Engagement

Skola, une dernière marche avant l’emploi pour les jeunes

Tribune Fonda N°262 - L’engagement sous les radars - Juin 2024
Anna Maheu
Anna Maheu
Et Fondation Apprentis d'Auteuil
Comment faire le lien entre les jeunes éloignés de l’emploi et les entreprises de leur territoire qui ont des difficultés pour recruter ? Depuis 2014, la Fondation Apprentis d’Auteuil coconstruit avec ces dernières des dispositifs de formation dans des métiers en tension, les Skolas. Combinant accompagnement social et formation pratique et rapide, ils se veulent être une dernière étape avant l’emploi pour des jeunes qui cumulent les difficultés.
Skola, une dernière marche avant l’emploi pour les jeunes
Sandra Traika, ancienne de Skola Hôtellerie, est aujourd’hui réceptionniste à l’hôtel Mercure Prado, à Marseille. © Jean-Charles Verchère / Apprentis d’Auteuil

LES MULTIPLES FREINS À L’EMPLOI DES NEETS 

En 2021 en France, plus d’1 jeune de 15 à 29 ans sur 10 n’était ni en emploi, ni en études, ni en formation1. Soit 1,4 million de jeunes regroupés sous le terme générique de NEETs2

Selon une étude menée en 2020 par la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail, bien que 53 % de ces jeunes soient en recherche active d’un emploi3, ils peinent à trouver leur place dans le monde du travail. 

« Éloignés de l’emploi, ils cumulent un ou plusieurs freins périphériques : des difficultés financières, administratives, des problématiques de logement ou de mobilité », énumère Bénédicte Blachez, coordinatrice nationale des dispositifs Skola à Apprentis d’Auteuil. 

Interrogé par la Fondation en 2017, le chercheur Joaquim Timoteo identifiait un frein supplémentaire : « en France, il y a aussi un problème culturel. Les entreprises font moins confiance qu’ailleurs aux jeunes qui débutent, notamment aux jeunes non-diplômés ou aux jeunes issus des quartiers prioritaires. »4

Pourtant de nombreuses entreprises témoignent de problématiques de recrutement dans des métiers en tension. Bénédicte Blachez le résume ainsi : « les jeunes et les entreprises ne se rencontrent pas. Il y a comme un mur entre les deux ». C’est ce mur que tente d’abattre le programme Skola. 

GENÈSE DU DISPOSITIF SKOLA 

Le programme Skola est l’un des dispositifs d’insertion de la Fondation5. S’il a été formalisé au niveau national en 2017, les premières expérimentations datent de 2014. 

Son objectif n’a pas dévié en une décennie : coconstruire avec des entreprises des dispositifs de formation et d’insertion dans des métiers en tension. 

Les formations Skola se distinguent par leur coconstruction avec chaque entreprise.

Une des premières entreprises à tester le dispositif est Bergerat Monnoyeur6. Le dispositif fait ses preuves et se démultiplie : Skola Vignerons du vivant dans les châteaux du bordelais, Skola Vente à Paris, Lille ou Lyon, Skola hôtellerie à Marseille ou encore Skola Assistant de vie familiale à Beauvais font partie des 24 formations déployées au cours de ces dernières années. 

Ce développement rapide s’explique par une dynamique interne et externe. Alors que l’insertion est historiquement un champ d’action de la Fondation, il est inscrit comme une priorité du projet stratégique d’Apprentis d’Auteuil en 20177

« Nous avons ensuite eu la chance de remporter l’appel à projets “100 % inclusion” dans le cadre du Plan d’investissement
sur les compétences (PIC) pour développer ce projet expérimental8 », se souvient Bénédicte Blachez. La Fondation crée par ailleurs son organisme de formation multisites dans le cadre de la réforme de 20189.

Selon Bénédicte Blachez, « cette conjonction de soutiens étatiques nous a permis d’en faire un programme d’ampleur nationale, tout en tissant un maillage territorial essentiel avec des partenaires locaux et territoriaux ». 

L’organisme de formation d’Apprentis d’Auteuil prépare aujourd’hui à 90 diplômes. Les formations Skola se distinguent des autres dispositifs de formation professionnelle et d’accompagnement vers l’insertion de la Fondation par leur coconstruction avec chaque entreprise partenaire. 

COCONSTRUIRE CHAQUE DISPOSITIF AVEC LES ENTREPRISES 

« Il y a autant de Skolas possibles que de partenaires », précise Bénédicte Blachez. « Nous travaillons avec chaque entreprise pour répondre au mieux à ses besoins de recrutement sur un territoire donné ». 

Même les Skolas Logistique ne se ressemblent pas entre eux : celui pour l’entrepôt Décathlon de Dourges dans le Pas-de-Calais va différer de celui de l’entrepôt de Lyon sur les temps en entreprise, les sujets et la durée de formation. 

Une fois le dispositif de formation construit, Apprentis d’Auteuil organise des réunions d’information collectives auprès des services publics de l’emploi. Parmi les jeunes qui y découvrent le dispositif, ceux qui sont intéressés vont ensuite passer des entretiens de recrutement avec l’entreprise partenaire. 

La durée moyenne d’un Skola est de quatre à six mois.

À l’issue d’une préparation opérationnelle à l’emploi, les jeunes recrutés rejoignent l’entreprise pour quelques mois en tant que stagiaires de la formation professionnelle, que ce soit sous un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation. À ce titre, ils sont rémunérés en fonction de leur âge et de la convention collective de la branche. 

DES FORMATIONS COURTES 

La durée moyenne d’un Skola est de quatre à six mois. Le programme prévoit une base théorique de plusieurs heures par semaine, mais mise avant tout sur la pratique en entreprise. « Les jeunes n’ont pas forcément envie de faire des formations longues. Ils préfèrent être rapidement immergés dans l’entreprise », remarque Bénédicte Blachez. 

Un des piliers de cette immersion est le tuteur du jeune dans l’entreprise. C’est lui qui va accueillir le jeune, le former sur ses missions et lui faire découvrir le métier. Un apprentissage qui va dans les deux sens selon Bénédicte Blachez : « le programme fait grandir tout le monde : le jeune bien sûr, mais aussi l’entreprise et ses salariés. » 

En cas d’interrogations ou de difficultés, le tuteur peut se tourner vers le conseiller emploi formation et insertion (CEFI) qui l’accompagne. Ce salarié d’Apprentis d’Auteuil assure un rôle d’interface entre le jeune et l’entreprise, mais aussi un accompagnement social du jeune.

Il l’aide dans ses démarches administratives, mais aussi dans son apprentissage des savoir-être propres à l’entreprise et dans le développement de sa confiance en lui. Au fil des mois, si tout se passe bien, le jeune devient autonome et le conseiller espace son accompagnement. 

La moitié des jeunes qui ont suivi le programme Skola en 2023 ont obtenu un emploi ou sont retournés en formation. « Dans tous les cas, notre suivi ne s’arrête pas le jour où le jeune sort du dispositif », précise Bénédicte Blachez. 

ALLER-VERS LES JEUNES INVISIBLES 

En 2023, 677 jeunes ont été accompagnés dans 24 Skolas sur toute la France métropolitaine et les territoires ultra-marins. « Nous sommes à mille lieues des idées reçues sur des jeunes qui ne veulent pas travailler », remarque Bénédicte Blachez. « Dans les Skolas Logistique, nous avons des jeunes qui se lèvent aux aurores pour faire le trajet en trottinette électrique et arriver à l’heure dans un entrepôt excentré. » 

La plupart des jeunes découvrent le programme par le service public de l’emploi, soit France Travail ou les missions locales. Les équipes de terrain développent également de nouvelles façons d’aller-vers pour trouver les jeunes les plus éloignés de l’emploi. La coordinatrice du Centre de formation continue Île-de-France Caroline Maigné a par exemple créé un compte Snapchat @ConseilEmploiAA. 

Dans leur démarche d’aller-vers, mais aussi leur pugnacité dans l’accompagnement des jeunes, Bénédicte Blachez salue l’engagement de ses collègues : « les équipes de terrain font un travail essentiel auprès des jeunes, ils ne les lâchent pas malgré des problématiques complexes. » 

La Fondation Apprentis d’Auteuil n’est pourtant pas épargnée par la crise généralisée des métiers de l’humain. « La plupart des équipes sur le terrain nous font remonter des difficultés de recrutement » alerte Bénédicte Blachez. Selon les derniers travaux du Haut Conseil du travail social (HCTS), 30 000 postes de travailleuses et travailleurs sociaux sont aujourd’hui vacants10.

  • 1Flora Vuillier-Devillers (Insee), « Après un pic dû à la crise sanitaire, la part des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation repart à la baisse. », Insee Focus n° 285, 10 janvier 2023 [en ligne].
  • 2Acronyme anglais pour « neither in employment nor in education or training », NEET est un terme initialement employé par l’office européen chargé des statistiques, Eurostat.
  • 3Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), « Les jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) : quels profils et quels parcours », DARES Analyses n° 6, février 2020, [en ligne].
  • 4Félix Lavaux (Apprentis d’Auteuil) « Qui sont les jeunes NEET ? », 7 février 2017, [en ligne].
  • 5La Fondation propose d’autres dispositifs d’insertion, notamment Boost et Propulse.
  • 6Lire à ce sujet, Apprentis d’Auteuil, « Apprentis d’Auteuil et Bergerat Monnoyeur co-construisent une formation professionnelle », 25 mai 2016, [en ligne].
  • 7Apprentis d’Auteuil, Réussir ensemble — Projet stratégique 2017-2021, [en ligne].
  • 8Initié en 2018 par le gouvernement, le Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC) vise à former 2 millions de personnes très éloignées de l’emploi et les aider à se réinsérer durablement. « 100 % inclusion » est un appel à projets lancé dans le cadre du PIC. Apprentis d’Auteuil a été lauréat de cet appel à projets en 2018.
  • 9En 2021, l’organisme de formation Apprentis d’Auteuil a obtenu la certification Qualiopi.
  • 10Haut Conseil du travail social (HCTS), Livre blanc du travail social, 2023, [en ligne].
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