, agence de notation sociale, elle défriche pour nous de nouvelles modalités d'interventions sur les entreprises qui donnent à réfléchir sur les nouveaux modes d'intervention possible du mouvement associatif.