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Réinventer une fiscalité carbone efficace et juste

Tribune Fonda N°243 - Vers une transition énergétique citoyenne - Septembre 2019
Antoine Guillou
Antoine Guillou
Quelle fiscalité écologique mettre en place pour répondre à l’impératif de la lutte contre le changement climatique ? Plusieurs leviers sont à mobiliser en ce sens, dont celui d’une taxe carbone, transparente dans l’usage de ses recettes et mise en place autour d’un pacte social renouvelé, basé notamment sur une juste redistribution.

Objet de débats nourris et réguliers, la fiscalité carbone – qui vise à augmenter le prix des énergies en fonction de leur contribution aux émissions de CO2 afin d’inciter à réduire leur consommation – a été au cœur de l’actualité depuis la fin de l’année 2018 avec le mouvement des Gilets jaunes, initié par une mobilisation contre la hausse des prix des carburants. Cette dernière a de nouveau illustré la dépendance de nos modes de vie aux énergies fossiles et, bien qu’elle ait été avant tout liée à la hausse des prix du baril, elle a aussi mis sur le devant de la scène le sujet de la fiscalité carbone.
 
Parmi les conséquences du mouvement, la hausse de la fiscalité carbone prévue pour 2019 a été suspendue par le gouvernement. Le risque est à présent que cette décision s’installe dans la durée, sans que les mesures ambitieuses – et urgentes – nécessaires pour faire face aux enjeux de la transition écologique ne soient prises. Pourtant, les citoyens sont de plus en plus demandeurs d’actions fortes en faveur de la transition écologique, comme en témoigne le succès de la pétition « l’Affaire du siècle », qui vise à déposer un recours contre l’État pour non-respect des objectifs climatiques.

Pour dépasser cette apparente contradiction, il faut à présent réinventer la fiscalité écologique à partir de nouvelles fondations.


La fiscalité carbone doit être réformée, mais reste indispensable


À l’occasion du mouvement des Gilets jaunes, plusieurs critiques ont été adressées à propos de la fiscalité carbone : le fait qu’elle pèse davantage sur les ménages modestes en proportion de leurs revenus ; la difficulté pour certains de réduire à court terme leur consommation ; une incompréhension liée au fait que les revenus de la taxe ne sont que marginale- ment affectés à la transition écologique ; les exemptions fiscales, qui nourrissent  le sentiment d’un effort inégalement partagé ; et enfin, le fait qu’elle vienne s’ajouter à une pression fiscale déjà élevée et, à certains égards, injuste.

On pourrait dès lors être tenté de chercher à mettre en œuvre la transition écologique sans recourir à la fiscalité carbone. Elle n’est après tout pas l’unique levier d’action : les normes (par exemple sur l’isolation des bâtiments ou les émissions des véhicules), les subventions, les investissements publics sont autant d’autres outils nécessaires, et indispensables. Ce serait cependant renoncer à un levier efficace, permettant de donner des incitations fortes à la réorientation des investissements et au changement des habitudes en faveur de la transition écologique, en particulier à long terme.

En effet, contrairement à une critique souvent entendue, transmettre un signal prévisible en matière de fiscalité carbone est utile : si tout le monde ne peut pas nécessairement réduire fortement ses consommations d’énergie fossile à court terme, c’est très souvent le cas à moyen ou long terme, au gré des décisions de vie (changer de véhicule, déménager…).

D’un côté, la lutte contre le changement climatique commande un changement des investissements et des comportements, et à ce titre la taxe carbone reste donc un outil important. De l’autre, l’opinion exige de la transparence, de la justice et une moindre pression fiscale. Comment sortir de ce qui s’apparente de plus en plus à une dangereuse impasse ?


Les conditions d'une fiscalité écologique et socialement juste à la fois


Dans un rapport de février 2019, Terra Nova et l’Institut de l’économie pour  le climat (I4CE) se sont penchés1 sur les principes qui pourraient éclairer une
réforme de la fiscalité carbone, en dégageant ainsi quatre exigences.

Premièrement, une exigence de transparence : les recettes supplémentaires collectées par une éventuelle hausse de la fiscalité écologique doivent être traçables de sorte que chacun puisse vérifier que leur affectation est cohérente avec les objectifs poursuivis.

Deuxièmement, une exigence de justice : il n’est pas normal qu’un effort plus que proportionnel soit porté par les ménages modestes sans que ceux-ci ne soient accompagnés ou aidés ; il n’est pas normal non plus que certains secteurs économiques pourtant polluants soient exemptés de taxes et dispensés de prendre part à l’effort collectif.

Troisièmement, une exigence d’investissement dans l’avenir : si l’on veut accélérer la transition écologique, il faut investir massivement dans l’efficacité énergétique, les politiques de mobilité propre, l’agro-écologie…

Quatrièmement, une exigence d’utilisation exclusive des recettes de la taxe carbone pour les deux objectifs précédents, ou pour baisser les prélèvements obligatoires : en d’autres termes, la fiscalité écologique ne doit pas être une variable d’ajustement budgétaire.


Trois leviers d'action


En essayant de combiner ces différentes exigences, plusieurs leviers d’action émergent.

Le premier, c’est de programmer (avec une date butoir fixée à l’avance et une trajectoire pour l’atteindre) la fin de l’ensemble des exonérations, totales ou partielles, de fiscalité carbone dont bénéficient certains secteurs économiques (aviation, transport routier, BTP…) afin d’assurer l’égale contribution de tous à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La fin de ces exonérations pourrait être compensée par des aides spécifiques à destination des secteurs concernés, soit sous la forme d’aides aux investissements verts, soit sous la forme de baisses de prélèvements.

Le deuxième, c’est le recours aux dispositions fiscales alternatives à la fiscalité carbone proprement dite, tels que le renforcement significatif du bonus-ma- lus automobile afin d’inciter à l’achat de véhicules peu émetteurs. Les revenus dégagés par cette mesure pourraient être investis dans la transition écologique, par exemple pour le financement des transports publics ou encore le soutien au déploiement des infrastructures de recharge pour les véhicules électriques.

Le troisième et dernier levier, c’est naturellement la relance de la trajectoire de hausse de la taxe carbone elle-même. Cette décision devrait cependant reposer sur un pacte social renouvelé portant  sur l’utilisation des recettes. Le scénario élaboré par I4CE et Terra Nova propose ainsi de redistribuer la plus grande partie des recettes (70 %) aux ménages modestes et l’autre (30 %) à l’investissement dans la transition énergétique. Selon nos simulations, une reprise de la trajectoire carbone à partir de 2020 générerait des revenus supplémentaires à hauteur de 3,4 milliards d’euros en 2020 et 13,7 milliards en 2030.

Le système de redistribution que nous proposons permettrait de compenser l’effort demandé aux ménages les plus modestes grâce au versement d’une « prime de transition écologique » et de financer les investissements publics en faveur de la transition. La prime annuelle versée aux ménages du premier décile atteindrait ainsi 270 euros par foyer en 2020 et 715 euros en 2030.

Les financements destinés aux investissements publics dans la transition écologique seraient, eux, d’un milliard en 2020 et de sept milliards en 2030. Ils pourraient être alloués aux collectivités locales, afin de permettre à ces dernières de faire les choix les plus pertinents compte tenu des enjeux locaux, y compris en mettant en place des aides à l’investissement destinées aux citoyens les plus dépendants des énergies fossiles.


Le chemin de la transition écologique passe par les citoyens


C’est la combinaison de ces trois leviers qui permettra de mettre en place une nouvelle fiscalité écologique, à la fois plus efficace et plus juste. En conjuguant à son tour cette dernière à un système de normes ambitieuses, à des subventions et des investissements correctement ciblés ou encore à une régulation financière adaptée, nous pouvons espérer mener à bien la transition écologique.

Face à la situation qui risque de s’imposer par défaut — le sacrifice des ambitions de la transition écologique au profit des intérêts de court terme —, notre responsabilité collective est de chercher à concilier au mieux deux exigences parfois rivales, au moins au premier abord : l’impératif de la lutte contre le changement climatique, et celui de la juste répartition des efforts à consentir et de leur acceptabilité.

Il n’existe pas de solution unique ou parfaite (à l’étranger, les pays ayant mis en place avec succès des taxes carbone ont d’ailleurs mobilisé des systèmes de réutilisation des revenus extrêmement divers), mais il faut trou- ver notre propre voie vers la transition, en France et en Europe. Afin d’identifier les choix et les modes d’actions privilégiés par les citoyens, un débat ouvert, transparent et éclairé est indispensable : c’est tout l’enjeu de la convention citoyenne dont les travaux devraient débuter en octobre 2019.

Si les citoyens démontraient qu’ils sont bien plus prêts au changement que ne le pensent leurs gouvernements, il n’y aurait alors plus d’excuse à l’inaction !

 

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  • 1Antoine Guillou, Quentin Perrier, « Climat et fiscalité : trois scénarios pour sortir de l’impasse », 28 février 2019, publication de Terra Nova et l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE).
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